« Coup K.O. » ou chaos électoral ? C’est, en substance, les deux visions antagonistes que proposent les deux pôles du spectre politique béninois, à la veille du premier tour de la présidentielle du 11 avril. Les partisans du président sortant, candidat à un second mandat, espèrent que l’élection sera « pliée » dès dimanche soir, et que le ticket Patrice Talon-Mariam Chabi Talata l’emportera largement face aux concurrents Alassane Soumanou-Paul Hounkpè et Corentin Kohoué-Irénée Agossa. La frange radicale de l’opposition, dont une large partie des leaders vit à l’extérieur du pays, continue en revanche d’assurer que le scrutin ne se tiendra pas dans de bonnes conditions.
Contradictoires également, les analyses des violences qui ont éclaté à Savè, jeudi 8 avril, entre manifestants et forces de l’ordre. Dès mardi, cette ville réputée acquise à l’ancien président Thomas Boni Yayi a été le théâtre de manifestations, au lendemain de l’appel lancé par les opposants à investir les rues pour réclamer le départ de Patrice Talon et la libération de Reckya Madougou, candidate du parti Les Démocrates recalée par la Commission électorale nationale autonome (Cena), placée en détention préventive pour des faits présumé de « financement du terrorisme ».
Savè, épicentre des violences
Tandis qu’à Parakou, les manifestants ont incendié les locaux de radio Urban FM, propriété de Charles Toko, l’ancien maire de la grande ville du nord réputé proche du président, des heurts ont également éclaté à Tchaourou, toujours dans le fief du prédécesseur de Patrice Talon. À Savè, situé dans le même département des Collines, des manifestants ont installé un barrage à l’aide de troncs d’arbres, bloquant la circulation sur l’axe central. Les maisons de deux personnalités proches de la mouvance présidentielle ont été incendiées, et le péage situé sur la route principale a été saccagé. Le matin du 8 avril, des militaires dépêchés sur place depuis Parakou ont pris position. Et le face à face a rapidement tourné à l’affrontement.
C’est là que les militaires ont commencé à tirer
« Les gens refusaient de quitter la route, mais ils n’étaient pas armés lorsque les militaires ont ouvert le feu », affirme Denis Oba Chabi, le maire de Savè, membre des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE, opposition).
Assurant avoir été contacté dès le soir du 6 avril par les autorités pour engager une médiation avec les manifestants, il explique à Jeune Afrique avoir tenté d’apaiser la situation. « Mais jeudi matin, nous avons vu arriver les renforts militaires, sans avoir été prévenus. J’ai tenté encore de calmer les choses, mais les gens ont refusé de lever le blocage de la route, et c’est là que les militaires ont commencé à tirer. »
« Les forces de l’ordre ont répliqué face à des gens armés, des chasseurs qui les ont pris pour cible. Plusieurs policiers ont d’ailleurs été blessés », affirme au contraire Firmin Kouton, le préfet du département des Collines joint par JA. « Depuis mercredi, nous avons tenté de négocier avec eux. Ils ont parfaitement le droit de manifester pacifiquement, mais nous ne pouvions pas tolérer qu’ils bloquent ainsi la route et s’attaquent à des biens publics et privés. Devant l’ampleur des dégâts, il a donc été décide de déployer les militaires », précise le préfet.
Selon plusieurs témoins sur place, au moins une personne a été tuée par balles, jeudi 8 avril, lors des affrontements. Un autre homme serait mort de ses blessures à l’hôpital, a pour sa part assuré le maire de Savè.
Si des tirs ont été à nouveau entendus à Savè ce matin du 9 avril, la situation semblait cependant calme à la mi-journée. Sans que la violence ait atteint le même degré, les manifestations organisées ailleurs dans le pays ont fait monter les tensions à la veille du scrutin.
« Pendant deux jours, le gouvernement a pris de la hauteur, et a considéré que, bien qu’illégales, ces manifestations n’étaient que des mouvements d’humeur », a martelé Alain Orounla, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement devant la presse. Une « tolérance » qui a été « perçue comme une faiblesse », juge le ministre, qui assume : le gouvernement a « pris ses responsabilités ».
Parmi les personnalités arrêtées, Alexandre Hountondji et Elie Djénontin
Depuis le début de la semaine, les forces de l’ordre ont d’ailleurs procédé à de nombreuses interpellations. Parmi les personnalités arrêtées, Alexandre Hountondji, ancien ministre de Boni Yayi, ou encore Elie Djénontin, fils de Valentin Djenontin, ancien ministre de Yayi lui-aussi, qui vit actuellement en France et est sous le coup d’une condamnation à deux ans de prison pour « vol et diffusion de documents administratifs » depuis 2019.
Corentin Kohoué menace de se retirer
« Ces violences sont inquiétantes. On ne peut pas verser le sang de la population au nom de ses ambitions politiques. Si les choses ne s’apaisent pas, je pense sérieusement à me retirer du processus », a déclaré à Jeune Afrique Corentin Kohoué, candidat indépendant à l’élection de dimanche régulièrement accusé par une partie de l’opposition d’être un « faire-valoir » face à Patrice Talon. Dissident du parti Les Démocrates, Corentin Kohoué réclame aujourd’hui « une enquête pour que l’on sache ce qu’il s’est passé à Savè », mais assure dans le même temps vouloir « tout faire pour éviter d’envenimer la situation ».
Autre challenger du président sortant, Alassane « Djimba » Soumanou, candidat des Forces cauris pour un Bénin émergent, en tournée dans le nord du pays, n’était pas joignable en cette fin de semaine intense pour les candidats. Un membre de son équipe assure cependant que, de son côté, il a pu mener la campagne « de manière relativement sereine ». « Nous n’avons pas les moyens du duo Talon-Talata, qui a le budget de l’État à sa disposition, mais nous avons pu organiser plusieurs meetings et aller au contact des populations, qui nous ont fait bon accueil », assure un cadre des FCBE.
« On est loin de la fête de la démocratie que Patrice Talon nous a promis pour ce scrutin », regrette Joël Aïvo, dont la candidature a été rejetée par la Cena, faute de parrainages, qui s’est fendu d’un long texte publié sur les réseaux sociaux appelant, comme il le fait depuis plusieurs semaines, le président béninois à mettre un terme au processus électoral.
« Ces manifestations sont la preuve que les Béninois ne veulent plus entendre parler de Patrice Talon, et qu’ils veulent mettre fin à cette élection qui n’en est pas une », tranche au contraire Léhady Soglo. Aux côtés de l’ancien ministre Komi Koutché ou de l’activiste Léonce Houngbadji, le fils de l’ancien président Nicéphore Soglo, ancien maire de Cotonou, compte parmi les principaux opposants en exil à multiplier les appels à manifester sur les réseaux sociaux.
Condamné à dix ans de prison pour des faits d’abus de fonction par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), il vit actuellement en France. Son frère, Ganiou Soglo, est en revanche de retour au Bénin, mais se montre particulièrement discret dans les médias. Candidat à la présidentielle – il avait été recalé car, refusant de reconnaître la légitimité des réformes constitutionnelles, il n’avait pas présenté de colistier pour le poste de vice-président – il se remet d’une attaque à main armée dont il a été victime début février, dont les auteurs n’ont pour l’heure pas été identifiés.
Patrice Talon « serein et déterminé »
Les partisans de Patrice Talon sont plus que jamais persuadés que la victoire est acquise. Et même que le chef de l’État béninois sera réélu dès dimanche, au soir du premier tour. « Nous ne sommes malheureusement pas surpris par ces actes de violences. Depuis des semaines, nous savons qu’une entreprise de déstabilisation de notre pays était en cours. Ces faits nous donnent raison », lâche l’un des proches du chef de l’État. « Mais force restera à la loi. Les Forces de défense et de sécurité assurent la défense de l’intégrité du territoire et la sécurité des populations. »
Dans un entretien accordé à Jeune Afrique en milieu de semaine, Wilfried Léonce Houngbedji, l’un des deux portes-paroles de Patrice Talon dans cette campagne, avait fixé le cap : « Nous voulons rassurer les populations, leur dire de ne pas céder à la peur et de sortir massivement accomplir leur devoir citoyen le 11 avril. »
La montée de tensions ne serait le fruit que de l’exagération de certains médias
« Patrice Talon n’a aucune crainte quant au bon déroulement du scrutin, assure en écho un autre de ses conseillers. Les commanditaires de ces violences essaient tant bien que mal de souffler sur les braises dans quelques localités pour empêcher les populations d’aller voter, mais c’est un phénomène circonscrit. »
L’objectif du « coup K.O. » est plus que jamais d’actualité au sein de l’état major de campagne du président-candidat, qui a multiplié les meetings jusqu’aux dernières heures de la campagne. La montée de tensions ne serait le fruit que « de l’exagération de certains médias », estime encore un membre de la garde rapprochée de Patrice Talon qui, à quarante-huit heures du premier tour de l’élection où il remet son mandat en jeu, serait – à l’en croire –, « très serein et déterminé ».