Un voyage dans le Golfe, qui devait durer deux jours, a viré au cauchemar judiciaire pour Abdelmoumen Ould Kaddour, qui dirigea le groupe pétrolier Sonatrach d’avril 2017 à avril 2019.
Tout commence le samedi 20 mars. Ce jour-là, Ould Kaddour monte dans un avion à Paris, direction Dubaï, où il a des rendez-vous. Il doit ensuite gagner le Qatar, qu’il connaît bien pour y avoir vécu et travaillé en tant que consultant international dans les années 2000.
En France, les formalités douanières et policières se déroulent sans encombre pour l’ancien oligarque, qui se sait pourtant dans le collimateur de la justice algérienne.
Qu’a-t-il dit au juge ?
Arrivé à Dubaï, c’est la douche froide. La police des frontières l’arrête, en vertu d’un mandat d’arrêt international lancé, en février, par le parquet d’Alger. L’attente dans les locaux de la police, à l’aéroport international, dure plusieurs heures, jusqu’à ce que l’ancien PDG de Sonatrach soit transféré à Abou Dhabi et présenté, dans la soirée, au procureur fédéral.
Sur le bureau du magistrat, des notes qui lui ont été transmises le jour-même, vraisemblablement par l’ambassade d’Algérie. C’est sur la base de ces éléments qu’il interroge Ould Kaddour, pendant plus de deux heures, en présence d’un greffier.
Trois affaires intéressent le magistrat émirati. La première concerne l’acquisition, par Sonatrach, de la raffinerie Augusta, jusque-là détenue par Esso Italiana (filiale de l’américain ExxonMobil). Sous le feu roulant des questions, l’ex-PDG déroule le fil de son parcours professionnel, remontant jusqu’en 2009.
Condamné, dans une énigmatique affaire d’espionnage, à trois ans de prison en sa qualité de directeur de BRC-Brown & Root Condor (une coentreprise de Sonatrach et Kellogg Brown & Root), il avait été libéré, cette année-là, après seize mois de détention à la prison militaire de Blida, puis était parti s’installer à Doha.
Au procureur émirati qui l’interroge, il explique qu’il y était, à l’époque, consultant international dans le domaine de l’énergie – fonctions qu’il avait occupées jusqu’à ce que la présidence algérienne lui demande, en avril 2017, de prendre les rênes de Sonatrach.
Raffinerie Augusta
Voici ce qui vaut à Ould Kaddour d’être aujourd’hui recherché par la justice algérienne. Le 1er décembre 2018, Sonatrach acquiert donc la raffinerie Augusta, située dans le sud de l’Italie, pour un peu plus de 800 millions de dollars.
À l’origine, les dirigeants du groupe algérien lorgnaient deux autres raffineries : celle de Sarroch (de l’italien Saras), en Sardaigne, et celle d’ISAB (du russe Lukoil), en Sicile. Les jugeant excessivement chères (autour de 2,4 et 2,3 milliards de dollars), ils renoncent, et leur préfèrent Augusta. Le montant de cette acquisition soulève néanmoins des interrogations en Algérie, tout comme l’état des installations, vieilles de plus de quarante ans.
Devant le procureur émirati, Ould Kaddour soutient que l’achat avait été approuvé, en amont, par la présidence algérienne et par le gouvernement, que dirigeait Ahmed Ouyahia (celui-ci purge aujourd’hui plusieurs peines de prison). Toujours à l’en croire, l’opération avait également reçu l’aval du conseil d’administration de Sonatrach, où siègent des représentants de la présidence, des ministères de l’Énergie et des Finances, de la Direction des impôts et de la Banque d’Algérie.
Pourquoi ce dossier vaut-il aujourd’hui à Ould Kaddour des poursuites et une notice rouge d’Interpol ? Dans la foulée de toute une série d’enquêtes pour « faits de corruption », diligentées à l’encontre de ministres, de généraux et d’oligarques de l’ancien régime, la justice algérienne a ouvert, en juillet 2020, une instruction sur la raffinerie Augusta.
C’est ainsi qu’Ahmed El-Hachemi Mazighi, ancien vice-président chargé de la commercialisation à Sonatrach, a été placé sous mandat de dépôt à la prison d’El Harrach et inculpé pour « dilapidation d’argent public et usurpation de fonctions ». Conseiller d’Abdelmoumen Ould Kaddour à l’époque, Mazighi avait dirigé pendant plus d’un an les négociations qui aboutirent à l’achat d’Augusta. La justice algérienne souhaite donc que l’ex-PDG de Sonatrach, qu’elle soupçonne d’être lié à cette affaire de corruption présumée, soit extradé.
Renvoi d’ascenseur ?
Le procureur émirati n’a pas passé ce seul dossier au crible. Il a aussi interrogé Ould Kaddour sur un contrat que ce dernier aurait prétendument signé, un an après son départ de Sonatrach, et qui aurait fait de lui un consultant d’ExxonMobil – société à qui a précisément été achetée la raffinerie d’Augusta. Conflit d’intérêt ? Renvoi d’ascenseur ? Recrutement de complaisance pour services rendus ?
Au procureur, l’ex-PDG a répondu qu’il n’avait jamais été recruté par Exxon ni, d’ailleurs, par une autre compagnie. À l’en croire, cette accusation a été lancée, en février 2020, sur un blog hébergé par le site Mediapart, et, depuis, ce billet a été supprimé au motif qu’il « ne respectait pas la charte de participation [du journal en ligne] ».
Surfacturations et détournements de fonds
Troisième affaire à propos de laquelle Ould Kaddour a été mis interrogé : celle dite « de BRC ». Elle éclate en 2007, à la suite de la divulgation d’un rapport de l’Inspection générale des finances révélant l’existence d’une vaste opération de surfacturations, de sous-traitance, de surcoûts et de détournements de fonds dans les marchés que BRC avait obtenus auprès de Sonatrach et du ministère algérien de la Défense, de 2001 à 2005. Montant total : 2,1 milliards de dollars.
Mis en difficulté, Chakib Khelil, le ministre de l’Énergie, liquide la coentreprise au cours de l’été 2007 (il fuira et s’installera aux États-Unis par la suite). Mais, en février 2020, le parquet d’Alger annonce l’ouverture d’instructions judiciaires le visant ainsi qu’Abdelmoumen Ould Kaddour. Les enquêtes, toujours en cours, sont entre les mains du magistrat instructeur de la Cour suprême.
Passeport confisqué
Ce 20 mars 2021, au terme d’une audition qui aura duré plus de deux heures, l’ancien PDG de Sonatrach est ressorti libre du bureau du procureur émirati. Son passeport lui a toutefois été confisqué, avec interdiction de quitter Abou Dhabi et obligation de rester à la disposition de la justice en attendant d’éventuels développements de l’enquête. Pour défendre ses intérêts, Ould Kaddour s’est adjoint les services de deux avocats, l’un en France, l’autre à Dubaï.