« Il est libéréééé ! », hurle au téléphone cette supportrice de Laurent Gbagbo près d’une enceinte au volume poussé au maximum. La musique, mêlée de cris de joie, s’entend bien au-delà des murs d’enceinte du QG du Front population ivoirien (FPI), branche GOR – pour « Gbagbo ou rien » – , situé dans le quartier de la Riviera 3 à Cocody . Quelques dizaines de supporters de l’ancien président dansent sur les pavés de la cour, brandissent des pancartes à son effigie, se tapent dans le dos, s’embrassent et lèvent leurs verres au retour rapide, ils l’espèrent, de l’ancien président sur ses terres natales.
Les pagnes sont prêts, et depuis bien longtemps. Quelques heures après la confirmation par la chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) de son acquittement prononcé en première instance le 15 janvier 2019, ses fidèles n’attendent dorénavant plus que ça. « On souhaiterait qu’il rentre rapidement. (…) Son arrivée doit être l’amorce d’un processus qui ramène les Ivoiriens autour de la table de discussion pour que, à partir de là, la Côte d’Ivoire retrouve la paix », confie Hubert Oulaye, pilier du parti, ancien ministre de Gbagbo et député de Guiglo. Il se dit enfin « libéré » et « léger »: « C’est le président qui est délivré, mais ce sont également tous ses compagnons, tous ses proches, et je dirais même toute la Côte d’Ivoire. »
« Mener la réconciliation à terme »
« Au FPI, nous souhaitons qu’ils soient avec nous. Plus rien ne le retient », s’impatiente Sébastien Dano Djédjé, vice-président du parti chargé du dialogue politique et de la réconciliation, faisant référence à la levée de toutes les restrictions liées à son contrôle judiciaire et au fait qu’il a obtenu ses passeports le 4 décembre. Sébastien Dano Djédjé compte bien célébrer ce « moment très important dans la vie politique du pays ». Depuis des mois, le premier cercle de Laurent Gbagbo, une quinzaine de proches regroupés au sein d’un « comité national d’accueil », se préparent à ce retour historique qui interviendra au mois d’avril assurent-ils, dix ans après son transfèrement à La Haye.
« Je serai là pour l’accueillir. La seule chose qui pourrait m’en empêcher, c’est la mort», exulte Reine, croisée dans le village de Bockhaus, au bord de la lagune Ébrié, t-shirt floqué du portrait de l’ancien président. Elle voit dans la décision de la CPI une revanche sur l’Histoire : « Les enfants des pauvres ont gagné », dit-elle, grand sourire aux lèvres. Plus loin, Arsène semble soulagé : « Laurent Gbagbo a été notre président, notre papa, il faut qu’il revienne pour mener la réconciliation à terme ».

A Abidjan, le 31 mars 2021, des militants pro-Gbagbo célèbrent l'acquittement définitif de l'ancien président ivoiren par la chambre d'appel de la CPI. © Diomande Ble Blonde/AP/SIPA
Mais à Blockhauss, comme dans l’immense commune de Yopougon, deux localités considérées comme des fiefs du FPI, la confirmation de cet acquittement n’a pas entraîné de grandes manifestations populaires dans les rues, encore moins de scènes de liesse comparables à celles de 2018 nées d’une simple rumeur, parfaitement infondée, de libération de l’ancien président ou à celles de janvier 2019, après l’acquittement en première instance. Ashim, jeune commercial rencontré dans les travées du marché de Blokhauss, a une explication à cela : « Avec les crises, les morts, la politique a perdu certaines valeurs dans nos cœurs. C’est fatiguant, c’est toujours le même scénario. La plupart des jeunes se sont écartés de la politique, ils n’ont plus ça en tête. Ils veulent du travail, c’est tout ». Il espère que Laurent Gbagbo choisira de se poser en « sage » plutôt que de retrouver son statut de leader politique.
L’amertume des victimes
Sur les marches du palais de justice d’Abidjan, dans le quartier des affaires du Plateau, Issiaka Diaby, le président du collectif des victimes de crises en Côte d’Ivoire, est inquiet, plus que déçu par cette décision de la CPI.
En Côte d’Ivoire, la CPI ne fait plus peur à personne
« Les victimes ont perçu cette décision comme inique, réfractaire à leurs droits essentiels. Elle démontre l’incapacité de la CPI à mener sa mission de façon efficace en Côte d’Ivoire. C’est une situation qui est favorable au regain de violences et aux crimes de masse dans le pays », déplore-t-il, craignant que cela ne prédispose les victimes à des actes de vengeance. Il explique avoir perdu tout espoir en la CPI, qu’il décrit comme « un géant au pied d’argile ».
« Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, la CPI ne fait plus peur à personne, dit-il, dépité. Il est temps pour la justice ivoirienne de renaître de ses cendres et d’agir efficacement contre Laurent Gbagbo – en reprenant le dossier – ».
L’ancien président ivoirien est par ailleurs toujours sous le coup d’une condamnation à 20 ans de prison, prononcée en janvier 2018 dans l’affaire dite du « braquage de la BECEAO ». Issiaka Diaby compte organiser bientôt une manifestation des victimes devant le palais de justice, où il se trouve dans le cadre du procès d’Amadé Ouérémi, ancien trafiquant et milicien accusé d’avoir activement participé aux exactions à Duékoué, dans l’ouest ivoirien, qui ont fait plus de 800 morts en mars 2011.
La « grande joie » de Bédié
Parmi les réactions politiques, celle très attendue de Pascal Affi N’Guessan, président du FPI dit « légal ». Il a salué « le triomphe du droit sur toute autre considération ». Le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Henri Konan Bédié, allié des GOR aux dernières élections législatives, a fait part de sa « grande joie » et de sa certitude que les retours de Laurent Gbagbo, mais aussi de Charles Blé Goudé, allaient « certainement contribuer à la décrispation de la vie politique nationale ».
Simone Gbagbo, ex-première dame, a également exprimé sur son site internet « sa joie ». Elle considère que « justice a été faite » et que « la vérité a triomphé ». En revanche, toujours aucune réaction officielle du côté du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) hier dans la soirée.