La formule « jamais deux sans trois » s’applique aussi pour les relations entre l’Algérie et la France. Alors qu’elle devait avoir lieu le 11 avril, la visite à Alger du Premier ministre français, dans le cadre du comité intergouvernemental franco-algérien, a été reportée à une date ultérieure.
Le report de ce court séjour de Jean Castex en Algérie a été décidé d’un commun accord à l’issue de concertations et d’un va-et vient diplomatique qui ont duré plusieurs jours. Jusqu’au dernier moment, les deux parties ont tenté de trouver un compromis pour sauver ce rendez-vous qui au fil des jours a connu des modifications aussi bien sur sa durée que sur la composition de la délégation française.
Plusieurs reports
Brouille, mésentente, coup de froid, bouderie, hostilités ou encore déchirure… Le report de cette petite escapade a évidemment donné lieu, comme il est de coutume avec les relations algéro-françaises, à diverses spéculations, interprétations et conjectures. « Il n’y a rien de tout cela, indique à Jeune Afrique une source diplomatique algérienne à Paris. Les conditions n’étaient pas réunies pour tenir un sommet de ce niveau. Ce ne sont pas les commentaires mal à propos prononcés ici et là qui vont brouiller des relations excellentes. »
Ce comité interministériel de haut niveau, le premier après celui de décembre 2017, auquel avait participé le Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia, devait initialement se tenir en janvier 2021 à Alger. En raison de l’hospitalisation du président algérien Abdelmadjid Tebboune en Allemagne après sa contamination au Covid-19, les Algériens ont demandé le report de la visite.
« Nous estimions que le couronnement de celle-ci devait être une audience entre le président et le Premier ministre français, avance un diplomate algérien. Le chef de l’État étant en convalescence dans une clinique en Allemagne, nous avions donc convenu de reporter le comité. » Alger propose alors que la visite se tienne dans le courant du mois de février, mais les deux parties ne sont pas parvenues à un accord sur ce nouvel agenda. Rendez-vous est alors pris pour le samedi 10 et dimanche 11 avril.
De huit ministres initialement prévus pour le voyage, la délégation française a été réduite à trois membres du gouvernement
Au menu de cette visite, de nombreux accords à signer, des dossiers à étudier ou des contentieux à régler dans les secteurs de l’économie, de l’emploi, de l’immigration et de l’éducation. Las ! La pandémie du coronavirus qui frappe la France change la donne et oblige Matignon à revoir ses plans. De huit ministres initialement prévus pour le voyage, la délégation française a été réduite à trois membres du gouvernement : Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, et Bruno Le Maire, son collègue de l’Économie, ainsi que le Premier ministre Jean Castex.
De deux jours, la durée du comité passe à une journée. « L’épidémie de Covid-19 ne permet pas aux deux délégations de se retrouver dans des conditions pleinement satisfaisantes, explique une source à Matignon. Jusqu’au bout, nous avons poursuivi les discussions pour trouver un terrain d’entente afin de maintenir cette visite. D’un commun accord, nous avons décidé de la reporter à une date qui conviendrait aux deux partenaires. »
« Partie remise »
Mais la dimension réduite de la délégation française ainsi que le format d’une journée ne convenaient pas aux Algériens. « Compte tenu du programme initialement tracé, nous n’aurions pas eu le temps de traiter tous les dossiers à fond, observe une source algérienne autorisée. Ce n’est que partie remise. »
Le report de cette visite a-t-il un lien avec l’annonce de la création à deux comités locaux à Dakhla, en territoire sahraoui, et à Agadir, de La République en marche, le parti d’Emmanuel Macron ? Un diplomate algérien botte en touche : « Nous avons pris acte, pas plus que ça ! Encore une fois, nos relations sont excellentes. » Le diplomate en veut pour preuve la présentation, lundi 12 avril, des lettres de créances de l’ambassadeur d’Algérie en France, Antar Daoud, au président Emmanuel Macron.
Les deux présidents se parlent régulièrement au téléphone
Aux cours des échanges entre les deux hommes, Macron a félicité l’ambassadeur pour le travail qu’il a accompli depuis son arrivée à Paris en octobre 2020. « Les deux présidents se parlent régulièrement au téléphone », précise le diplomate, comme pour souligner que Macron et Tebboune s’apprécient. À l’occasion de cette cérémonie de lettres de créance, Alger a fait part de son souhait que la France ouvre à Alger une ambassade de la principauté d’Andorre, dont Emmanuel Macron est co-prince. « Il s’est montré favorable à l’établissement de relations diplomatiques entre l’Algérie et Andorre », note une source proche de l’ambassadeur algérien.
« Ennemi traditionnel et éternel »
Le report n’aurait-il pas un lien avec la sortie récente du ministre algérien du Travail ? Le jour même de l’annonce du report de la visite, El Hachemi Djaâboub a qualifié la France « d’ennemi traditionnel et éternel » de l’Algérie, lors d’une séance de questions au gouvernement au Sénat, durant laquelle il a pointé le déficit de la Caisse de retraites en France pour relativiser celui de la sécurité sociale algérienne. Selon nos sources diplomatiques, la sortie du ministre ne relevait que de son appréciation personnelle, façon d’indiquer qu’il n’était pas en service commandé par le gouvernement ou la présidence.
Pas de gros nuages donc pour faire de l’ombre à cette embellie entre Alger et Paris ? Au-delà des sujets qui fâchent comme ceux de la mémoire et de la restitution des archives coloniales, il y a toujours eu des épisodes qui ont pimenté les relations entre les deux pays. Lundi 12 avril, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères déplorait les critiques algériennes à l’encontre de l’ambassadeur de France en Algérie, François Gouyette. Pour le porte-parole du Quai d’Orsay, les différentes déclarations à l’encontre de son représentant à Alger « ne reflètent ni la qualité de nos relations bilatérales, ni la dynamique de leur renforcement, soutenue au plus haut niveau par les autorités de nos deux pays ».
Ingérence
Sans le nommer, il visait directement le ministre algérien de la Communication, Ammar Belhimer, qui invitait François Gouyette à ne pas rencontrer des membres de l’opposition algérienne. Pour le ministre, cette attitude s’apparente à une ingérence dans les affaires algériennes, pour laquelle il n’hésiterait pas, le cas échant, « à prendre les mesures nécessaires ».
Par exemple une convocation de l’ambassadeur au siège du ministère des Affaires étrangères pour obtenir des explications ? Justement, ce 13 avril, l’ambassade de France à Alger s’est fendue d’un communiqué à l’attention du quotidien algérien Liberté qui, dans son édition du 8 avril consacrée à la visite de Castex, indique que François Gouyette a recommandé à des partis d’opposition de prendre part aux élections législatives du 12 juin comme seule solution pour sortir de la crise. Selon le journal, l’ambassadeur aurait fait valoir le risque d’ouvrir la voie aux islamistes en cas de boycott du scrutin.
« L’ambassadeur de France n’intervient pas dans la vie politique algérienne, ni n’incite quelque parti que ce soit à adopter une quelconque position vis-à-vis des scrutins algériens », indique le communiqué. La représentation française à Alger se défend également en affirmant que les échanges que mènent l’ambassadeur avec les différents acteurs politiques algériens relèvent de ses missions, dans le cadre des relations bilatérales.