Tunisie : « Michel Foucault n’était pas pédophile, mais il était séduit par les jeunes éphèbes »

Le philosophe français s’est-il livré à des actes pédophiles durant sa période tunisienne ? C’est en tout cas ce que rapporte l’essayiste Guy Sorman. JA a interrogé des témoins de l’époque.

Le philosophe et essayiste Michel Foucault. © OZKOK/Archives SIPA

Le philosophe et essayiste Michel Foucault. © OZKOK/Archives SIPA

Publié le 1 avril 2021 Lecture : 4 minutes.

Pourquoi l’essayiste français Guy Sorman, 77 ans, a-t-il choisi ce moment pour sortir du silence ? Dans son Dictionnaire du Bullshit (éditions Grasset) paru fin février, il accuse Michel Foucault (1926-1984) d’actes pédocriminels et revient sur un séjour à Sidi Bou Saïd où il a côtoyé le philosophe français qui vivait dans le village et enseignait la philosophie à la Faculté des lettres et sciences humaines de Tunis depuis 1965.

Il y avait des enfants de 8, 9, 10 ans, qui lui couraient après. Il leur jetait de l’argent en leur disant : « Rendez-vous à 22 heures à l’endroit habituel »

« Ce sont des choses parfaitement ignobles avec de jeunes enfants, des choses d’une laideur morale extrême » assène encore Guy Sorman il y a quelques semaines sur le plateau de France 5. Avant de préciser, au cours d’un entretien accordé il y a quelques jours au Sunday Times : « Il y avait des enfants de 8, 9, 10 ans, qui lui couraient après, raconte-t-il. Il leur jetait de l’argent en leur disant : “Rendez-vous à 22 heures à l’endroit habituel.” » Des accusations qui reposent donc sur les souvenirs de Guy Sorman.

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À Sidi Bou Saïd, beaucoup se souviennent encore de l’homme introverti et ascétique qui avait emménagé en 1966 Place Sidi Hassine dans une maison ouverte sur la baie de Tunis. Sidi Bou Saïd vivait à l’époque un syncrétisme entre le mode de vie ancestral et codé des notables tunisois et une population plus cosmopolite. Le village maraboutique, qui n’avait autorisé l’accès aux non-musulmans qu’à la fin du XIXe siècle, était devenu avec l’après-guerre, le repaire d’artistes et d’intellectuels. « Un phalanstère magique, préservé et privilégié » se souvient un riverain du temps où « le vendeur de cartes postales n’avait pas remplacé le marchand de légumes devant le Café des Nattes ».

« Jeunes éphèbes »

Les témoins de cette époque bohème ne semblent pas conserver les mêmes souvenirs que Guy Sorman : « Personne ne dénonce les actes d’autres illustres visiteurs, comme André Gide, qui ne cachaient pas leurs penchants », commentent les habitués du Café des Nattes. Le village avait adopté le philosophe et ami du journaliste Jean Daniel, un inconditionnel épris des lieux. Certains ont encore des anecdotes sur ces années 1966-1968 où Foucault écrivit L’Archéologie du savoir face à la Méditerranée.

L’un d’eux raconte combien le village avait ri quand l’employée de maison de Foucault avait poussé les hauts cris après que son fils lui eut traduit en arabe l’incipit d’Ainsi parlait Zarathoustra. « Dieu est mort et personne ne me l’a dit » hoquetait-elle en cherchant confirmation auprès du voisinage, sûre que « les livres ne mentaient pas ». Ce temps-là était aussi celui de l’agitation et de la mobilisation des étudiants en Tunisie. « J’ai fait mai 68, en mars 68 à Tunis » rétorquait Foucault au philosophe Herbert Marcuse qui lui reprochait de ne pas avoir été présent durant les évènements de mai à Paris. Durant ces mois intenses en débats et actions, il a conçu une réelle admiration pour la détermination des jeunes Tunisiens du mouvement de gauche Perspectives, dont la répression lui a inspiré Surveiller et punir (1975).

C’est cet homme, qu’un demi-siècle plus tard, Guy Sorman accuse d’avoir emmené de jeunes enfants dans le cimetière de Sidi Bou Saïd pour s’y livrer à des actes sexuels. L’idée de bacchanales autour des tombes choque les villageois : « Comme dans tout village, on n’est jamais seul et le cimetière, surtout sur cette terre maraboutique, est un lieu sacré que nul n’oserait profaner pour ne pas contrarier la baraka de Sidi Jebali, saint patron des lieux » réagit un « fils de Sidi Bou Saïd ».

« Foucault n’était pas pédophile mais était séduit par les jeunes éphèbes. Des gars de 17 ou 18 ans qu’il retrouvait brièvement dans les bosquets sous le phare voisin du cimetière. »

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Moncef Ben Abbes, véritable mémoire du village, est catégorique : « Foucault n’était pas pédophile mais était séduit par les jeunes éphèbes. Des gars de 17 ou 18 ans qu’il retrouvait brièvement dans les bosquets sous le phare voisin du cimetière. » La majorité civile est alors fixée à 20 ans. Une précision proche de celle de Jean Daniel qui rapportait dans un portrait de Michel Foucault à Sidi Bou Saïd qu’« il était, le plus discrètement du monde, homosexuel. Sans les rumeurs des petits voyous du village, personne ne s’en serait douté ».

Machination politique ?

Le philosophe français était en tout cas dans le viseur des autorités qui souhaitaient l’écarter de l’université et l’expulser en raison de son soutien au soulèvement étudiant de gauche.

Fathi Triki assure lui qu’« il n’a pas été contraint de quitter la Tunisie mais avait déjà signé avec la faculté de Vincennes »

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A cette époque, le ministre de l’Intérieur n’est autre que Béji Caïd Essebsi (1926-2019), né à Sidi Bou Saïd. « Il n’aurait toléré aucun scandale, mais savait que le village s’auto-régulait. Deux auteurs d’actes pédophiles ont été très discrètement bannis du village bien qu’étant fils de notables » rapporte un proche de l’ancien président de la République.

Les témoignages divergent sur les raisons du départ de Michel Foucault. Kerim Bouzouita, spécialiste en communication politique se réfère à Daniel Defert, compagnon du philosophe dont il a recueilli les propos pour sa thèse, estime que Foucault aurait été poussé vers la sortie après le témoignage compromettant d’un individu de 18 ans avec qui il aurait eu une relation sexuelle et qui aurait été soudoyé par la police politique. L’ancien doyen de la Faculté de Sfax et disciple de Foucault, Fathi Triki assure lui qu’« il n’a pas été contraint de quitter la Tunisie mais avait déjà signé avec la faculté de Vincennes ». « Ce qui se raconte là est très malsain » conclut-il.

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