Politique

Assassinat de Thomas Sankara : enfin un procès ?

Après plus de trente ans d’attente, l’espoir de voir se tenir le procès sur l’assassinat de l’ancien président burkinabè renaît aujourd’hui. La question de la présence de Blaise Compaoré, l’ancien président qui vit toujours en exil, reste cependant en suspens.

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Mis à jour le 19 mars 2021 à 18:28

Détail d’une sérigraphie à l’effigie de Thomas Sankara. © Photo : Sophie Garcia / HansLucas

C’était il y a plus de 33 ans. Trois décennies durant lesquelles sa famille, mais aussi nombre de Burkinabè pour lesquels Thomas Sankara demeure une icône, n’ont cessé de réclamer que justice soit faite. Le 15 octobre 1987, le leader de la révolution et douze de ses compagnons étaient criblés de balle par un commando au Conseil de l’Entente, l’épicentre du pouvoir sankariste à Ouagadougou. Un crime sanglant devenu affaire d’État, enterré par le régime de Blaise Compaoré qui a succédé à son ancien camarade à la tête du pays. Après la chute de l’ex-« homme fort » de Ouaga, renversé par une insurrection populaire fin 2014, les autorités de transition avaient rouvert l’enquête judiciaire dans ce dossier aussi sensible que symbolique.

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Depuis, la perspective d’un procès pour solder cette page sombre de l’histoire nationale est dans toutes les têtes. Régulièrement évoqué, sans cesse repoussé, ce procès n’a cessé d’alimenter la chronique. Mais après des années de procédure et des centaines d’auditions, sa tenue n’a jamais semblé si proche. Le juge d’instruction en charge de l’affaire au tribunal militaire de Ouagadougou a bouclé son enquête fin 2020. Et en janvier s’est tenue l’audience de confirmation des charges contre les inculpés, dont le délibéré est attendu pour le 12 avril. « Concrètement, on connaitra à cette date les charges retenues contre les différents accusés. Ensuite, le procureur du tribunal n’aura plus qu’à fixer une date d’audience pour le début du procès », explique une source judiciaire.

Archives françaises

De quoi susciter, enfin, un certain espoir après des années d’attente. « Ce sera un très grand moment pour le Burkina Faso. Cela fait plus de trente ans que l’on attend ce procès historique », estime Me Guy Hervé Kam, avocat de certaines familles de victimes et cofondateur du mouvement Balai citoyen. Comme lui, beaucoup considèrent que, cette fois, plus rien ne s’oppose à la tenue de ce procès. D’ici la fin de l’année ? Nul ne se risque à prévoir un calendrier – d’autant que celui en appel du coup d’État manqué de 2015, lui aussi sur les tablettes du tribunal militaire de Ouagadougou, pourrait passer en priorité.

De gauche à droite : Blaise Compaoré, Thomas Sankara et Jean-Baptiste Lingani, le 4 août 1983, jour où Sankara prend le pouvoir © Archives Jeune Afrique

De gauche à droite : Blaise Compaoré, Thomas Sankara et Jean-Baptiste Lingani, le 4 août 1983, jour où Sankara prend le pouvoir © Archives Jeune Afrique

Quoi qu’il en soit, ce procès, s’il se tient bien, ne devrait pas aborder – ou que superficiellement – da question des éventuelles implications internationales dans l’assassinat de Thomas Sankara, mais se concentrer sur ce qui s’est passé au Burkina Faso. Selon des sources concordantes, le juge d’instruction, François Yaméogo, a en effet disjoint les deux volets nationaux et internationaux dans son enquête. S’il a clôturé le premier, le second est toujours ouvert. Depuis qu’il a rendu son ordonnance de renvoi, il a quitté ses fonctions et est parti en mission à l’étranger. D’après un de ses confidents, le magistrat, dont le travail et la rigueur sont salués par de nombreux acteurs proches du dossier, déplorait le manque de coopération des autorités françaises dans cette affaire.

C’est la première fois qu’on a une preuve de l’implication de Français dans le complot de l’assassinat de Thomas Sankara

Lors de son discours devant des étudiants à l’université de Ouagadougou en 2017, Emmanuel Macron avait déclaré que les documents français relatifs à l’assassinat de Thomas Sankara seraient « déclassifiés » et remis à la justice burkinabè – laquelle en avait fait la demande dès 2016 via une commission rogatoire internationale. Depuis, trois lots de documents ont effectivement été remis par Paris, dont un dernier récemment, contenant des éléments issus des services de police français. Mais des doutes subsistent sur l’intérêt intrinsèque de ces documents, plusieurs sources affirmant qu’il s’agirait essentiellement d’archives diplomatiques et non d’éléments estampillés secret défense, venant par exemple de la DGSE (les services de renseignement français).

Blaise Compaoré sera-t-il présent ?

Plus de trente ans après l’assassinat de Thomas Sankara, le rôle joué par les autorités françaises dans cette affaire pose toujours question. Mi-février, le journal d’investigation burkinabè Courrier confidentiel apportait de nouveaux éléments en citant des témoins, agents des services de renseignements burkinabè au moment des faits. Selon eux, des Français étaient présents à Ouagadougou le 16 octobre 1987 et sont venus dans leur service avec Jean-Pierre Palm (un officier proche de Blaise Compaoré inculpé dans le dossier) pour détruire des archives d’écoutes téléphoniques. « Ces témoignages, très probablement issus de fuites du dossier judiciaire, sont très importants car c’est la première fois qu’on a une preuve de l’implication de Français dans le complot de l’assassinat de Thomas Sankara, et plus précisément de leur connivence avec les organisateurs du complot », considère Bruno Jaffré, biographe du capitaine révolutionnaire qui suit l’enquête de près.

Il y a suffisamment d’éléments et de témoignages dans le dossier qui permettent de montrer que Blaise Compaoré était le cerveau de cette affaire

Parmi la vingtaine d’inculpés qui devraient comparaître devant le tribunal militaire, l’un fait l’objet de toutes les attentions : Blaise Compaoré. L’ancien président, exilé à Abidjan, est formellement inculpé d’« attentat à la sûreté de l’État » et de « complicité d’assassinat » dans ce dossier. S’il ne cache pas son souhait de rentrer au Burkina Faso, il n’ignore pas non plus les lourdes charges qui pèsent à son encontre.

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De son côté, le président Roch Marc Christian Kaboré, réélu pour un quinquennat fin 2020, a fait de la réconciliation nationale l’une de ses priorités. Il a ainsi ouvert la porte à un retour de son prédécesseur, tout en rappelant qu’il devrait répondre à la justice si elle le convoque. « Il ne peut y avoir de réconciliation nationale sans justice. Personne ne le comprendrait et le président Kaboré se mettrait une partie de l’opinion publique à dos », estime Luc Damiba, le secrétaire général du mémorial Thomas Sankara.

En cas de procès dans les mois à venir, beaucoup anticipent déjà l’absence du principal accusé à la barre. De quoi remettre en cause sa validité ? « Cela serait évidemment mieux que Blaise Compaoré soit là, indique Me Kam, mais il y a suffisamment d’éléments et de témoignages dans le dossier qui permettent de montrer qu’il était le cerveau de cette affaire. »