Après de longs mois de troubles et de tensions, la situation est-elle revenue à la normale à Conakry ? Aux manifestations et aux violences a succédé une phase d’accalmie, du moins de façade. Au sein de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), dont le leader, Cellou Dalein Diallo, continue de revendiquer la victoire à la présidentielle d’octobre, les cadres dénoncent des détentions arbitraires et des poursuites contre les opposants politiques. Plusieurs des hauts responsables du parti sont en effet actuellement privés de liberté.
Mais le président Alpha Condé, réélu pour un troisième mandat, l’assure : « la Guinée de 2021 n’est plus celle de 2020 ». Le chef de l’État, qui envisage une « recomposition du paysage politique », dit vouloir gouverner autrement et entraîner dans son sillage l’ensemble de ses équipes et de l’administration.
Vouloir faire les choses autrement n’est pas forcément un aveu d’échec, insiste Kiridi Bangoura. Pour le ministre d’État, porte-parole et secrétaire général de la présidence, qui nous a reçu à Conakry au début du mois de mars, le président guinéen exprime un souhait d’exigence et de rigueur. Entretien.
Jeune Afrique : Pour Alpha Condé, ce troisième mandat doit être synonyme de changements et de réformes. Quelles erreurs ont été commises et comment les corriger ?
Kiridi Bangoura : Nous avons bénéficié d’un taux de croissance moyen de 5 % ces dix dernières années. Mais nous devons être plus sévères avec nous-mêmes, plus rigoureux dans la gestion des affaires publiques, plus soucieux de l’équité sociale. Nous allons accroître la décentralisation des services publics à la base pour pouvoir mettre les ressources à disposition et traiter l’ensemble du territoire de manière équitable.
Le contrôle de gestion va être renforcé à tous les niveaux
Pour « gouverner autrement », Alpha Condé entend mettre l’accent sur la lutte contre la corruption. Que s’est-il passé pendant les mandats précédents ? La Guinée manquait-elle d’outils de régulation et de contrôle ou plutôt de volonté politique ?
Les réformes consistent à mieux faire ce qui est déjà fait et à innover pour aller plus loin. Non seulement nous allons améliorer l’efficacité et la capacité des institutions, mais le chef de l’État va également en créer de nouvelles, qui permettront de mieux maîtriser la gestion de la ressource publique. Le contrôle de gestion va être renforcé à tous les niveaux.
Par exemple, nous allons renforcer l’autonomie des entreprises publiques à caractère administratif (EPA), dont les budgets sont encore aujourd’hui gérés par les ministères. Le Premier ministre va introduire les réformes nécessaires afin que les subventions publiques aillent directement aux entités organisatrices sans passer par des intermédiaires administratifs.
Le chef de l’État a promis en janvier la création de 100 000 entreprises pour les jeunes. Comment ce programme sera-t-il mis en place ?
Des programmes de formation professionnelle ont favorisé l’entrée de nombreux jeunes sur le marché de l’emploi. Ceux-ci perdent progressivement leur volonté d’être employés et développent une mentalité d’autoentrepreneur. Nous voulons leur donner les moyens de créer leur entreprise ou de passer du secteur informel au secteur formel. Si cette vision s’accompagne de programmes ambitieux mis en place par des ministères impliqués, nous atteindrons cet objectif d’ici la fin du mandat.
Nous voulons réduire l’écart entre les ambitions des jeunes et les programmes gouvernementaux grâce à la formation, au développement de compétences techniques et de gestion et en facilitant l’accès aux crédits d’entreprise, via la banque nationale d’investissement.
La Guinée sort d’une année électorale difficile : violences, boycott de l’opposition, contestation de la victoire du président sortant… La confiance peut-elle être restaurée au sein de la classe politique ?
Le président a tendu la main à l’opposition dès son discours d’investiture. Il a instauré un cadre permanent de dialogue politique et social pour discuter des réformes sociales, foncières ou électorales. Beaucoup d’acteurs politiques ont commencé à dialoguer avec le gouvernement, le chef de file de l’opposition a été reçu par le président.
Nous trouverons les moyens de faire participer l’opposition extra-parlementaire au dialogue
Toutefois, nous ne négligeons pas l’opposition extra-parlementaire. Nous trouverons les moyens de la faire participer au dialogue. Les grandes lignes seront fixées avant que l’on puisse prendre des dispositions parlementaires ou règlementaires.
Touchée comme le reste du monde par la pandémie, la Guinée a dû revoir à la baisse ses objectifs de croissance en 2020. Comment rebondir ?
Le FMI et la Banque mondiale classent la Guinée parmi les pays qui ont le mieux résisté face à la pandémie. Les efforts budgétaires fournis pour faire face à la pandémie ont réduit le volant des investissements prévus à la même période. Nous en ressentons les effets, mais nous allons travailler à mieux capter les recettes intérieures. En 2026, nous espérons qu’elles atteignent un quart du budget national, contre 13 % aujourd’hui.