Politique

Assassinat de Sankara : le procès de Blaise Compaoré peut-il réconcilier les Burkinabè ?

La mise en accusation de Blaise Compaoré dans l’affaire de l’assassinat de Thomas Sankara, trente-quatre ans après les faits, peut-elle apaiser les tensions sur la scène politique burkinabè ? Ou, au contraire, risque-elle de les raviver ?

Réservé aux abonnés
Mis à jour le 15 avril 2021 à 14:49

L’ancien président burkinabè Blaise Compaoré à Milan, en 2012. © Luca Bruno/AP/SIPA

L’heure de la justice a-t-elle enfin sonné dans l’affaire de l’assassinat de l’ancien président Thomas Sankara et de ses compagnons ? Trente-quatre ans après les faits, la justice militaire a prononcé la mise en accusation de quatorze personnes. Parmi elles, l’ancien président Blaise Compaoré et son ex-chef d’État-major particulier, le général Gilbert Diendéré, qui devraient bientôt être jugés pour « attentat à la sûreté de l’État », « complicité d’assassinat » et « recel de cadavres ».

À Lire Assassinat de Sankara : Blaise Compaoré bientôt jugé

« La chambre de contrôle de l’instruction a décidé qu’il y avait suffisamment de charges à l’encontre de monsieur Blaise Compaoré et de treize autres personnes pour être renvoyés devant une chambre de jugement, s’est réjouit dans la presse locale Prosper Farama, un des avocats de la famille Sankara. Ce que nous attendons, c’est qu’il y ait une programmation le plus tôt possible dans le cadre de cette affaire. Les familles ont assez attendu. Il faut que chacun puisse s’exprimer afin que nous passions à autre chose. »

L’affaire Sankara, qui cristallise le débat public depuis des décennies, est l’un des dossiers à solder dans le cadre de la « réconciliation nationale » prônée par Roch Marc Christian Kaboré. Réélu à l’issue des élections de novembre 2020, le président burkinabè a créé un ministère dédié à cette cause, dirigé par l’ancien chef de file de l’opposition politique, Zéphirin Diabré.

Compaoré sera-t-il présent ?

Pour Ornella Moderan, chercheuse et responsable du programme Sahel à l’Institut d’études de sécurité, « le procès annoncé n’aurait jamais eu lieu si Blaise Compaoré n’avait pas quitté la présidence. Le processus judiciaire était entravé par des considérations politiques et par des questions de pouvoir au moins pendant les 27 premières années. C’est seulement à partir de 2015 que le sujet est revenu sur la table et qu’il y a eu des avancées dans l’enquête, même si celles-ci se sont également accompagnées de défis, notamment autour de la coopération judiciaire internationale ».

Cette décision marque une avancée importante pour les parties civiles. « Certes, elle intervient 34 ans après. Mais aujourd’hui, tout est réuni pour qu’il y ait une justice dans cette affaire. Les juges sont de plus en plus indépendants, le président du Faso ne fait plus partie du Conseil supérieur de la magistrature et plus personne n’est au-dessus de la loi », estime Luc Damiba, secrétaire général du Comité international mémorial Thomas-Sankara (CIM-TS).

Je ne crois pas qu’il soit assez courageux pour faire face à son passé

Une inconnue demeure cependant. Blaise Compaoré sera-t-il présent à son procès ? Si l’ancien président, installé en Côte d’Ivoire depuis sa chute en 2014, est sous le coup d’un mandat d’arrêt émis par la justice militaire, il bénéficie de la nationalité de son pays hôte et ne saurait être extradé sans l’aval des autorités ivoiriennes. « Cette nouvelle décision de justice douche les espoirs de retour de Blaise, estime Luc Damiba. Je ne crois pas qu’il soit assez courageux pour faire face à son passé ».

Au premier plan depuis les élections présidentielle et législatives de novembre 2020, sa famille politique, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), a pourtant fait de ce retour une question centrale de la « réconciliation nationale ». L’annonce du futur procès de son fondateur a été une surprise pour le parti, qui n’a fait aucune déclaration depuis. « On ne s’y attendait vraiment pas, admet un cadre, sous couvert de l’anonymat. Mais nous sommes des républicains et attendons que la justice fasse son travail et qu’elle soit équitable. »

À Lire Eddie Komboïgo : « J’ai toujours dit que le CDP était le premier parti du Burkina »

« On demande toujours son retour. Il doit rentrer dans son pays, ajoute un autre. C’est peut-être l’occasion de régler une bonne fois pour toutes les choses. Si les conditions sont réunies – sa sécurité, la garantie de bénéficier d’un procès équitable et et d’être traité comme un ancien chef d’État –, il viendra. »

Nouvelles tensions

« Au Burkina, tout le monde appelle de ses vœux la “réconciliation nationale”, mais en fonction de qui vous parle, ce terme ne signifie pas la même chose, analyse Ornella Moderan. Pour certains, c’est faire table rase du passé, tout pardonner, tout oublier. Cette idée est portée par ceux qui demandent le retour sans conditions de Blaise Compaoré, notamment sa famille politique et son parti historique, le CDP. Pour d’autres, la réconciliation nationale, c’est l’exact opposé. C’est livrer la justice pour qu’on puisse passer à autre chose. »

À Lire Roch Marc Christian Kaboré : « La réconciliation prend du temps, mais ce n’est pas du temps perdu »

Dans un entretien accordé à Jeune Afrique à la fin mars, Clément Sawadogo, vice-président du parti au pouvoir, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), qualifiait les discussions autour du retour de Blaise Compaoré et de l’ancien Premier ministre de la transition, Yacouba Isaac Zida, de « faux débat » : « Non pas parce que leur retour n’est pas quelque chose d’important. Mais je ne pense pas qu’il faille poser les questions de réconciliation autour de la situation de quelques personnalités », avait insisté celui qui est également coordonnateur de l’Alliance des partis et formations politiques de la majorité présidentielle.

Cette inculpation de Blaise Compaoré devrait en tout cas changer la donne sur la scène politique actuelle. Depuis son exil ivoirien, l’ancien président a conservé son influence. Pour Ornella Moderan, cette décision de justice « risque de tendre à nouveau les relations entre sa famille politique, dont le président, Eddie Komboïgo, est désormais le chef de file de l’opposition, et le pouvoir actuel ».