Tunisie : requiem pour la Cour constitutionnelle

Le président Kaïs Saïed a refusé le 3 avril de ratifier le projet de loi sur la mise en place de la Cour constitutionnelle. Explications.

Le président tunisien Kais Saied. © Hichem

Le président tunisien Kais Saied. © Hichem

Publié le 7 avril 2021 Lecture : 4 minutes.

C’est une longue missive manuscrite aux allures de parchemin qui donne un coup de semonce à la mise en place de la Cour constitutionnelle en Tunisie. Le 3 avril, le président de la République Kaïs Saïed a refusé de ratifier le projet de loi sur la mise en place de la Cour constitutionnelle, une décision qui revient à paralyser le système institutionnel tunisien.

Le locataire de Carthage invoque la Constitution qui précise que la Cour constitutionnelle doit être créée dans l’année suivant les premières élections législatives [post-révolution]. Ce délai n’a effectivement pas été respecté : depuis 2014, les députés ne sont parvenus à s’accorder que sur un des membres sur les quatre qu’ils doivent élire parmi les douze que compte la Cour constitutionnelle. Quatre autres sont à désigner par le président de la République et les quatre restants par le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM).

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Date limite dépassée

Désaccords politiques, tensions, absence de majorité ont compromis depuis 2015 le vote. Pourtant, à plusieurs reprises la gouvernance du pays a été confrontée à l’absence de Cour constitutionnelle et à la nécessité d’un arbitrage, notamment lors du décès du président Béji Caïd Essebsi en juillet 2019. Mais Ennahdha, la première force à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), n’est pas parvenue à obtenir un consensus sur les trois autres membres de la Cour que le Parlement doit choisir, d’autant que ces membres jouissent d’un long mandat de neuf ans.

Mohamed Bouzghiba, candidat qu’Ennahdha souhaite porter à la présidence de la Cour constitutionnelle, est membre de l’Union internationale des savants musulmans fondée par le prédicateur Youssef al-Qaradawi. « Il pourra interpréter d’une manière orthodoxe l’article 1 de la Constitution qui stipule que la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, et que l’islam est sa religion sans préciser qui de la Tunisie ou de l’État a l’islam pour religion. Même si l’article 2 précise que l’État est civil, une application drastique de la charia demeure possible » commente un avocat.

Le locataire de Carthage invoque la Constitution qui précise que la Cour constitutionnelle doit être créée dans l’année suivant les premières élections législatives [post-révolution]

Kaïs Saied n’a surpris personne en refusant de signer le projet de loi : certains ont évoqué la possibilité pour la future Cour constitutionnelle de destituer le président. Un argument que ne reprend pas Kaïs Saïed, qui préfère appuyer sa décision sur des arguments juridiques en assurant, en substance, que les délais sont dépassés. Tout en prévenant d’une tentative d’amendement de la constitution en renvoyant à son article 144 qui stipule que tout amendement de la loi fondamentale doit d’abord être soumis à… la Cour constitutionnelle. Laquelle n’existe pas.

Un cercle plus vicieux que vertueux, qui rend de fait impossible la création d’une telle cour, seule à pouvoir se prononcer, entre autres, sur la constitutionnalité des projets de loi, des projets de réforme de la Constitution ou encore des traités internationaux. De son côté, l’Assemblée encaisse le coup. Kaïs Saïed fait le jeu de ceux qui voudraient aller vers des élections anticipées, même si au regard des arguments du président, elles ne changeraient rien au blocage institutionnel.

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Décision politique

L’Assemblée maintient sa plénière du 8 avril pour examiner la réponse de Kaïs Saïed mais elle peut aussi décider de maintenir le texte actuel, et de tenter, malgré les disparités politiques, de réunir 130 voix pour les trois autres membres que doit présenter le parlement. Cela ne résoudra rien dans le fond : « Dans tous les cas, pour que la Cour soit opérationnelle, ses membres doivent prêter serment devant le président, il pourra le refuser comme il l’a fait après le remaniement ministériel pour lequel il n’a pas été consulté » spécifie Zyed Krichen, directeur du journal Le Maghreb.

Ce ne serait pas le seul cas de figure qui empêcherait la Cour de siéger. « Le président peut ne pas procéder à la promulgation de la loi. La Constitution reste muette sur cette hypothèse très particulière. Le sort de la loi relative à la Cour constitutionnelle est donc suspendu à une décision politique » estime le professeur de droit constitutionnel, Haykel Ben Mahfoudh. Entre temps, personne ne peut dire aux Tunisiens comment faire pour avoir une Cour constitutionnelle si celle-ci ne peut être mise en place.

Pour que la Cour soit opérationnelle, ses membres doivent prêter serment devant le président qui pourra le refuser comme il l’a fait après le remaniement ministériel pour lequel il n’a pas été consulté

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« En moins de deux mois, Kaïs Saïed a bloqué deux projets importants : la Cour constitutionnelle et l’initiative du Dialogue national. Ni en campagne, ni à aucun autre moment il n’a signifié que la Cour était, selon lui, périmée. Finalement que veut-il ? » s’interroge un député. Indirectement, Saïed répond lors d’un déplacement le 6 avril à Monastir pour la commémoration de la mort de Habib Bourguiba, en évoquant« une autre Constitution ».

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