Présents dans 25 pays de la zone Afrique Moyen-Orient (9 % du chiffre d’affaires mondial), Standard Chartered est l’une des plus anciennes banques actives sur le continent. L’an dernier, ses revenus, en recul de 8 % sur douze mois, ont atteint 2,36 milliards de dollars dans cette zone, dont 11 % au Nigeria et 10 % au Kenya, deuxième et troisième marchés de la région derrière les Émirats arabes unis.
Si son bénéfice dans la région a fondu de près de 98 % en un an, à 13 millions de dollars, sous l’effet de la pandémie de Covid-19, le groupe se veut néanmoins optimiste et annonce dans son dernier rapport annuel l’ambition de devenir, d’ici à 2025, « admiré pour [son] service spécialisé dans les corridors de commerce et d’investissement à croissance rapide à travers l’Asie, l’Afrique et le Moyen-Orient ».
Nous croyons au potentiel révolutionnaire de la fintech
Et compte bien s’imposer comme « la première plateforme de services bancaires numériques ».
Jeune Afrique a interviewé sa vice-présidente senior pour l’Afrique, Bola Adesola, ancienne de FirstBank Nigeria et de Citi.
Jeune Afrique : Vous êtes l’une des panélistes pour la discussion sur l’« Essor des fintech : comment encadrer sans décourager » de l’Africa Financial Industry Summit, organisé ces 10 et 11 mars. Pourtant, quand on pense à la fintech, on n’y associe généralement pas des institutions telles que Standard Chartered, qui existent depuis tellement longtemps…
Bola Adesola : De nombreuses banques n’effectuent pas nécessairement les changements systémiques majeurs nécessaires pour participer à l’émergence de l’écosystème fintech en Afrique. Mais, à Standard Chartered, nous sommes déterminés à ne pas rater la grande vague qui se profile à l’horizon, car nous croyons au potentiel révolutionnaire de la fintech pour transformer les services financiers.
Je pense, généralement, que les banques devraient vraiment envisager le développement d’écosystèmes d’innovation avec les entreprises de la fintech. On ne devrait pas considérer le « financement » comme seul outil de collaboration. Ce que veulent de nombreuses entreprises de la fintech – et je discute avec nombre d’entre elles –, c’est une plateforme qui leur permettra d’atteindre l’échelle dont elles ont besoin. C’est la collaboration que nous poursuivons dans tous les domaines, des fusions et acquisitions à la gestion de trésorerie, etc.
Standard Chartered a lancé une structure appelée SC Ventures. De quoi s’agit-il ?
Il y a environ cinq ans, Standard Chartered a créé l’unité commerciale SC Ventures, pour promouvoir l’innovation et l’esprit d’entreprise au sein de notre organisation et à l’extérieur, et développer des modèles commerciaux alternatifs.
Nous avons un hub SC Ventures à Nairobi parce que nous considérons que l’Afrique est très importante pour ce qui va se passer dans cet espace. Nous avons également lancé – par le biais d’une coentreprise [avec Northern Trust, banque privée américaine, spécialiste de la gestion d’actifs, ndlr] – un service de « garde » de crypto-monnaies pour les investisseurs institutionnels.
Nous avons des devoirs en tant que gestionnaires de risques
Nous sommes également très fiers de Nexus, qui est une solution bancaire “plug-and-play” en marque blanche, développée par la Standard Chartered Bank. Nous avons également investi dans Contour, qui utilise la technologie de blockchain pour le suivi des lettres de crédit, tant du point de vue des clients que de celui des institutions financières. Et nous avons un partenariat avec Ant Group [groupe Alibaba], en Asie.
De nombreux banquiers africains se disent souvent frustrés par le fait qu’un trop grand nombre de règles auxquelles ils doivent se conformer ont été conçues et rédigées à l’étranger, sur des marchés plus matures. Quel est votre point de vue sur cette question ?
La banque est un secteur réglementé. Par-delà notre rôle traditionnel d’intermédiation financière, nous avons des devoirs en tant que gestionnaires de risques. C’est un aspect fondamental de notre action.
Ce sont des manquements à la réglementation qui ont conduit à certaines des crises que nous avons connues
Lorsque j’ai commencé à travailler dans le secteur bancaire, il y a plus de trente ans, une grande partie de l’activité de gestion des risques était axée sur les risques de crédit, de liquidité et de marché. Mais, aujourd’hui, la gestion des risques est plus solide et prend en compte tout le spectre des risques d’entreprise : le crédit et le marché comme auparavant, mais aussi les risques opérationnels et juridiques, la continuité des activités et les risques environnementaux, la conformité et les cyber-risques.
Les régulateurs doivent concevoir les règles et le cadre qui protégeront les épargnants. Ce sont des manquements à la réglementation qui ont conduit à certaines des crises que nous avons connues, que ce soit au Nigeria, où il a fallu créer une « bad bank », l’Asset Management Corporation of Nigeria (AMCON), pour s’occuper des actifs bancaires en difficulté, ou avec la crise des subprimes aux États-Unis.
Mais que répondre à ceux qui disent que ces règles ne tiennent pas suffisamment compte de la spécificité des marchés africains, de leur niveau de développement et de leurs besoins.
Bien sûr, il arrive que certaines de ces réglementations ne soient pas vraiment adaptées à l’optimisation de nos marchés et pourraient être davantage alignées sur les normes des « marchés avancés ». Mais, tout d’abord, la technologie réduit déjà de plus en plus cette « distance ». Et, deuxièmement, ces politiques ont été très positives et ont eu un impact considérable.
Avec la Zlecaf, la voix collective des pays africains se fera entendre
Prenons les « règles de Bâle » par exemple, en ce qui concerne les ratios d’adéquation des fonds propres, les tests de stress, etc. Certes, il y a l’inconvénient et la pression qu’il y a à s’y conformer, mais ces règles ont sauvé de nombreux systèmes bancaires en Afrique, car ils sont devenus plus résistants aux crises mondiales.
En outre, ces politiques sont importantes pour renforcer notre environnement bancaire lorsqu’il s’agit de réduire et de sanctionner les flux financiers illicites, le financement d’activités illégales et du terrorisme.
En fin de compte, je pense qu’avec l’accord de libre-échange continental africain, la voix collective des pays africains se fera entendre et créera une masse critique qui nous permettra d’élaborer efficacement des réglementations qui profiteront davantage à l’Afrique.
Et, bien sûr, avec une Africaine – Ngozi Okonjo-Iweala – à la tête de l’Organisation mondiale du commerce, qui a une expérience mondiale, nous pouvons espérer que même si elle se concentre, évidemment, sur les questions mondiales, elle comprendra mieux les questions relatives au continent et ce qui doit être fait en matière de réglementation commerciale pour nous.

Le Kenya représente 10 % des revenus de Standard Chartered dans la région Afrique et Moyen-Orient. © Baz Ratner/Reuters
En parlant de réglementation, il y a eu beaucoup de controverses concernant les activités de nombreuses applications de prêt, qui sont devenues de plus en plus populaires dans de nombreux pays africains. Que peut-on faire pour freiner ou réglementer leurs activités ?
Les prêteurs en ligne constituent certainement une bonne nouvelle car ils contribuent à l’inclusion financière. Mais tous les services financiers doivent être réglementés de manière efficace. Si ce n’est pas le cas, les clients courent des risques importants.
Nous devons reconnaître qu’avec la pandémie la situation financière de centaines de millions de personnes s’est dégradée. Cela a contribué à une augmentation des opérations des applications de prêt en ligne, même lorsque les taux d’intérêt qu’elles pratiquent sont particulièrement élevés, parfois jusqu’à 20-30-40 % par mois !
Il est très important que les agences de régulation interviennent pour assurer la protection des clients
Il y a plusieurs questions importantes. Premièrement, dans de nombreux cas, ces applications bafouent les principes de gestion équitable des données personnelles, notamment dans l’utilisation d’un certain nombre d’informations personnelles (appels et enregistrements de SMS, fréquence des alertes bancaires et utilisation du temps d’antenne, médias sociaux, etc.) pour le “scoring” et l’estimation des capacités d’emprunt des clients.
Le deuxième problème est celui du remboursement. Les personnes qui doivent emprunter à ce type de taux ont souvent des difficultés à rembourser à temps. Et, souvent, les prêteurs en ligne ont recours à des méthodes de recouvrement non conventionnelles (en passant par des messages hostiles sur les réseaux sociaux par exemple). Je pense qu’il est très important que les agences de régulation interviennent pour assurer la protection des clients. Dans certains pays comme le Nigeria, le Kenya et surtout le Ghana, des mesures positives ont été prises dans ce sens.
Nous sommes une banque de marchés émergents
Enfin, la sensibilisation et la pression de l’opinion publique peuvent contribuer à créer un écosystème plus transparent pour ces applications de prêt. Par exemple, Google a banni de sa plateforme les applications qui proposent des prêts devant être remboursés en moins de deux mois.
Ces dernières années, un certain nombre de banques internationales ont quitté l’Afrique. Barclays est l’une d’entre elles. D’autres, comme les français BNP Paribas et BPCE, ont considérablement réduit leur empreinte sur le continent. Standard Chartered [comme Société générale] n’a pas fait ce choix. Pourquoi ?
Cela dépend en grande partie de votre modèle économique, de votre force, des produits que vous offrez et de l’existence ou non d’un marché, d’une demande pour ces produits…
La résilience africaine est remarquable, notamment face au Covid-19
Même si notre siège social se trouve au Royaume-Uni, nous sommes en réalité une banque de marchés émergents. Nous nous concentrons beaucoup sur l’Asie, l’Afrique et le Moyen-Orient, en fournissant des financements pour faciliter les échanges et le commerce au sein des marchés émergents. Nous sommes présents sur le continent depuis plus de cent ans et nos racines sont très africaines.
Il est facile pour certains d’adopter une vision à court terme et de se dire « certaines de ces économies ne sont pas nécessairement stables sur le plan politique ».
Tout d’abord, nous constatons une amélioration du risque et une évolution favorable à l’Afrique de certaines lignes de fractures économiques et géopolitiques dans des endroits comme les États-Unis, la Chine et l’Europe.
La tendance en Afrique est à l’intégration
Deuxièmement, on constate une résilience régionale remarquable, notamment face au Covid-19. Et la reprise après la pandémie, en Afrique, sera probablement beaucoup plus rapide que nous le pensions, plus rapide qu’après la crise financière de 2008 ou même la chute des prix des matières premières en 2014.
Enfin, il y a les tendances structurelles à long terme. L’une d’entre elles concerne les dividendes démographiques sur un continent jeune, urbain et dynamique, que nous devons exploiter. Une autre est le dividende de la technologie et de l’innovation. Une troisième consiste à tirer parti de l’esprit d’entreprise et de l’optimisme en Afrique, qui peuvent être soutenus par la technologie. La quatrième tendance est une plus grande intégration en Afrique, en particulier la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).
Comment Standard Chartered prévoit-elle de tirer le meilleur parti de ces perspectives ?
L’une des possibilités que nous entrevoyons est le “passage à l’échelle”. Nous avons lancé en Afrique, en Côte d’Ivoire, la toute première banque entièrement numérique de l’histoire du groupe, lorsque j’étais DG de Standard Chartered pour le Nigeria et l’Afrique de l’Ouest.
De grandes opportunités existent dans la santé, l’éducation, le e-commerce
Aurions-nous lancé cette banque numérique dans un pays africain si nous ne pensions pas que nous devions faire ce “saut quantique” en Afrique également ? Cette plateforme de banque numérique a été déployée depuis ailleurs en Afrique et est en cours de déploiement en Asie.
Des opportunités similaires existent dans des domaines tels que la santé, l’éducation, le commerce électronique, etc. Et ce qui est important, c’est que les régulateurs et les gouvernements nous soutiennent. C’est peut-être lent, mais c’est en cours.
Il existe également des perspectives intéressantes dans l’exploitation des données massives [Big Data], car c’est ce qui nous aidera à accélérer la transformation numérique en Afrique, ainsi que dans le développement de partenariats public-privé pour combler le fossé des infrastructures et pour celui de chaînes de valeur régionales. Ce à quoi la Zlecaf va également contribuer.
Vous avez mentionné le soutien que vous recevez des autorités publiques. Comment Standard Chartered travaille avec les gouvernements en Afrique ?
Lorsque vous êtes dans un pays depuis plus d’un siècle, vous apprenez à connaître et à gagner la confiance du gouvernement. Nous sommes donc conseillers en matière de notation souveraine pour la majorité des pays du continent. Comme nous sommes investis dans ces pays, nous sommes les mieux placés pour comprendre les nuances et pour les aider à se présenter aux agences de notation, ou sur les marchés internationaux. De plus, nos références en matière de soutien aux pays dans le domaine des financements innovants sont impeccables.
Nous sommes la plus grande banque internationale en Afrique
Parce que nous sommes dans le pays, nous sommes mieux à même de vendre ou de commercialiser des euro-obligations ou toute autre forme d’investissement multilatéral. De nombreux pays africains sont confrontés à des niveaux d’endettement très élevés, et nous avons déjà commencé à proposer des solutions comme des financements mixtes innovants. Nous étudions le “recyclage” des actifs et d’autres formes de financement durable.
Plusieurs institutions ont revendiqué et revendiquent le statut de “première banque internationale en Afrique”. Quelle est aujourd’hui le périmètre de Standard Chartered en Afrique ?
Certains des acteurs qui se disaient les « plus grandes banques » sur le continent sont partis, mais nous continuons de croître en Afrique et nous exportons une grande partie de notre expérience et de nos développements africains au sein du groupe. Et les perspectives sont plutôt positives à long terme.
Nos clients nous considèrent comme la banque de référence en raison de nos liens avec le Moyen-Orient et l’Asie
Quelle que soit la grille de lecture adoptée, nous sommes aujourd’hui la plus grande banque internationale en Afrique, avec une présence dans 16 pays. Nous offrons des services de banques universelles dans quasiment tous ces pays, à l’exception peut-être d’un ou deux d’entre eux où nous offrons seulement des services de banque aux entreprises. Au total, nous opérons dans 37 pays africains, et c’est important. Par exemple, nous ne sommes pas présents au Sénégal en tant que banque universelle, mais nous réalisons plus de chiffre d’affaires à partir du Sénégal que dans une ou deux des économies plus petites de la région où nous sommes installés.
Notre longévité et notre constance à servir le continent africain sont des facteurs de différenciation. Et grâce à notre longévité dans ces pays, nous sommes un nom connu de tous et nous pouvons tirer parti de notre réseau et de notre expertise (financière, industrielle, opérationnelle…). L’Afrique reste un contributeur important aux revenus. Nos clients nous considèrent comme la banque de référence en raison de nos liens entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. Notre rôle à travers ce corridor géographique reste très important. Nous avons instauré des « banquiers de corridor », qui se concentrent sur le développement du business que ce soit entre l’île Maurice et l’Inde, le Kenya et la Chine, le Ghana et la Malaisie. Ce n’est pas “à part” mais au cœur de notre objectif de stimuler le commerce et les échanges dans les marchés émergents. Il s’agit donc d’un élément de différenciation majeur.
Ce sont des choses qui nous sont propres en tant que banque, et je ne peux nommer aucune autre banque qui possède ces références et qui soit aussi investie sur le continent que Standard Chartered. Nous, nous joignons toujours le geste à la parole.