« Nous avons un problème. La France est très présente en Afrique, nous avons une relation de longue date qui est à la fois sentimentale, culturelle, militaire, économique, diplomatique… Nous sommes l’un des premiers pays en matière d’aide au développement, les entreprises que nous représentons réalisent 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires en Afrique, et pourtant notre image recule chaque année. Nous devrions nous interroger sérieusement. »
Président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), qui a fait réaliser par l’institut d’études IMMAR une troisième édition de son baromètre d’opinion Africaleads, dont les résultats seront officiellement présentés à l’occasion du Forum Afrique organisé le 18 mars, Étienne Giros ne cache pas une certaine amertume.
La France recule
Depuis 2018, plus de 2 400 « leaders d’opinion » du continent répartis dans 12 pays – qui représentent la moitié de la population africaine – sont interrogés sur la situation du continent lui-même, l’image qu’ils ont des principaux pays étrangers qui y sont présents mais aussi, nuance importante, invités à désigner ceux de ces pays qui sont les partenaires les plus « bénéfiques ».
La liste des personnes interrogées comprend responsables politiques, patrons, artistes, intellectuels, sportifs et dirigeants religieux. Un tiers environ sont des femmes. Et parce que le CIAN regroupe des sociétés basées en France, l’image de ce pays en particulier est scrutée à la loupe. Avec un constat sans appel : la France recule.
Dans la première édition du baromètre, en 2019, elle était 5e, avec 21 % de répondants la citant comme l’un des pays dont ils avaient la meilleure image. En 2020, elle perdait une place, dépassée par le Royaume-Uni, et un point, à 20 %. Cette année, elle recule encore d’une position (le Japon est passé devant) et finit 7e, à 17 %. Juste devant la Turquie à 15 %.
En haut du classement, les positions restent stables. Les États-Unis arrivent en tête, comme chaque année, suivis de l’Allemagne, du Canada, du Royaume-Uni et de la Chine. « Les États-Unis sortent pourtant d’une période tourmentée, note Étienne Giros. Il y a eu le mouvement Black Lives Matter, on a vu le président Donald Trump injurier les pays africains, mais rien n’y fait : le soft power américain est tellement puissant que l’image du pays n’en souffre pas. »
CLASSEMENT_Plan de travail 1
La poussée de la Turquie et des pays du Golfe arabo-persique est la nouveauté la plus spectaculaire de ce baromètre 2021
Sur ce point précis, le détail des réponses par grande région du continent montre que l’Afrique du Nord est la seule à ne pas plébisciter les États-Unis, qui n’y sont classés que 5e, et accordent une meilleure place au Japon et à la Turquie que le reste du continent. Quant à la forte cote d’amour du Canada, on peut supposer qu’elle a un rapport avec le grand nombre de jeunes Africains qui partent étudier dans le pays.
La Chine, un partenaire bénéfique
L’autre classement intéressant est celui des « partenaires les plus bénéfiques » pour le continent. Cette fois, comme les années précédentes, c’est la Chine qui arrive en tête, à 76 %. L’image du pays a pu souffrir, de la crise du Covid-19 notamment, mais quand il s’agit d’identifier les partenaires les plus actifs, il revient néanmoins à la première place. Alors que la France tombe au 9e rang, devancée par les Émirats arabes unis (EAU) et faisant jeu égal avec l’Inde et le Qatar.
La poussée de la Turquie et des pays du Golfe arabo-persique est d’ailleurs la nouveauté la plus spectaculaire de ce baromètre 2021. « Cela reflète leur présence et leur forte agressivité dans certains domaines d’activité comme les travaux publics ou les transports, analyse Étienne Giros. Quand vous demandez aux leaders d’opinion africains comment ils voyagent, tous vous citent Turkish Airlines, qui annonce en permanence de nouvelles dessertes sur le continent. Quant aux Émirats, ils ont beaucoup d’argent et financent énormément de projets, surtout dans les pays musulmans. »
Nous devrions vraiment nous interroger sur la nécessité de renouveler le récit que nous faisons de notre relation avec l’Afrique
Reste la question, particulièrement épineuse pour le CIAN, de la mauvaise place de la France, et ce dans les deux principaux classements. « Je pense que nous devrions vraiment nous interroger sur la nécessité de renouveler le récit que nous faisons de notre relation avec le continent, estime Etienne Giros. Le président de la République essaie, le gouvernement essaie, le Conseil présidentiel pour l’Afrique essaie… Emmanuel Macron est très conscient de tout cela et a pris des initiatives qui, sur le papier, semblent très positives. Mais on constate que ça ne prend pas. On reste dans une forme de “Je t’aime, moi non plus”… »
CLASSEMENT-02
Une proximité sanctionnée ?
Comment expliquer ce recul continu ? Le président délégué du CIAN a bien sûr quelques hypothèses : « La France est très présente, sa proximité avec l’Afrique est une évidence, et pourtant au final on a l’impression que cette proximité est sanctionnée par une mauvaise note. Je vois plusieurs explications possibles. D’abord le fait que justement, nous sommes très présents : quand vous occupez 30 ou 40 % d’un marché, il est plus facile de baisser que de progresser. Il y a aussi nos débats sur la mémoire, sur la colonisation, qui sont très suivis en Afrique et dans la diaspora. Et puis notre pays traverse une période qui n’a rien de facile : il y a eu les Gilets jaunes, la gestion compliquée de la crise du Covid-19… »
Et d’ajouter : « Les leaders d’opinion que nous avons interrogés s’informent beaucoup via les médias francophones, qui relaient abondamment ces actualités, donc ils sont très conscients de nos difficultés. À l’inverse, je ne pense pas qu’ils aient un avis bien précis sur, par exemple, la gestion du Covid-19 au Japon, le pays qui nous devance au classement. »