Politique

RDC – Nouveau gouvernement : ce qu’il faut retenir des choix de Félix Tshisekedi

Après deux mois d’attente et de négociations, la RDC dispose enfin de son nouveau gouvernement, le premier de l’Union sacrée, la nouvelle coalition de Félix Tshisekedi.

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Mis à jour le 13 avril 2021 à 12:30

Le président congolais Félix Tshisekedi, le 5 septembre 2019 à Kinshasa. © Kay Nietfeld/ZUMA Press/REA

Plus de quatre mois après la rupture de la coalition entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila, l’attente aura été longue et les négociations laborieuses. Après plusieurs semaines de promesses et de faux espoirs, et au lendemain d’ultimes rumeurs annonçant le nouveau gouvernement dans la soirée de dimanche, le Premier ministre, Sama Lukonde Kyenge, a enfin dévoilé la composition de son équipe, ce lundi 12 avril.

Le chef du gouvernement l’a annoncé à l’issue d’un long entretien avec le chef de l’État, avant la lecture de l’ordonnance par le porte-parole de la présidence, Kasongo Mwema Yamba Yamba.

Ce nouvel exécutif vient concrétiser plusieurs semaines de tractations, menées depuis la nomination du Premier ministre le 15 février dernier. Évoquant un gouvernement de taille réduite par rapport au précédent, au sein duquel il y avait une « meilleure représentativité » des femmes et des jeunes, Sama Lukonde Kyenge a assuré qu’il était « représentatif » et « inclusif ».

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La nouvelle équipe compte de 57 membres (contre 66 auparavant), dont un Premier ministre, quatre vice-Premiers ministres, neuf ministres d’État, 31 ministres, un ministre délégué et 11 vice-ministres. Ce gouvernement, d’une moyenne d’âge de 47 ans, est composé de 27 % de femmes et de 80% de nouveaux visages, selon les décomptes du Premier ministre. Au total, dix membres du gouvernement de Sylvestre Ilunga Ilunkamba ont été reconduits.

UDPS, AFDC, UNC… Qui a obtenu quoi ?

L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, le parti de Félix Tshisekedi), qui compte 32 députés sur 500 à l’Assemblée nationale, récupère certains maroquins stratégiques. Le poste de vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur est confié à Daniel Aselo, jusque-là secrétaire général adjoint en charge des questions juridiques et stratégique au sein du parti présidentiel.

L’Alliance des forces démocratiques du Congo (AFDC) de Modeste Bahati Lukwebo, président du Sénat et pilier de l’Union sacrée, se voit notamment attribuer le ministère du Portefeuille, octroyé à Adèle Kayinda.

Les dissidents du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, de Joseph Kabila) récupèrent quatre portefeuilles, dont celui de vice-Premier ministre en charge de la Fonction publique, confié à Jean-Pierre Lihau.

La Justice, autrefois contrôlée par le PPRD, échoit à Rose Mutombo Kiesse, présidente du Cadre permanent de concertation de la femme congolaise (Cafco) et membre de la société civile.

Le chef de l’État s’est par ailleurs assuré le contrôle de plusieurs portefeuilles clés, dont des ministères régaliens. Nicolas Kazadi, l’un de ses influents conseillers et jusque-là ambassadeur itinérant, officiera désormais aux Finances.

Des partisans de Katumbi et Bemba

Ce nouveau gouvernement marque par ailleurs le retour dans l’exécutif des formations politiques de deux opposants, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba. Ensemble pour la République, qui dispose de 70 députés à l’Assemblée, obtient cinq ministères, même si plusieurs collaborateurs de l’ancien gouverneur du Katanga en espéraient huit.

Parmi ces nouveaux ministres figurent Christophe Lutundula, qui devient vice-Premier ministre en charge des Affaires étrangères, Christian Mwando, qui arrive au Plan, et Chérubin Okende, auteur de la motion de censure contre l’ancien Premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, qui devient ministre des Transports.

Le Mouvement de libération du Congo (MLC, de Jean-Pierre Bemba) hérite du poste de vice-Premier ministre en charge de l’Environnement, qui sera occupé par la secrétaire générale du parti, Eve Bazaiba.

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Principal partenaire de coalition de Félix Tshisekedi pour l’élection de 2018, l’Union pour la nation congolaise (UNC, de Vital Kamerhe) conserve quatre ministères, dont celui du Budget, qui est confié à Aimé Boji, secrétaire général intérimaire du parti (il remplace Jean-Baudouin Mayo, lui aussi de l’UNC). Molendo Sakombi reste ministre des Affaires foncières, tandis qu’Eustache Muhanzi devient ministre des Petites et moyennes entreprises. L’UNC perd cependant le poste de porte-parole du gouvernement, au profit de Patrick Muyaya, élu du PALU.

Les clés du casse-tête

Former le premier gouvernement de l’une des coalitions politiques les plus larges – les plus hétérogènes – de l’histoire du pays avait tout d’un casse-tête pour le chef de l’État. Après avoir opté un Premier ministre au poids politique assez modeste, Félix Tshisekedi se devait de répondre à plusieurs impératifs et tenter de limiter les frustrations au sein des partis qui l’ont aidé à renverser la majorité parlementaire autrefois détenue par Joseph Kabila.

Une exigence politique, pour le président congolais, qui souhaitait ainsi se prémunir au maximum d’éventuels blocages. Sama Lukonde Kyenge a d’ailleurs pris soin de préciser que ceux qui n’ont pas été nommés pourraient servir « dans d’autres secteurs ».

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Outre les dissidents du Front commun pour le Congo (FCC, la plateforme de Joseph Kabila), qui sont majoritaires, l’Union sacrée s’appuie sur Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, deux poids lourds venus de l’opposition, sans oublier l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et l’UNC.

Pour répartir les postes, plusieurs critères ont été appliqués, du respect de l’équilibre géographique à celui du seuil de parité. C’est d’ailleurs ce dernier argument pour expliquer le retard pris dans la formation du gouvernement, le nombre de femmes proposé par les différents partis étant trop faible.

Le poids politique de chaque formation a également compté, avec un seuil de huit députés pour sécuriser un portefeuille ministériel. Ceci étant, ces critères ont aussi dû être mis en balance avec les promesses et les engagements pris auprès des différents groupes, notamment par la « task-force » mise en place autour de Jean-Marc Kabund-a-Kabund, le président intérimaire de l’UDPS.

Une équipe toujours pléthorique

Félix Tshisekedi avait pour objectif de réduire sensiblement la taille de la nouvelle équipe gouvernementale pour réduire le train de vie de l’État. Le Premier ministre avait lui-même pris un engagement similaire le jour de sa nomination.

Si les premières estimations évoquaient une quarantaine de portefeuilles, force est de constater que les difficultés rencontrées lors des négociations ont amené le chef du gouvernement à revoir ce chiffre à la hausse pour finalement s’arrêter à 56 ministères. Soit seulement dix de moins par rapport à la précédente équipe.

Avec un gouvernement démissionnaire depuis la fin du mois de janvier, la RDC tourne depuis plusieurs mois avec une économie au ralenti. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle du début du mandat de Félix Tshisekedi, investi en janvier 2019. Il avait à l’époque fallu attendre huit mois pour que la RDC soit doté d’un gouvernement.

Dans un communiqué paru le 1er avril, l’Observatoire de la dépense publique (Odep) s’était alarmé des conséquences d’un tel blocage au sommet de l’État, dénonçant « des violations de la loi de finance », « un dépassement budgétaire de 113% » à la présidence et « des investissements à l’arrêt ». Une situation économique qui est d’autant plus délicate qu’elle se cumule à l’impact de la pandémie de covid-19.

Réformes à mener

Alors qu’il n’y a plus de conseil des ministres depuis le 16 octobre 2020, le chef de l’État se retrouve confronté à la nécessité de faire avancer son agenda de réformes. Son gouvernement va tout d’abord devoir se présenter devant le Parlement pour être investi – un vote qui servira de premier révélateur des éventuelles frustrations provoquées par la composition du gouvernement.

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Car si Félix Tshisekedi a désormais les mains libres, il va lui falloir fédérer les différentes forces politiques de l’Union sacrée, jusque-là concentrées sur le partage des postes.

Des questions clés, comme celles du cadre des prochaines élections ou des réformes à effectuer au sein de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) seront au cœur du débat.

Parmi les proches de Moïse Katumbi, certains ne cachent pas leur scepticisme. « Le problème est qu’en fonction des intérêts de chacun et des questions à l’ordre du jour, la majorité sera plus ou moins stable », expliquait l’un d’eux en fin de semaine dernière. Le premier test est prévu dès le mardi 13 avril, avec l’examen de la proposition de réforme de la loi organique portant sur le fonctionnement de la Ceni. Celle-ci sera portée par le nouveau ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula.


Le gouvernement de Sama Lukonde Kyenge :

 

• Vice-premiers ministres :

Intérieur, sécuritaire, décentralisation et affaires coutumières : M. Asselo Okito Wankoy Daniel
Environnement et développement durable : Mme Eve Bazaiba Masudi
Affaires étrangères : M. Lutundula Apala Christophe
Fonction publique, modernisation de l’administration et innovation du service public : M. Lihau Ebua Jean-Pierre

• Ministres d’État :

Justice, garde des sceaux : Mme Mutombo Kiese Rose
Infrastructures et travaux publics : M. Gizaro Muvuni Alexis
Portefeuille : Mme Kahinda Mayina Adèle
Plan : M. Mwando Nsimba Christian
Budget : M. Boji Sangara Aimé
Urbanisme et Habitat : M. Muabilu Mbayu Mukala Pius
Développement rural : M. Rubota Masumbuko François
Entrepreneuriat, petites et moyennes entreprises : M. Muhanzi Mubembe Eustache
Aménagement du territoire : M. Loando Mboyo Guy

• Ministres :

Défense nationale et anciens combattants : M. Kabanda Rukemba Gilbert
Enseignement primaire, secondaire et technique : M. Mwaba Kazadi Tony
Santé publique, hygiène et prévention : M. Bungani Mbanda Jean-Jacques
Finances : M. Kazadi Kadima Nicolas
Transport, voie de communication et de désenclavement : M. Okende Senga Cherubin
Agriculture: M. Nzinga Bilihanze Désire
Pêche et élevage : M. Bokele Djema Adrien
Economie nationale : M. Kalumba Yuma Jean-Marie
Industrie: M. Paluku Kahongya Julien
Intégration régionale: M. Mazenga Mukanzu Didier
Enseignement supérieur et universitaire : M. Muhindo Nzangi
Recherche scientifique et innovation technologique : M. Mpanda Kabangu José
Hydrocarbures: M. Budimbu Ntubuanga Didier
Postes Télécommunications et nouvelles technologies de l’information et communication: M. Kibassa Maliba Lubalala Augustin
Numérique : M. Kolongele Eberande Désiré-Cashmir
Emploi, travail et prévoyance sociale : Mme Ndusi Ntembe
Affaires foncières : M. Sakombi Molendo Aimé
Ressources hydrauliques et de l’électricité : M. Mwenze Mukaleng Olivier
Droits humains : M. Puela Albert Fabrice
Genre, famille et Enfants : Mme Ndaya Luseba Gisèle
Commerce extérieur : M. Bussa Tongba Jean Lucien
Mines : Mme Nsamba Kalambayi Antoinnette
Communication et Médias, porte-parole du gouvernement : M. Muyaya Katembwe Patrick
Affaires sociales, Actions humanitaires et Solidarité nationale : M. Mutinga Mutushayi Modeste
Formation professionnelle et métiers : Mme Kipulu Kabenga Antoinette
Jeunesse, initiation à la nouvelle citoyenneté et cohésion nationale : M. Bunkulu Zola Yves
Sport et loisirs : M.Tshembo Nkonde Serge
Tourisme : Nsimba Matondo Modero
Culture, arts et patrimoine : Mme Katumbu Furaha Cathérine
Relation avec le Parlement : Mme Karume Bakaneme Anne-Marie
Ministre près le Président de la République : Mme Manuanina Kihimba Nana
Ministre déléguée près le ministre des Affaires sociales, actions humanitaires, et solidarité nationale chargé des personnes vivant avec handicap et autres personnes vulnérables : Mme Esambo Diata Irène

• Vice-ministres :

Intérieur, sécurité, décentralisation et Affaires coutumières : M. Molipe Mandongo Jean-Claude
Affaires étrangères : M. Adubango Ahoto Samy
Justice : Bahibazire Mirindi Amato
Plan : M. Mbadu Panzu Crispin
Budget : Mme Bokumuamua Maposo Elysée
Défense nationale : Mme Tulugu Kutuna Séraphine
EPST : Mme Namasiya Bazego Aminata
Santé publique et prévention : Mme Kilumba Nkulu Véronique
Finances : Mme Onyege Nsele
Transport et voies de communication : M. Ekila Likombio Marc
Mines: M. Motemona Gibolum Godard