Politique

Cameroun : quelle stratégie pour l’opposant Maurice Kamto ?

Sans élus, après avoir boycotté les élections législatives, municipales et régionales, le MRC et son leader tentent malgré tout d’occuper le territoire et les médias. Mais la pression des autorités, y compris judiciaire, est forte.

Réservé aux abonnés
Mis à jour le 29 mars 2021 à 11:12

Le leader de l’opposition Maurice Kamto, à sa sortie de prison, le 5 octobre 2019. © AFP

Une nouvelle fois, le 21 février, à l’occasion de la Fête de la jeunesse, les Camerounais ont entendu deux de leurs présidents. Paul Biya, celui, approuvé par la Cour constitutionnelle, qui dirige le pays depuis 1982. Et un second, l’homme qui lui conteste la dernière élection présidentielle et qui revendique d’avoir été élu en 2018 : Maurice Kamto.

Le chef de l’État a évoqué la « construction d’un Cameroun fort, uni, démocratique, décentralisé et émergent à l’horizon 2035 » et a invité la jeunesse camerounaise à ne « jamais désespérer de [son] pays ». Son opposant le plus farouche a été logiquement plus offensif. La jeunesse « ne peut plus s’engager simplement pour faire semblant », a-t-il lancé, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.

À Lire Cameroun : les défis de Mouangue Kobila sur le front des droits de l’homme

« Chaque jeune camerounais qui ne s’est pas encore inscrit sur les listes électorales, doit le faire le plus rapidement possible, dès demain. C’est très beau d’être nombreux aux meetings. C’est encore plus important d’avoir sa carte électorale parce que de cette façon, et de cette façon-là seulement, vous pouvez peser sur l’avenir de votre pays en choisissant les dirigeants que vous voulez », a poursuivi le patron du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC).

Mobiliser les Camerounais

Mais comment réussir cette mobilisation de la jeunesse ? Après avoir boycotté les élections législatives, municipales puis régionales, le MRC ne dispose d’aucun élu dans les appareils de l’État, décentralisé ou non. Il n’aura donc aucun poids, aussi symbolique soit-il, face au Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), dans les conseils communaux et régionaux, l’Assemblée nationale – où le Social Democratic Front (SDF) et le Parti camerounais pour la reconstruction nationale (PRCN) représentent l’opposition avec cinq sièges chacun – ou le Sénat.

À Lire Cameroun : les vérités de Mamadou Mota, tout juste libéré et déjà prêt à reprendre la lutte du MRC

« Le RDPC a fait en sorte que nos institutions soient verrouillées. La démocratie camerounaise ne s’exerce plus à l’Assemblée depuis longtemps et elle ne sera pas plus forte au sein des conseils régionaux », analyse un cadre du MRC. « Il faut revenir à la base de la politique, c’est-à-dire la mobilisation des Camerounais dans la rue », ajoute notre source. Mi-février, Maurice Kamto s’est ainsi rendu à Maroua, dans l’Extrême-Nord, au côté du vice-président de son parti, Mamadou Mota, libéré une semaine plus tôt après vingt-et-un mois d’emprisonnement.

Les autorités semblent utiliser les interpellations d’opposants comme une menace »

Bains de foule, discussions avec les responsables locaux du MRC, rencontres avec des chefs traditionnels locaux… Recette classique d’une conquête électorale. Une série d’autres rendez-vous régionaux doit suivre, avec pour objectif de conserver le lien avec les électeurs, de renforcer les bases de terrain du parti et de mettre la pression sur un président, Paul Biya, dont les déplacements et les apparitions publiques sont devenus depuis des années d’une rareté légendaire. « Ce n’est pas un secret, il y a deux axes de travail pour Kamto : le terrain, où Paul Biya n’est pas mais où le RDPC reste fort, et la bataille pour une révision du code électoral », résume un proche de l’opposant.

Jeu dangereux

« Depuis l’élection de 2018, le RDPC est dans une gestion de Kamto et du MRC par une alternance de répression et de libération », analyse un politologue camerounais. « Les autorités semblent utiliser les interpellations d’opposants comme une menace », précise-t-il. Depuis 2018, la quasi-totalité des dirigeants du MRC ont fait un passage par les cellules de la prison centrale de Kondengui, à Yaoundé, dont Maurice Kamto et son vice-président Mamadou Mota. Le porte-parole du parti, Olivier Bibou Nissack, et son trésorier, Alain Fogue, sont d’ailleurs toujours emprisonnés à l’heure où nous écrivons ces lignes. Le patron du MRC ne compte cependant pas relâcher la pression.

À Lire Cameroun : des militants pro-Kamto placés en détention pour « tentative de révolution »

« Kamto le sait : Paul Biya est très agacé quand l’image du Cameroun est ternie à l’extérieur. Il se dit qu’en jouant sur la pression diplomatique, il peut le pousser à la faute », conclut le politologue. « Avec les arrestations et les interdictions de manifester, le gouvernement joue un jeu dangereux alors qu’il est déjà fragilisé diplomatiquement par la crise dans les régions anglophones. En France, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, au sein de l’Union européenne, ce sont les arguments du MRC qui gagnent du terrain », confie un diplomate à Yaoundé.

La pandémie de Covid-19 a quelque peu stoppé l’élan international du MRC et de son président, lequel avait effectué une tournée européenne et américaine début 2020. Mais la stratégie reste la même : occuper le terrain, de Washington à Maroua.