Du haut de ses presque deux mètres, Armel Sayo, neveu de l’ancien président Ange-Félix Patassé, est réputé pour n’être jamais avare d’un trait d’humour. Mais en cette journée de la fin du mois de février, l’une des dernières passées dans son vaste bureau qu’il occupe depuis deux ans à la Cité des 200 Villas, tout proche du centre-ville de Bangui, celui qui est encore ministre en charge des réformes de l’État est cramponné à son téléphone et affiche un air concentré. À l’autre bout du fil, « une autorité », glisse l’ancien chef du mouvement rebelle Révolution Justice (RJ) entré au gouvernement après l’accord de paix passé entre 14 groupes armés et le gouvernement centrafricain en février 2019.
À l’époque, Armel Sayo est loin d’être une exception. Au lendemain de l’accord de Khartoum, plusieurs autres chefs rebelles intègrent l’administration centrafricaine à des postes haut placés. « Mais à la différence des autres, Sayo a été le premier à engager son groupe dans le processus effectif de désarmement », se souvient un conseiller de Faustin-Archange Touadéra ayant requis l’anonymat. Si cette source refuse d’admettre que le président fut longtemps l’un des anges gardiens d’Armel Sayo, il concède que « Sayo était traité différemment des autres chefs rebelles » par le président centrafricain. Son lien familial avec l’ancien président Ange Félix Patassé « aurait pu jouer » en sa faveur, admet-il.
Limogeage
Mais les relations entre le chef de l’État et Armel Sayo se sont rapidement dégradées, selon cette source, après une enquête des services de renseignements sur la participation du ministre à la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), une alliance de groupes armés née le 17 décembre de la fusion du mouvement 3R d’Abbas Sidiki, de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC) d’Ali Darassa, du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) de Noureddine Adam et des mouvements anti-balaka de Maxime Mokom et de Dieudonné Ndamaté pour empêcher un second mandat de Touadéra.
Armel Sayo a voulu jouer sur les deux tableaux : pour et contre le président
Conséquence : mi-février, un décret présidentiel a mis fin aux fonctions d’Armel Sayo. « Il y a plusieurs signes qui confirment bien la proximité de Sayo avec la CPC », accuse Pascal Bida Koyagbélé, proche du président. Si Sayo nie et assure que Faustin-Archange Touadéra « peut compter sur lui » face à la CPC, les conseillers du président ne partagent pas cet avis. « Sayo n’a jamais été un allié du président face aux rebelles, au contraire. Heureusement qu’il a le plus petit groupe armé et donc peu de capacité de nuisance. Mais il est surveillé de très près », fait encore valoir Pascal Bida Koyagbélé.
Le limogeage d’Armel Sayo semblait inéluctable. Le 6 février, dans un discours prononcé à l’occasion du deuxième anniversaire de l’accord de paix signé entre le gouvernement et les groupes armés au Soudan, le chef de l’État avait égrené les noms des groupes armés ralliés à la coalition rebelle de la CPC. Parmi eux, le mouvement d’Armel Sayo, Révolution Justice. « Dès les débuts de la CPC, Armel Sayo a voulu jouer sur les deux tableaux : pour et contre le président, fustige un conseiller du Premier ministre centrafricain. Plusieurs semaines avant son limogeage, il ne prenait plus part aux conseils des ministres. C’est une preuve suffisante qu’il ne roulait plus pour le président Touadéra. »
De militaire à chef rebelle
Militaire de carrière, Armel Sayo enfile le treillis dès sa majorité. Il est élève militaire en 1993, lorsque son oncle Ange-Félix Patassé accède à la présidence centrafricaine. Son destin bascule. Dix ans plus tard, en 2003, Patassé est renversé par un coup d’État mené par François Bozizé. Armel Sayo se voit alors contraint de quitter lui aussi la Centrafrique. Il y revient en 2009, comme son oncle qui ne tarde pas à annoncer sa candidature à la présidentielle de 2011 face à celui qui l’a renversé.
Patassé lui confie sa sécurité. « Armel Sayo a payé cash son retour, comme toutes personnes proches de l’ancien président. Il a été arrêté dès 2011 parce que Bozizé disait qu’il recrutait des mercenaires à la solde de Patassé pour fomenter un coup d’État », se souvient Guy Mbajang, alors diplomate camerounais. En avril 2011, l’ancien président meurt à l’âge de 74 ans au Cameroun. Armel Sayo repart en France où se trouve sa famille et reste dans l’ombre, à l’écart du système.
Mais en 2013, il a décide de refaire parler de lui. Il prend la tête d’un groupe d’un millier d’hommes armés pour se rebeller contre le pouvoir de Michel Djotodia. Il crée alors le mouvement Révolution Justice. « Sous le régime Séléka, l’armée nationale a été dissoute. Le territoire centrafricain était à la merci de mercenaires étrangers et en proie à une scission imminente. Il fallait quelqu’un pour défendre l’intégrité du territoire », se défend aujourd’hui Armel Sayo pour justifier de son « engagement révolutionnaire ».
« Un patriote »
Avec ses hommes, Sayo lancera une dizaine d’attaques contre les combattants de la Séléka dans le nord et le nord-ouest du pays. Il entamera même une marche sur Bangui contre le pouvoir de Michel Djotodia. « C’était un mal nécessaire, même si les méthodes de Sayo étaient décriées par toute la communauté internationale, commente un diplomate occidental en poste à Bangui en 2013. Mais on se disait qu’il était le seul militaire de carrière dans le pays à avoir pris ses responsabilités face aux massacres contre la population civile. »
Armel Sayo attire les regards de la communauté internationale et des autorités centrafricaines. Il sera le premier chef de groupe armé à accepter de désarmer. Dans la foulée, il est convié à un dialogue politique et est ensuite nommé, en août 2014, ministre de la Jeunesse et des Sports. « Il avait la capacité de rassembler des jeunes et de passer un message d’union, souligne Anicet Guiyama, ancien ministre conseiller de la présidente de transition Catherine Samba Panza. Lui confier la charge de la jeunesse était donc important. »
Aujourd’hui, son entourage se dit surpris de la mise à l’écart d’Armel Sayo. Le désormais ex-ministre, qui est le seul des membres du gouvernement débarqués par Faustin-Archange Touadéra le 19 février dernier à continuer à résider à Bangui, se sait cependant sur la corde raide. L’un de ses proches le confie : « Nous sommes inquiets. On sait ce que font les sbires du régime à tous ceux qu’ils considèrent comme rebelles. »