À cinq semaines du scrutin, Corentin Kohoué est un homme occupé. Entre les réunions d’ordre administratif et les consultations politiques, les journées de l’ex-préfet des départements du Mono et du Couffo, dans le sud du pays, paraissent interminables. À 67 ans, ce vieux routard de la politique béninoise se lance pour la première fois dans la course à la présidence en tant que candidat. Et si la campagne n’a pas encore officiellement commencé, celui qui est accusé par une partie de l’opposition d’être un « faire-valoir » de Patrice Talon semble ne ménager aucun effort.
Candidat par défaut ?
L’enregistrement du dossier de candidature du duo qu’il forme avec Irénée Agossa, candidat à la vice-présidence, à la Commission électorale nationale autonome (Cena) dans la soirée du 4 février en a surpris plus d’un. Sur la scène politique nationale, personne n’avait vu venir ce « ticket » présidentiel. Pas même Corentin Kohoué lui-même. Avait-il rêvé de se présenter à la magistrature suprême ? « Pas du tout. On travaillait pour que Les Démocrates aillent aux élections », assure-t-il.
Et s’il a accepté de se positionner sur la liste du parti, c’est avant tout pour permettre à ce dernier de participer au scrutin. Il aurait « cédé sa place à quelqu’un de mieux placé » s’il l’avait fallu. Cependant, contre les instructions de la direction, il s’engage tout de même avec Irénée Agossa, qui avait déjà réussi à obtenir les parrainages nécessaires pour obtenir la validation de leur candidature. Conséquence immédiate : Corentin Kohoué est suspendu des Démocrates, de même que son colistier.
Son dossier validé par la Cour constitutionnelle, l’ex-préfet et son colistier doivent désormais batailler sur deux fronts : d’abord, parvenir à convaincre les électeurs qui s’apprêtaient à voter pour Les Démocrates de leur apporter leurs voix et « rétablir l’ordre démocratique », assure Kohoué. « Nous avons tout fait pour amener la démocratie en 1990. Quiconque a lutté à cette époque-là sait que l’on ne peut pas accepter la manière dont cela se passe aujourd’hui », assène-t-il, lui qui se dit convaincu de pouvoir « battre Talon dans les urnes ».
Des communistes aux libéraux
Moins connu du grand public que les deux autres prétendants, Corentin Kohoué a pourtant joué un rôle constant sur l’échiquier politique béninois depuis la fin des années 1980, n’hésitant pas à déplacer ses pions au gré des régimes se succédant.
Né en 1954, le jeune Corentin entame sa scolarité à Houégamey, son village natal situé dans le Couffo, avant d’intégrer le Lycée Béhanzin, à Porto-Novo, où il obtient son bac en 1974. Après une maîtrise en sciences économiques obtenue à l’Université nationale du Bénin, il entre au ministère de l’Éducation nationale en tant que responsable de projet. Un an plus tard, en 1979, il se voit octroyer une bourse et part étudier en Roumanie. Dans ce pays de l’Est où il obtiendra un DESS en population et développement auprès du Centre de développement des Nations unies pour la population, il se rapprochera des communistes. De retour au pays, il milite au sein du Parti communiste béninois (PCB), alors sous l’égide de Pascal Fantodji, son premier secrétaire.
Une entrée en matière politique qu’il assume aujourd’hui avec « fierté » et qu’il raconte même avec un brin de nostalgie. Il assure en avoir conservé « une certaine tendance à la transgression », mais aussi des « valeurs », au premier rang desquelles « la solidarité ». « Aujourd’hui, il n’y a plus de militants, il n’y a que des ouvriers politiques », assène-t-il. Jugeant que l’idéal communiste « manque de réalisme », il rompra cependant les amarres pour rejoindre Bruno Amoussou et Emmanuel Golou au sein du Parti social-démocrate (PSD). C’est sous cette bannière qu’il sera élu pour son seul et unique mandat de parlementaire, entre 2003 et 2007. Mais l’aventure avec le PSD tourne court lorsque Thomas Boni Yayi arrive au pouvoir.
Retournements de veste
Corentin Kohoué cède aux sirènes du nouveau président, qui le promeut préfet du Mono et du Couffo. L’un de ses anciens collaborateurs à ce poste se souvient d’un homme « qui incarnait l’autorité » et qui était « attaché à la compétence ». Il occupera ces fonctions jusqu’à la fin du règne de l’ancien chef de l’État sans jamais adhérer au parti de la mouvance présidentielle.
En 2016, nouveau changement de casaque. Kohoué s’engage aux côtés de Sébastien Ajavon dans la course à la présidentielle, et se rapproche même ensuite de l’Union sociale libérale, le parti créé par Ajavon en 2018. Là encore, l’aventure ne dure pas longtemps et il prend ses distances lorsque le parti ne reçoit pas le certificat de conformité requis pour participer aux législatives de 2019.
Les candidats recalés par la Cena ne manquent pas une occasion d’appuyer sur ces incessants retournements de veste
Au sein de l’opposition, les partisans des candidats recalés par la Cena ne manquent pas une occasion d’appuyer sur les incessants retournements de veste de celui qu’ils présentent comme « un candidat piloté par le pouvoir ». Reckya Madougou, qui devait porter les couleurs des Démocrates à la présidentielle – mais a depuis été arrêtée et inculpée pour « financement de terrorisme » présumé –, l’accusait ainsi d’avoir « trahi » le parti et d’être un allié de Patrice Talon.
« Je ne le connais pas et il n’y a aucune négociation », assure Corentin Kohoué. Déclaré persona non grata au sein d’une large partie de l’opposition, il a cependant bien du mal à se départir de cette image. Et les quelques membres des Démocrates qui soutiennent sa candidature n’osent pas s’afficher à ses côtés, de peur d’être suspendus à leur tour.
Le retour à la terre
L’ancien préfet, qui assure pouvoir compter sur sa famille – « très présente pour [le] soutenir » –, a déjà une éventuelle solution de repli. S’il n’obtient pas de « victoire surprise » face à Patrice Talon, ce « fils de paysans qui n’a jamais abandonné la terre » pourra en effet retourner à ses plantations de palmier à huile, dans son village natal de Houegamey, dans le Couffo.