Politique

RDC – Augustin Matata Ponyo : « J’ai toujours été le mal aimé du parti de Kabila »

Premier ministre de Joseph Kabila entre 2012 et 2016, Augustin Matata Ponyo a annoncé, le 12 mars dernier, son départ du PPRD. Il explique les raisons de ce choix à « Jeune Afrique ».

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Par et - à Kinshasa
Mis à jour le 26 mars 2021 à 09:21

Augustin Matata Ponyo, l’ancien Premier ministre congolais (ici à Kinshasa, en 2014). © Gwenn Dubourthoumieu pour JA

C’est un départ de plus pour la maison kabiliste. Le 12 mars, Augustin Matata Ponyo, ex-Premier ministre (2012-2016), a annoncé qu’il quittait le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) ainsi que le Front commun pour le Congo (FCC), le parti et la coalition de Joseph Kabila.

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L’ancien chef du gouvernement, aujourd’hui sénateur, nous a reçus à Kinshasa, dans les locaux de Congo Challenge, le cabinet de conseil dont il tente d’étendre les activités dans plusieurs pays du continent. Il revient sur les raisons de son départ, évoque ses rapports houleux avec l’ancienne majorité kabiliste, ses ennuis avec l’Inspection générale des finances, ainsi que ses ambitions pour la suite.

Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous décidé de quitter le PPRD ?

Augustin Matata Ponyo : Pour des raisons de convenances personnelles. Ce n’est pas lié à une demande extérieure. Après analyse de la situation politique du moment, j’ai pensé qu’il était opportun de partir à la fois du PPRD et du FCC.

Pourtant, le PPRD considère que vous l’avez quitté en 2018…

Il y a un flou. Pour quitter un parti, il faut formellement déposer une demande et que celle-ci soit acceptée, ce que jusque-là je n’avais jamais fait. S’ils [les cadres du PRDD] affirment le contraire, ils sont les seuls à pouvoir montrer les preuves de mon départ. Or je constate que rien n’a été produit. Ils disent aussi que j’ai créé mon propre parti, avec ATIC. Mais ce n’est pas un parti, c’est un regroupement, comme le FCC. 

Je n’ai pas soutenu Ramazani Shadary en 2018 car le candidat choisi ne défendait pas mes valeurs

Votre départ coïncide avec le renversement de la majorité FCC au profit des pro-Tshisekedi. Ce contexte a-t-il motivé votre choix ? 

Si cela était vrai, je serais parti depuis plusieurs années. Vous ne pouvez pas me dire que c’est le mois dernier que le FCC a perdu le pouvoir. C’est le cas depuis la fin de 2018, tout du moins en ce qui concerne la présidence de la République. Par ailleurs, il ne faut pas seulement regarder l’année 2018. Il est réducteur de lier mon départ du parti à ce contexte. 

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Au sein du PPRD, nombreux sont ceux qui estiment que ce départ est la conséquence de votre échec à être désigné par Kabila comme son dauphin, en 2018…

Cela fait trois ans. Si tel avait été le cas, je serais parti juste après la désignation d’Emmanuel Ramazani Shadary comme candidat du FCC. Je ne l’ai pas fait, mais j’ai aussi expliqué pourquoi je ne l’avais pas soutenu à l’élection présidentielle. J’ai été le seul cadre du PPRD à ne pas soutenir sa candidature. Pour des raisons de conviction personnelle, parce que, en adhérant au parti, j’avais des valeurs qui n’étaient pas défendues par le candidat choisi. 

Je n’ai pas de regret, j’ai joué ma partition

Quel impact ce choix a-t-il eu dans vos relations au sein du parti ? 

Cela a eu des conséquences et c’est normal. De toute façon, j’ai toujours été le mal aimé du parti. Je n’ai pas de regret, j’ai joué ma partition. Ce n’est pas simple, dans un environnement où peu de personnes pensent comme vous.

J’ai toujours été combattu au sein du PPRD. Joseph Kabila a été le seul à me défendre et à me protéger, je l’en remercie. C’est ce qui m’a permis de conserver pendant près de cinq ans le poste de Premier ministre quand tout le monde pensait que je ne tiendrais qu’un an ou deux. 

Comment expliquez-vous les difficultés actuelles du PPRD ?

Le problème du parti, c’est l’inconstance. J’ai par ailleurs déjà dit que l’Union sacrée risquait d’être un « FCC bis ». Si les gens sont inconstants, faute d’avoir de vraies valeurs, rien n’empêche que ceux qui sont aujourd’hui du côté de l’Union sacrée se retrouvent demain dans un autre endroit.

Joseph Kabila m’a servi de bouclier quand j’étais Premier ministre. Je suis en bons termes avec lui

Les membres du FCC qui ont rejoint le président Tshisekedi mettent en avant des problèmes précis, comme le manque de collégialité au sein de la coalition. Partagez-vous ce constat ?

Ce sont des détails. Si c’était ça le problème, ces gens auraient quitté le parti depuis longtemps. C’est un problème de fond. 

Joseph Kabila a-t-il sa part de responsabilité ?

Je ne souhaite pas répondre à ce type de question. Je suis en bons termes avec lui. Joseph Kabila n’est pas une organisation ou un regroupement politique. Il m’a servi de bouclier pendant la période où j’étais Premier ministre.

C’est aussi lui qui m’a donné l’opportunité d’être ministre des Finances. Si aujourd’hui je suis consulté par des organisations internationales et par des pays du continent, c’est notamment parce que j’ai exercé les fonctions que je viens de citer. 

Dire que je suis responsable de la débâcle du projet Bukanga Lonzo relève du folklore

Ce départ peut-il vous mener à rallier l’Union sacrée, et pensez-vous déjà aux élections de 2023 ?

Ce n’est pas à l’ordre du jour. Pour le moment, ma seule décision est de quitter le PPRD et le FCC. 

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Vous aussi êtes la cible d’accusations de la part l’Inspection générale des finances (IGF) pour votre rôle dans le projet agro-industriel de Bukanga Lonzo. Où en est la procédure ?

Ce sont des accusations fantaisistes, qui ne se fondent sur aucun élément crédible. D’abord, le projet Bukanga Lonzo n’a jamais été géré à la Primature. En février 2014, le gouvernement congolais a signé un partenariat public-privé avec une entreprise sud-africaine, Africom, et le premier paiement a eu lieu en juillet 2014. L’entreprise reconnaît avoir reçu tous les versements du Trésor public. 

Ensuite, le contrat avec Africom ne porte ni le paraphe ni la signature du Premier ministre, mais la signature de quatre ministres. Quand on vous dit que je suis le responsable de la débâcle du projet, c’est du folklore.

J’ai déjà dit que ces conclusions étaient politiques. J’ai demandé à ce que l’IGF apporte la preuve que les fonds qui sont sortis du Trésor public ont été prélevés en cours de route par des personnes qui me seraient liées, directement ou indirectement. Cela fait plus d’un mois et demi, et j’attends toujours.