Salim Zerrouki, ou comment réussir sa migration clandestine

Dans son dernier album, Salim Zerrouki traite du drame des migrants en Méditerranée. Comme d’habitude, le dessinateur d’origine algérienne manie l’humour noir pour faire passer son message. Effet garanti.

L’illustrateur Salim Zerrouki. © Nicolas Fauqué/Editions LHE

L’illustrateur Salim Zerrouki. © Nicolas Fauqué/Editions LHE

Publié le 2 avril 2021 Lecture : 3 minutes.

Après 100 % Bled ou comment se débarrasser de nous pour un monde meilleur (2018), Salim Zerrouki est pris en « flagrant délire » de récidive. Dans un nouvel opus, Comment réussir sa migration clandestine, il livre ses conseils et astuces pour parvenir à ses fins. Sous ce titre, innocent en apparence, le bédéiste fait de chaque planche un uppercut destiné à mettre K.-O. les non-dits.

Âmes sensibles s’abstenir

Le préambule sonne comme une mise en garde : « La plupart de ces histoires, qui vont vous paraître affreusement cruelles, absurdes et impossibles, sont tirées de faits réels. » Âmes sensibles s’abstenir. Mais comment résister au plaisir de feuilleter l’album, quand on apprécie l’humour très noir et l’ironie grinçante de Salim Zerrouki ?

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Dans la même veine que dans ses œuvres précédentes, l’illustrateur, qui se sent comme « un enfant à qui on aurait donné des moyens », utilise une palette de couleurs atones, presque sourdes, devenues sa marque distinctive.

Le Rubicon que les migrants croient franchir devient un terrible Styx

Sur un thème contemporain, dit « d’actualité » par les médias, mais finalement aussi vieux que l’histoire de l’humanité, il esquisse les errements des migrants et le franchissement d’une Méditerranée souvent hostile sous ses airs placides. Dans tous les cas, ceux qui fuient vers le Nord ont fait un choix irrémédiable, si bien que le Rubicon qu’ils pensent franchir devient un terrible Styx.

Bonne conscience

L’humanité perd sa couleur, et émerge l’horreur. Le dessinateur, passé par les Beaux-Arts d’Alger avant de s’essayer à la publicité, conduit mine de rien son lecteur aux portes de l’insoutenable. Jusqu’à lui couper le souffle. Le désespoir devient muet, se réduit à lui-même, empreint d’une odeur persistante de sueur, de peur, de sang, de sel, de sperme et de morve.

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Dans cet univers cynique et dénué d’affect, on se surprend à rire et à grincer des dents, mais on n’en mène pas large. L’horreur réduit l’horizon des candidats à l’Eldorado. L’impitoyable crayon de Salim Zerrouki ne fait l’impasse sur aucun des crimes qui accompagnent ce voyage au bout de la nuit.

Esclavage, trafic d’organes, complicité des pouvoirs, cupidité des passeurs…

Car c’est bien d’un crime contre l’humanité dont il s’agit, même si le sujet n’est pas considéré comme tel par les institutions internationales, qui se donnent souvent bonne conscience en déléguant à d’autres la gestion de la catastrophe humanitaire.

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Salim Zerrouki conduit ceux de ses lecteurs, qui les ignorent, dans les méandres où toute humanité a été depuis longtemps effacée. Quête du sensationnel par les médias, exploitation et harcèlement sexuels, violences, esclavage, trafic d’organes, complicité des pouvoirs, cupidité des passeurs sont autant de stances d’un martyre humain qui inspire un dégoût croissant.

Messages caustiques et tendres

Excellant dans la mise en scène des paradoxes, Salim Zerrouki, natif d’Alger et devenu une figure de Tunis, avait fait rire et réfléchir, en 2011, avec son personnage de Yahia Boulahia, un salafiste expurgeant à coup de fatwas tout ce qui le dérangeait dans la société.

Depuis, le dessinateur affûte son approche. Dans ses expositions comme dans ses illustrations, il multiplie les messages caustiques sur fond de tendresse. Cette fois, il n’épargne rien à son lecteur, qui même averti et conscient que les planches de Salim sont un conte de fées par rapport à la réalité, ne s’épargnera pas un choc. « Je ne regarderai plus jamais la mer de la même façon », promet l’une des premières lectrices de Comment réussir sa migration clandestine.

Comment réussir sa migration clandestine, de Salim Zerrouki, éditions Encre de nuit, 92 pages, 15 euros.

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