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Coronavirus – Kamel Djenouhat : « En Algérie, la situation épidémique s’est stabilisée grâce à l’immunité collective »

En dépit de la reprise des marches du Hirak et de la réouverture des lieux publics, le pays échappe pour le moment à la troisième vague du Covid-19. Les explications du professeur Kamel Djenouhat, président de la Société algérienne d’immunologie.

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Mis à jour le 8 avril 2021 à 11:21

Le professeur Kamel Djenouhat. © Louiza Ammi

Cent quarante. C’est le nombre de personnes infectées par le Covid-19 en Algérie pour la seule journée du 6 avril (la moyenne s’est stabilisée autour de 113 nouveaux cas quotidiens depuis une semaine). Loin des milliers, voire des dizaines de milliers, de nouveaux cas déclarés dans un certain nombre de pays européens, le tout en dépit de la reprise des marches hebdomadaires du Hirak, du non-respect généralisé des gestes-barrières et de l’ouverture des espaces de restauration et de loisirs.

Le professeur Kamel Djenouhat, chef du service d’immunologie de l’hôpital de Rouïba, dans la banlieue d’Alger, analyse les raisons pour lesquelles la situation épidémique semble sous contrôle en Algérie.

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Jeune Afrique : Comment expliquez-vous que la situation épidémique se stabilise en Algérie ?

Kamel Djenouhat : Le nombre de nouveaux cas ne peut diminuer que si l’une de ces quatre conditions est acquise : le confinement total, le respect des gestes-barrière, les mutations du virus et l’immunité collective. Examinons une à une ces quatre conditions. Depuis le début de la pandémie, l’Algérie a préféré adopter le principe du confinement partiel. La distanciation physique, le port du masque et le lavage des mains ne sont plus respectés par une grande partie des citoyens.

Lors de la deuxième vague, presque toutes les familles ont été en contact avec le virus »

Un changement de comportement du virus, par des mutations le rendant moins transmissible ou moins pathogène, n’est ni affirmé ni infirmé, car l’on n’a pas les moyens d’explorer ce volet de la génétique virologique. Certes, la fermeture des frontières aériennes et terrestres [depuis le mois de mars 2020, à l’exception de vols de rapatriement] a influé [favorablement] sur la maîtrise de la situation sanitaire, mais le développement d’un certain degré d’immunité collective reste l’unique explication, à mon avis, de la stabilisation de l’épidémie.

Quels sont les arguments en faveur de cette thèse ?

L’intensité de la deuxième vague [1085 nouveaux cas recensés à son acmé, le 26 novembre 2020] a été telle que presque toutes les familles ont été en contact avec le virus par le biais d’un de leurs membres, sans nécessairement développer des symptômes. D’après les données scientifiques, le nombre de malades asymptomatiques peut atteindre jusqu’à 80% des sujets en contact avec le virus.

Ensuite, le faible nombre des réinfections peut être dû à la protection relative dont ont bénéficié les patients qui avaient été en contact avec le virus durant la première vague. Enfin, le confinement partiel favorise le ralentissement de la transmission du virus.

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Selon une enquête épidémiologique que vous avez réalisée avec votre service, les Algériens auraient acquis une immunité collective de 50 %. Avez-vous pu réunir de nouvelles données depuis ?

Nous avons commencé cette enquête en juin 2020 dans un hôpital de la région Est de la capitale. Il s’agit d’une étude monocentrique [incluant un faible nombre de patients], ciblant la prévalence de la séroconversion [c’est-à-dire le nombre de personnes ayant une sérologie Covid-19 positive, témoignant d’un contact certain avec le virus], observée chez des donneurs de sang censés être exempts de toute maladie, y compris du Covid-19, puisqu’ils ont été préalablement soumis à une consultation médicale sélective.

Durant la période juin-juillet 2020, juste après la première phase du déconfinement, nous avons constaté que seulement 5 % de ces donneurs de sang (soit 400 personnes) avaient contracté le virus.

La fermeture des frontières a contribué à nous prémunir contre la troisième vague »

La deuxième partie de notre étude a débuté en septembre 2020. L’enquête a duré deux mois, jusqu’au début de la deuxième vague. On a alors constaté que 22% d’un autre échantillon de donneurs de sang (plus de 700 sujets) avaient une sérologie positive.

La dernière partie de l’étude, engagée au début de janvier 2021, se poursuit. Elle porte sur environ 1000 donneurs de sang. Selon nos résultats préliminaires, le taux de séropositivité est d’environ 50 %.

C’est donc ainsi que l’Algérie a échappé à une troisième vague ? 

L’arrivée de la troisième vague dans les pays dont les frontières sont restées ouvertes était prévisible. En Algérie, nous avons échappé à cette vague (qui est la conséquence de la circulation à grande vitesse des nouveaux variants britanniques) par le maintien de la fermeture des frontières. De plus, le degré d’immunité collective que nous avons acquis a permis de ralentir la transmission du virus à l’intérieur du pays.

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Quelles mesures préconisez-vous pour profiter de cette période d’accalmie et procéder à une campagne de vaccination massive ?

Effectivement, le moment est opportun pour lancer une campagne de vaccination massive. Lorsqu’ils sont soumis à des pressions, les virus en général, et le Covid-19 en particulier, essayent toujours de trouver une échappatoire.

Le vaccin constitue l’un des moyens de pression sur le virus»

Le vaccin constitue l’un des moyens de pression sur le virus, qui va alors chercher à vaincre le système immunitaire par le biais de nouveaux variants. C’est la raison pour laquelle il faut procéder rapidement à une campagne de vaccination à grande échelle.

Comment préserver la maîtrise de la situation sanitaire lorsque les autorités autoriseront la reprise des vols internationaux  ? 

L’ouverture des frontières aériennes, maritimes et terrestres relève des prérogatives des autorités publiques. Néanmoins, je pense qu’elles sont sensibilisées, grâce au Comité scientifique de suivi de l’épidémie, au risque inhérent à la reprise des vols internationaux.

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Des mesures seront probablement prises : un test PCR négatif, un nouveau test PCR ou antigénique après cinq jours de confinement et/ou éventuellement la création d’un passeport vaccinal. C’est en tout cas mon avis, celui d’un médecin, professeur en immunologie, qui cherche à prémunir l’Algérie contre l’arrivée de nouveaux variants.