« Il ne faut pas prendre n’importe qui. Il faut des gens qui le méritent, des gens qui ont la compétence, une certaine éthique et qui vont donner espoir au peuple. » À la sortie du tête-à-tête qu’il vient d’avoir avec le Premier ministre, Sama Lukonde Kyenge, ce mardi 9 mars, le cardinal Fridolin Ambongo fait de nouveau passer le message : l’Église catholique attend avec impatience de connaître la composition du futur gouvernement. Et elle ne se privera pas d’en critiquer la composition.
De la « Marche des chrétiens » qui, en 1992, réclamaient plus de démocratie à Mobutu, à l’implication des instances ecclésiastiques du pays dans la contestation face à Joseph Kabila au cours des dernières années de son mandat, les relations entre le pouvoir congolais et l’Église catholique n’ont jamais été simples. La dernière passe d’armes entre la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et les services de la présidence vient confirmer que Félix Tshisekedi n’échappe pas à cette défiance chronique.
À l’issue d’une rencontre qui s’est tenue du 22 au 25 février à Kinshasa, les évêques congolais n’ont pas hésité à se montrer fermes vis-à-vis de l’exécutif, lui enjoignant de « tout mettre en œuvre pour gagner le pari de l’organisation d’élections crédibles, transparentes et apaisées en 2023, pas plus tard ». Ils rejettent par avance tout « glissement » des scrutins – et notamment de la présidentielle – qui doivent se tenir « dans le respect du délai constitutionnel », ont-ils insisté dans un message lu, le 1er mars, par l’abbé Donatien Nschole, secrétaire général de la Cenco.
La crainte d’un retour des pro-Kabila
« Le bien-être du peuple passera par la consolidation de la démocratie », ont insisté les prélats, jugeant que les réformes électorales et la refonte de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) devaient figurer au rang des « priorités » du futur gouvernement de Sama Lukonde Kyenge. Un gouvernement dont la composition fait l’objet d’âpres négociations entre les différentes composantes de la nouvelle majorité de Félix Tshisekedi depuis plusieurs semaines.
La Cenco, qui avait, au lendemain de la proclamation de la victoire de Félix Tshisekedi à la présidentielle de décembre 2018, fortement remis en question ces résultats, a aussi livré son bilan des deux années au pouvoir du successeur de Joseph Kabila.
Se félicitant de la rupture de l’alliance nouée entre Tshisekedi et Kabila au travers de leurs regroupements politiques respectifs – le Front commun pour le Congo (FCC) et Cap pour le changement (Cach) –, les évêques n’ont cependant pas été tendres envers la nouvelle majorité constituée autour du président. En cause, selon les évêques, la transhumance politique d’une partie des nouveaux alliés du chef de l’État. Les changements d’obédience ont été « opérés dans une atmosphère de tension et [d’une] manière [qui invite] à se poser des questions sur la moralité de ces actes », jugent-ils.
Le peuple sera frustré de voir revenir au pouvoir ceux qui ont participé au pillage, à l’insécurité
Les hommes d’Église disent aussi craindre que cette « union sacrée » ne soit synonyme d’un retour aux affaires d’une partie des anciens alliés de Joseph Kabila. « Le peuple sera frustré de voir revenir au pouvoir ceux qui ont participé au pillage, à l’insécurité, à la violation des droits de l’homme, et qui ne montrent aucun signe de repentance et de conversion », assènent les évêques. Dans leur ligne de mire, les anciens ministres ou élus qui ont soutenu l’ancienne administration ou y ont activement participé, et qui forment la majorité du contingent de députés et de sénateurs qui ont rallié Tshisekedi.
Outre les soubresauts de la scène politique kinoise, les évêques ont aussi pointé la persistance de l’insécurité dans l’Est et demandé aux responsables politiques de « ne pas se faire les complices des auteurs de violences en cédant à des sentiments tribaux, ethniques ou partisans ».
Sur le plan social, ils ont également demandé à Sama Lukonde Kyenge et aux membres de son futur gouvernement de « prendre en compte les cris de la population qui croupit dans la misère, de s’atteler à combler le fossé créé entre la majorité de la population et une minorité qui a concentré entre ses mains les richesses du pays et les a confisquées ».
Une réponse « dans la précipitation » ?
Face à cette sortie au ton ferme, la première réaction de la présidence a été pour le moins virulente, pour ne pas dire belliqueuse. « À présent qu’un brin d’éclaircie commence à poindre à l’horizon, la sortie de la Cenco apparaît comme un coup de pied gratuit dans une fourmilière, sans savoir exactement ce qui en résultera », dénonce un long communiqué publié le 2 mars sur la page Facebook des autorités. Signé par la direction de la communication du chef de l’État, le texte met également à l’index « des discours aux senteurs politiques, des accointances avec des officines obscures », jugeant que le propos des évêques est « digne d’un activisme insurrectionnel et, cerise sur le gâteau, atteste d’attitudes partisanes contraires à leur statut social ».
Le ton du communiqué a déclenché une avalanche de réactions outrées sur les réseaux sociaux, dans un pays où l’Église catholique est d’autant plus influente qu’elle pallie les manquements de l’État dans de nombreux domaines, notamment au travers de son vaste réseau d’écoles et d’hôpitaux. Il n’aura fallu que quelques heures aux services de la présidence pour rectifier le tir. « La présidence de la République n’a pas publié de communiqué, sinon celui-ci porterait la signature du directeur de cabinet », a notamment insisté Kasongo Mwema Yamba Yamba, porte-parole de Félix Tshisekedi, pour tenter d’éteindre la dispute, évoquant des « problèmes d’organisation interne » et un message publié « dans la précipitation ».
Félix Tshisekedi a multiplié les gestes d’apaisement à destination des évêques
Une tentative de damage control d’autant plus nécessaire que cette brusque montée de tension intervient alors même que Félix Tshisekedi a multiplié les gestes d’apaisement à destination des évêques, bien que la Cenco ait mis du temps à reconnaître son élection. Rencontre avec le pape François lors d’une visite au Vatican en janvier 2020, entrevues avec les représentants de la Cenco en novembre dernier, en pleins pourparlers en vue de la constitution de l’Union sacrée… Le chef de l’État, lui-même protestant, n’a pas ménagé ses efforts pour s’attirer les bonnes grâces de l’épiscopat catholique.
Fin 2020, il a même nommé Isidore Ndaywel au sein du panel chargé d’accompagner le pays durant son mandat à la tête de l’Union africaine. Or cet historien n’est autre que le responsable du Comité laïc de coordination, un collectif proche de l’Église catholique à l’origine des manifestations anti-Kabila entre 2017 et 2018 et qui avait appelé, fin 2019, à des manifestations contre la corruption sous Félix Tshisekedi…
« Gardienne du temple »
« La hiérarchie ecclésiastique congolaise revendique un rôle de gardienne du temple de certaines valeurs cardinales qu’elle estime indispensables à l’épanouissement de l’homme, note Martin Ziakwau, professeur en relations internationales. Elle entend prendre garde à ce que les [autorités], après s’être appuyées sur l’Église pour accéder au pouvoir, ne trahissent pas leurs promesses formulées jadis sur l’équité et la transparence du processus électoral, la gouvernance et le respect des droits humains. »
Du côté de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti de Tshisekedi, on promet que les scrutins se tiendront bel et bien en 2023… Tout en insistant sur les préalables nécessaires. « Nous sommes prêts à aller aux urnes, mais pas dans n’importe quelles conditions. Il faut que toutes les étapes soient respectées », insiste Augustin Kabuya, secrétaire général du parti présidentiel. Il faut que le recensement soit réalisé, que la population soit identifiée, pour espérer mettre en place de bonnes élections. »
Pour ce faire, l’Office national d’identification de la population dit avoir besoin de 350 millions de dollars et s’est engagé à livrer un fichier général en décembre 2022 au plus tard. Quant à Corneille Nangaa, qui est toujours président de la Ceni bien que son mandat ait officiellement pris fin en juin 2019, il a assuré, ce lundi 8 mars, que « les élections auront lieu en 2023, contrairement à ce que les gens disent ». Avant d’ajouter : « Si nous nous y prenons à temps. »