[Série] Bembeya Jazz : « Regard sur le passé », une épopée à la gloire de Sékou Touré (3/5)

« Chansons mythiques africaines » (3/5) – Enregistrée en 1969, cette longue épopée musicale chante Samory Touré, héros de la résistance guinéenne au colonisateur français. Et à travers lui, le président Sékou Touré. Un genre qui fera des émules dans bien d’autres pays.

Né en 1961, le Bembeya Jazz National est le vétéran guinéen des orchestres ouest-africains. © BOURRON/MAX PPP

Né en 1961, le Bembeya Jazz National est le vétéran guinéen des orchestres ouest-africains. © BOURRON/MAX PPP

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Publié le 3 mai 2021 Lecture : 3 minutes.

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« La culture est une arme de domination plus efficace que le fusil », assénait Sékou Touré. Après l’indépendance de la Guinée, le 2 octobre 1958, son nouveau président ne tarde pas à s’appuyer sur les artistes pour asseoir son pouvoir, exalter le patriotisme et de nouveaux héros nationaux, à l’image de Samory Touré.

Chanter le courage

Fondateur de l’empire wassoulou, résistant au colonisateur, mort en déportation sur une île gabonaise, le combattant a aussi l’avantage d’être l’arrière-grand-père du président… Sékou Touré organise le rapatriement de ses cendres fin 1968 et lance un grand concours musical national pour chanter le courage de ceux qui ont osé s’opposer à l’envahisseur.

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De nombreux orchestres relèvent le défi. Depuis l’indépendance, les orchestres privés ont été dissous, de nombreux musiciens sont devenus fonctionnaires. Chacune des préfectures et chacun des 2 500 « pouvoirs révolutionnaires locaux » du pays possède alors sa propre formation musicale.

Sékou Touré dépêche griots et sages du parti pour conseiller les musiciens

Mais l’une d’elles a déjà la préférence du président. Le Bembeya Jazz, créé en 1961, qualifié de « national » cinq ans plus tard, est alors l’un des orchestres de pointe du pays. Signé sur le label national Syliphone, il est diffusé sur la Radio-Télévision guinéenne. Sékou Touré suit certaines des longues répétitions du groupe et dépêche griots et sages du parti pour conseiller les musiciens.

La longue épopée (près de 40 minutes, toujours disponible dans le catalogue du label Syllart Records) mise en musique par le Bembaya Jazz, intitulée Regard sur le passé, est jouée pour la première fois le 2 octobre, jour de la Fête de l’indépendance, au Palais du peuple de Conakry. Et gagne évidemment le concours.

Balafon, trompettes et guitares

Le chanteur vedette du groupe, Demba Camara, est costumé comme les sofas, les guerriers qui combattaient aux côtés de Samory Touré. Balafon, trompettes, guitares se répondent avant de céder la place au chant en malinké de Demba Camara et au récit en français de Sékou Camara.

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Après avoir exhorté les fils, femmes et jeunes d’Afrique à écouter leur histoire, les artistes investissent le terrain politique sans transition : « Il est des hommes qui, bien que physiquement absents, continuent et continueront à vivre éternellement dans le cœur de leurs semblables. Le colonialisme, pour justifier sa domination, les a dépeints sous les traits de rois sanguinaires et sauvages. Mais, traversant la nuit des temps, leur histoire nous est parvenue dans toute sa gloire. »

Grâce à toi, nous sommes devenus des hommes

Derrière l’hommage à Samory Touré, c’est évidemment le guide de la révolution Sékou Touré qui est célébré dans ce long chant patriotique : « Grâce à toi, nous sommes devenus des hommes / Grâce à toi, nous avons notre indépendance / Tu es exemplaire de la Guinée, et tes ennemis seront toujours humiliés. »

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Médaille d’argent au Festival panafricain d’Alger

L’épopée séduit bien au-delà des frontières de la Guinée. Le Bembeya obtient une médaille d’argent au Festival panafricain d’Alger et séduit largement les grands orchestres au sud du Sahara, qui se lancent à leur tour dans la mise en musique d’épopées historiques du Mali au Sénégal en passant par le Burkina ou la Guinée-Bissau.

Émile Condé, l’un des premiers à avoir parrainé le Bembeya Jazz, mourra dans les geôles du camp Boiro

Peu de temps après la création de Regard sur le passé, en 1971, le groupe écrira un nouveau titre, Chemin du P.D.G., éloge cette fois plus direct du Parti démocratique de Guinée et de son leader. Ce, malgré la dérive autoritaire du régime, le chef de l’État faisant arrêter et exécuter ses opposants réels ou imaginaires, à l’image d’Émile Condé, ancien gouverneur de région, l’un des premiers à avoir parrainé le Bembeya Jazz, qui mourra dans les geôles du camp Boiro.

Interviewés en 2002 par RFI, le chef d’orchestre Achken Kaba et le guitariste du groupe Sekouba Diabaté ne reniaient pas les louanges au dirigeant. « C’est grâce à lui si nous sommes là aujourd’hui, c’est lui le grand des grands qui nous a permis de connaître notre culture. Avant l’Indépendance, on connaissait la France, son histoire. C’est tout. »

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