[Série] RDC, Chine, Europe, États-Unis… La diplomatie selon João Lourenço (5/5)

« L’Angola de João Lourenço » (5/5). Tout en maintenant son influence au niveau régional, le président angolais a engagé un rééquilibrage des relations avec la Chine au profit de l’Europe et des États-Unis. Tribune.

Félix Tshisekedi à Luanda, le 16 novembre 2020, pour rencontrer João Lourenço. © Republic of Angola

Félix Tshisekedi à Luanda, le 16 novembre 2020, pour rencontrer João Lourenço. © Republic of Angola

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  • Daniel Ribant

    Auteur de « L’Angola de A à Z » et « Força Angola », parus chez L’Harmattan.

Publié le 7 mai 2021 Lecture : 5 minutes.

Joao Lourenco, Isabel Dos Santos et Jose Eduardo Dos Santos. © Montage JA : W. Kumm/ZUMA/REA; Massimo Sestini/ZUMA/REA; ELMOND JIYANE/AFP.
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[Série] L’Angola de João Lourenço

Il ne reste plus qu’un an à João Lourenço, successeur de José Eduardo dos Santos, avant les prochaines élections générales. Décryptage des forces et faiblesses d’un chef de l’État ambitieux mais confronté à une tâche herculéenne.

Sommaire

Pas évident de succéder à José Eduardo dos Santos en matière de politique étrangère, tant l’homme excellait dans ce domaine. Ministre des Affaires étrangères de la jeune république angolaise avant d’en devenir le président (1979-2017), il a accumulé une connaissance des hommes et des rouages de la diplomatie durant pas moins d’un demi-siècle. Calme et réservé, il voyageait peu mais son habileté et son appréhension des dossiers faisaient merveille au cours des audiences qu’il accordait.

Sans avoir l’expérience ni le talent de son prédécesseur, le président Lourenço affiche un goût certain – et une très bonne maîtrise – de ces questions, s’appuyant en outre sur quelques diplomates de haut niveau. João Lourenço calquerait-il ses pas sur ceux de José Eduardo dos Santos ? La réalité est plus complexe.

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Si l’on comprend la politique extérieure comme l’extension de la politique intérieure, on peut considérer sa croisade contre la corruption comme l’acte – de rupture – fondateur de sa diplomatie. En limogeant, quelques mois à peine après son élection en 2017, Isabel et José Filomeno dos Santos, respectivement à la tête de la toute puissante société pétrolière Sonangol et du fonds souverain, le chef de l’État a alerté les chancelleries sur les importants changements qu’il souhaitait opérer.

Fort de ces bonnes intentions, il a pu se lancer dès mai 2018 dans une tournée des capitales, principalement européennes, répétant à l’envi qu’un nouvel Angola était en construction et que les investissements directs étrangers (IDE) y étaient les bienvenus. Cette diplomatie des IDE, qui s’est substituée à celle des pétrodollars, n’est pas le fruit du hasard. Elle répond à une nécessité alors que les caisses de l’État se vident dangereusement sans que le cours du baril ne laisse augurer un avenir meilleur.

Rééquilibrage en faveur de l’Occident

CHINA-BEIJING-FOCAC-XI JINPING-WELCOME (CN) © Yan Yan/XINHUA-REA

CHINA-BEIJING-FOCAC-XI JINPING-WELCOME (CN) © Yan Yan/XINHUA-REA

Cette politique d’ouverture principalement dirigée vers l’Occident a, en peu de temps, rendu l’Angola de nouveau fréquentable. Les pays européens, l’Union européenne, les institutions internationales ont répondu présents et permis à Luanda de rétablir un certain équilibre dans ses relations internationales par trop tournées vers la Chine.

L’importance de la dette envers Pékin demeure une contingence de poids

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Compte tenu de la rivalité qui les oppose à Pékin, les États-Unis n’ont pu que saluer les changements intervenus. « Durant ses deux premières années et demie de mandat, le président Lourenço a réalisé un important travail pour faire de la corruption un fantôme du passé […] et je suis optimiste quant à sa capacité à continuer à libérer l’Angola de la corruption », a salué le secrétaire d’État de l’administration Trump, Mike Pompeo, en février 2020, lors d’une visite à Luanda.

À tel point que l’on se demande si la croisade anticorruption de João Lourenço n’est pas davantage soutenue par ses partenaires occidentaux que dans son propre pays, où elle est souvent critiquée pour son caractère arbitraire.

João Lourenço avec le secrétaire d'État américain Mike Pompeo, à Luanda, le 17 février 2020. © ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP

João Lourenço avec le secrétaire d'État américain Mike Pompeo, à Luanda, le 17 février 2020. © ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP

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Acteur clé dans la région

La diplomatie sous-régionale de Lourenço s’inscrit en revanche dans la continuité. Cela s’explique par le poids de l’Angola, mais également par une sorte de « décomplexion » due certainement à son positionnement international qui lui permet de s’affirmer davantage au niveau local.

Luanda est un acteur clé dans la région, utilisant aussi bien les canaux bilatéraux que les instances régionales, telles que la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) et la Conférence internationale des Grands Lacs (CIRGL). De l’avis de plusieurs diplomates, la participation angolaise peut être qualifiée de « loyale et transparente ».

L’Angola est particulièrement actif dans la résolution des conflits, comme on a pu le constater lors du différend entre le Rwanda et l’Ouganda ou lors de la crise en Centrafrique. Mais Luanda va plus loin en affichant son souhait des réformes la CEEAC et la CIRGL afin de les rendre plus fortes et plus crédibles.

Un dynamisme diplomatique sans participation militaire

Les récentes nominations de deux diplomates aguerris en sont la preuve : João Caholo – qui a notamment été secrétaire exécutif adjoint de la Communauté de développement d’Afrique australe (CDAA) durant dix ans – est devenu en novembre le secrétaire exécutif de la CIRGL et Gilberto Da Piedade Veríssimo – militaire et professeur, ancien représentant de l’Angola au comité des experts de la Commission du Golfe de Guinée – a pris, fin août, la présidence de la commission de la CEEAC.

Sans oublier la nomination de Georges Chikoti comme secrétaire général des ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), l’ancien ministre angolais des Affaires étrangères – premier lusophone à occuper cette fonction. Ce dynamisme diplomatique ne s’est cependant pas encore traduit par une participation militaire à des missions de maintien de la paix, l’Angola demeurant échaudée par son intervention en Guinée-Bissau en 2012.

Tensions avec la RDC

Pour finir, impossible de ne pas aborder la RDC. À l’instar des pays intéressés par le dossier, dont la Belgique avec qui « le courant passe bien », l’Angola s’est ralliée à l’élection de Félix Tshisekedi au nom de la « realpolitik », fermant les yeux sur les contestations qui ont accompagné l’annonce des résultats des élections.

Mais, en dépit de plusieurs visites du président congolais à Luanda et des communiqués conjoints de bonne entente, l’Angola a eu du mal à dissimuler son mécontentement, estimant la présidence Tshisekedi décevante et lui reprochant son peu de suivi de certains dossiers, dont le contrôle de la frontière entre les deux pays et la mise en œuvre d’une zone d’exploitation pétrolière commune.

Ce n’est que récemment que la situation a changé, à la faveur de l’émancipation de Tshisekedi vis-à-vis de son prédecesseur, Joseph Kabila. Le président Lourenço avait clairement donné son aval à cette évolution. Le survol, fin novembre, par l’aviation angolaise de Kinshasa et du « resort » de l’ancien président Joseph Kabila en était une manifestation probante.

La Russie, un allié bien présent

La politique étrangère de João Lourenço est donc ambitieuse et l’ouverture de l’Angola est facilitée par les gages donnés en matière de bonne gouvernance. Mais le rééquilibrage des relations avec la Chine se fait prudemment, tant l’importance de la dette envers Pékin demeure une contingence de poids. Sans oublier que la Russie demeure, pour des raisons historiques, un allié bien présent. L’Angola pourra-t-elle s’abstenir de choisir son camp ? Luanda a, en tout cas, depuis longtemps appris à faire preuve de pragmatisme.

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