Économie

FMI, vaccin et CAN : trois espoirs pour l’économie camerounaise

En 2020, le Cameroun a connu, du fait de la crise sanitaire, sa première récession depuis trois décennies. La reprise espérée cette année va dépendre notamment de la conclusion d’un nouvel accord avec le FMI.

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Mis à jour le 30 mars 2021 à 11:18

Le port de Douala. (181221) — B Dec. 21, 2018 (Xinhua) — File photo taken on Dec. 9, 2018 shows the first phase of Kribi deep sea port project, constructed by China Harbour Engineering Company, in Cameroon. In past years, China and African nations have deepened mutual assistance in development and made concerted efforts in building a closer China-Africa community with a shared future. © Lyu Shuai/XINHUA/REA

Un élan d’optimisme habitait encore, il y a quelques semaines, le FMI et Yaoundé quant à la reprise de l’activité économique. Selon ses dernières estimations, l’institution de Bretton-Woods table cette année sur une croissance de l’économie camerounaise de 3,4 % du PIB, contre une baisse  -3,5 % l’an passé.

Des données pas très éloignées de celles du gouvernement qui mise quant à lui sur +3,3 % en 2021, après avoir estimé la récession de l’année écoulée – une première depuis pratiquement trois décennies – à un recul du PIB de -2,6 %.

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Contrairement à ses voisins fortement dépendants des hydrocarbures, le Cameroun a mieux amorti le choc lié à la pandémie de coronavirus. Un bon point que le discours officiel met sur le compte de la résilience, mais qui s’explique en grande partie par le confinement souple adopté par les autorités, pour ne pas complètement étouffer l’économie.

Confiante, Yaoundé entend réduire son déficit budgétaire

« Il n’y a pas eu d’instauration de l’état d’urgence ou de couvre-feu comme ailleurs. Les liens entre les villes d’une part, et entre les villes et les campagnes d’autre part, ont permis un minimum d’échanges », observe un chercheur d’un think tank local.

La bonne tenue des recettes fiscales

Dans cette optique, le gouvernement a fixé l’enveloppe budgétaire de cette année à 4 865,2 milliards de F CFA (7,4 milliards d’euros), en hausse de 5 % par rapport à la loi de finances rectificative de juin 2020.

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« La bonne tenue des recettes fiscales en 2020, contrairement à notre crainte d’un effondrement du fait de la crise économique, justifie notre confiance pour cette année », explique un cadre du ministère des Finances. Confiante, Yaoundé entend réduire son déficit budgétaire de 1,7 point, après le recul de -4,5 % du PIB enregistré au cours de l’exercice écoulé.

Cette douce euphorie se nourrit du dynamisme de l’agriculture qui repose sur une stratégie de substitution aux importations devant relancer des investissements dans les filières du riz, du maïs, du sorgho-mil, afin de réduire la dépendance alimentaire à l’égard de l’étranger. La reprise espérée des investissements dans les infrastructures et les chantiers de la Coupe d’Afrique des nations de football, dans quelques mois, constitue le deuxième moteur sur lequel espèrent compter les autorités.

La stratégie nationale de développement – SND30 – servira de boussole pour cette décennie

Le troisième élément de la relance étant une augmentation sensible de l’offre en électricité, notamment dans les énergies renouvelables, en attendant la disponibilité dès 2022 des 420 MW provenant du projet hydroélectrique de Nachtigal promu par EDF.

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Endiguer la crise

Pour montrer sa volonté d’endiguer la crise économique, le gouvernement s’est doté en octobre d’un « plan de relance post-Covid » de 871,8 milliards de F CFA (1,3 milliard d’euros) courant  jusqu’à l’horizon 2023. Un catalogue de mesures de soutien financier et de dépenses fiscales censées d’offrir une bouffée d’oxygène aux secteurs les plus affectés par la pandémie, notamment l’hôtellerie et la restauration dont l’activité a reculé de près de 20 %, tout en musclant l’industrie pharmaceutique locale.

Ces préoccupations de court terme n’ont pas fait oublier le temps long. Depuis le début de l’année, la stratégie nationale de développement (SND30) sert de boussole pour cette décennie. Ambitieuse, cette vision, qui doit conduire à l’émergence en 2035, entend porter le taux de croissance moyen annuel à 8 %.

Le gouvernement mise beaucoup sur l’arrivée annoncée de vaccins dans le cadre de l’initiative Covax

« Comment projeter un tel taux de croissance sur les dix prochaines années alors que, sur le profil historique de la dernière décennie, les performances du pays n’ont pas été bonnes (à peine 5 %  de croissance, en deçà des 7 % que le DSCE avait prévus). En outre, les performances des deux premières années de la SND30, à savoir -2,6 % (2020) et 3,3 % (2021), plombent déjà cette vision volontariste. N’est-il pas plus opportun et réaliste de revoir ces projections et s’ajuster à ce qui est faisable ? » s’interroge un analyste qui « ne sent pas encore des actions » tant au niveau du pilotage que sur le plan opérationnel.

Une deuxième vague redoutée

Cette inquiétude en appelle d’autres, qui peuvent contrarier les performances espérées. Depuis quelques semaines, le Cameroun fait face à la deuxième vague du Covid-19 tant redoutée. Plus de 3 000 nouveaux cas enregistrés ont poussé le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, à tirer la sonnette d’alarme le 5 mars. Si un nouveau confinement n’est pas à l’ordre du jour, le gouvernement mise beaucoup sur l’arrivée annoncée de vaccins dans les prochains jours, dans le cadre de l’initiative Covax, pour reprendre le contrôle.

Zoom sur l'économie camerounaise © Jeune Afrique

Zoom sur l'économie camerounaise © Jeune Afrique

Le risque sécuritaire demeure lui prégnant, en dépit du léger répit observé ces dernières semaines dans la crise qui sévit dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Le risque de surendettement n’est pas écarté à moyen et long terme

Enfin, l’augmentation de l’endettement inquiète de plus en plus les observateurs. Le pays a certes bénéficié d’un allègement de 33,5 milliards de F CFA sur les intérêts de la dette dans le cadre du G20 et de 120 milliards de F CFA  lié à la lutte contre le Covid-19. Mais bien que tournant actuellement autour de 45 % du PIB – loin du plafond communautaire de 70 % du PIB imposé aux États de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) – le risque de surendettement n’est pas écarté à moyen et long terme.

Une réflexion est actuellement menée pour essayer d’amortir grâce à des emprunts en monnaie locale le poids financier que représente l’eurobond de 750 milliards de F CFA émis en 2015.

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Un nouvel accord avec le FMI ?

Ces nuages pourraient toutefois être éloignés par la conclusion d’un nouvel accord en cours de négociation avec le FMI. Cet arrangement aura pour vertu de permettre le déblocage d’autres appuis budgétaires importants émanant de ses partenaires financiers (BM, BAD, UE, France…). En prévision de cela, le gouvernement a d’ores et déjà provisionné 260 milliards de F CFA dans son budget 2020.

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L’autre effet positif d’un accompagnement de l’institution de Bretton-Woods consistera certainement en une amélioration des comptes affectés par la pandémie. Dans la cadre du précédent programme triennal arrivé à terme en juin 2020, Yaoundé a vu ses indicateurs macroéconomiques se redresser progressivement. En dehors de l’annus horibilis 2020, sa croissance est restée au-dessus de 3 % au cours des trois dernières années.

Encore faudra-t-il concilier les exigences de l’accord avec celles de son développement. « Comme tout programme du FMI, le prochain viendra avec des contraintes de plafonnement des financements extérieurs. Ce qui mettra en mal les ambitions de la SND30 qui, pour être mise en œuvre, exigera de se lâcher sur la dette », prévient notre analyste. Une équation à plusieurs inconnues de plus que le Cameroun devra résoudre pour rester sur la voie de l’émergence.