« De ma vie je ne me souviens avoir connu un hiver aussi sec et aussi doux. Dans le temps, il nous arrivait d’être bloqués par la neige pendant 15 jours sans pouvoir sortir de la maison », affirme Dda Hmed, solide montagnard de 85 ans issu d’un village du Djurdjura en Kabylie. Comme lui, les vieux paysans des alentours ont beau fouiner dans leur mémoire, ils ne trouvent rien de semblable à ces étouffants vents de sable qui remontent du sud et qui font rougeoyer le ciel des jours durant.
Un ciel avare de pluies et des hivers de plus en plus tempérés dans la région ont une conséquence directe : les barrages et retenues du centre et de l’ouest du pays sont à un niveau alarmant et une vingtaine de wilayas sont d’ores et déjà en état de stress hydrique. L’Algérie est à l’orée dune crise de l’eau inédite dans son histoire. « Nous cumulons les déficits en matière de pluviométrie. Les deux dernières années hydrologiques ont été toutes deux déficitaire de 30 % », révèle Malek Abdesselam, docteur en hydrogéologie qui tient un relevé rigoureux et quotidien des précipitations à l’échelle nationale.
Selon l’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT), en moyenne nationale, le taux de remplissage des barrages est de 44 % seulement alors que la période hivernale touche à sa fin. Les 80 barrages actuellement en exploitation fournissent 7,7 milliards de m³ à l’ensemble du pays, le potentiel national global en ressources hydriques ne dépassant pas 23,2 milliards de m³ par an.
Sécurité hydrique menacée
L’Algérie est un pays au climat semi-aride dont la majeure partie du territoire est désertique. Elle ne compte ni grands fleuves ni montagnes enneigées en grand nombre. Les besoins du pays en eau, tous secteurs confondus, ne cessent d’augmenter alors que l’offre est limitée. Toujours selon Malek Abdesselam, depuis l’indépendance du pays, si le nombre de la population a été multiplié par 4,5, la consommation d’eau l’a été par 40.
Et les signaux d’alarme retentissent depuis plusieurs années. D’après le classement de 2019 établi par l’organisation World Ressources Institute, l’Algérie est le 29e pays le plus touché par la sécheresse. Une étude publiée par l’Institut de prospective économique en Méditerranée (Ipemed) en 2013 indiquait déjà que l’Algérie comptait parmi les pays les plus exposés à un stress hydrique à long terme sur le pourtour méditerranéen. L’étude pointait notamment les vulnérabilités des potentialités hydriques du pays et soulignait que la croissance démographique, la raréfaction des ressources hydriques et les changements climatiques faisaient craindre une pénurie d’eau. Aujourd’hui, la sécurité hydrique du pays est clairement menacée.
Le dessalement, solution-miracle ?
Pour faire face à la situation, les options des autorités ne sont guère nombreuses. Le ministre des Ressources en eau, Mustapha Kamel Mihoubi, a affiché la volonté de l’État de renforcer le dispositif de dessalement de l’eau de mer. L’objectif et de porter les capacités nationales, qui sont actuellement de 561 millions de m³ par an, à deux milliards de m³ à l’horizon 2024.
Le 22 mars 2021, à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de l’eau, une réunion a rassemblé le ministre des Ressources en eau, Mustapha Kamel Mihoubi, le ministre des Énergies et des mines, Mohamed Arkab, le PDG de l’Algerian Energy Company (AEC), Abdennour Kimouche, ainsi que le directeur général de l’Algérienne des eaux (ADE), Smaïl Amirouche, afin d’examiner les voies de renforcement des capacités nationales de dessalement d’eau de mer.

Le ministre algérien des Ressources en eau, Mustapha Kamel Mihoubi © DR
L’Agence de presse nationale (APS) s’en est fait l’écho et indique qu’en plus des onze unités de dessalement actuellement en service dans neuf wilayas côtières, il a été décidé le lancement de plusieurs nouveaux projets d’unités de dessalement. Notamment à Alger et ses environs, précisément à Zeralda, Aïn Benian, Palm Beach et Bou Ismail pour alimenter une capitale dont les besoins en eau sont toujours plus importants à mesure que la population croît. Pourtant, plusieurs spécialistes ont remis en cause la stratégie gouvernementale de l’option du dessalement de l’eau de mer, réputée très énergivore.
Lutte contre le gaspillage
Le gouvernement entend aussi s’attaquer au chantier des eaux épurées dont le volume est estimé aujourd’hui à 450 millions de m³ par an pour être porté à deux milliards de m³ par an à l’horizon 2030. L’Algérie, qui compte quelque 200 stations d’épuration des eaux usées, réparties sur le territoire national, entend également lancer plusieurs nouveaux projets dans ce domaine. Ces nouvelles infrastructures viendront appuyer celles livrées par l’ADE en 2020, à savoir, plus de 100 stations de traitement d’eau, 20 stations de déminéralisation et 13 stations monobloc de dessalement de l’eau de mer, révèle encore l’APS.
À l’occasion toujours de la Journée internationale de l’eau, l’ADE a annoncé le lancement d’un programme national baptisé « Eco’Eau 2021 » dont le but est de lutter contre toutes les formes de gaspillage d’eau. Une campagne de lutte contre les raccordements illicites et les fuites d’eau va ainsi être lancée à compter du 1er avril.
Dans un récent entretien à la radio nationale, le directeur général de l’ADE n’écartait pas l’hypothèse d’un rationnement d’un jour sur deux, après le ramadan, durant la période estivale, si le remplissage des barrages devait rester insuffisant.
Dessalement de l’eau de mer, épuration des eaux usées, rationalisation de la consommation nationale, exploitation des nappes aquifères du Sahara… L’Algérie doit trouver des alternatives fiables pour faire face à une crise de l’eau qui ne fera que s’accentuer avec l’arrivée de l’été et des grandes chaleurs.