Économie

Endettées, surstaffées, inefficaces : la charge du FMI contre les entreprises publiques tunisiennes

Une supervision unique des entreprises publiques pour améliorer leurs performances : c’est ce que préconise l’institution qui presse Tunis de procéder à des réformes libérales pour juguler une crise macro-économique qui ne cesse de s’accentuer.

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Par - à Tunis
Mis à jour le 3 mars 2021 à 11:38

Au siège de la Steg. TUNISIA, Tunis. Sujet entretien avec le Chairman, Mohamed Ridha Ben Mosbah et son √©quipe dans son bureau au si√©ge de la Steg (Soci√©t√© Tunisienne de l’√©lectricit√© et du Gaz) en Tunisie 23-02-2012. √Ǭ© Ons Abid pour Jeune Afrique © Ons Abid pour JA

Le Fond monétaire international (FMI) recommande la création, à moyen terme, d’une structure unique dédiée au suivi et à la gestion des entreprises publiques afin de « s’attaquer aux vulnérabilités et aux risques posés par les entreprises publiques ».

C’est la principale annonce faite mardi par Chris Geiregat, chef de mission du FMI pour la Tunisie après la mission – virtuelle – menée par son équipe entre fin décembre et début janvier auprès des autorités, des représentants du secteurs publics et privés et de la société civile.

Chiffres à l’appui, le rapport dresse un réquisitoire implacable contre ces entreprises publiques. Leurs faibles performances financières engendrent un endettement élevé, de l’ordre de 40 % du PIB en 2019 – et il devrait encore augmenter en 2020, selon les économistes internationaux.

Techniquement insolvables

Quatorze des 30 plus importantes entreprises publiques sont techniquement insolvables, c’est-à-dire qu’elles présentent un capital négatif. Résultat, chaque année, leur renflouement par le budget de l’État coûte entre 7 % et 8 % du PIB, dont 40 % sous forme forme de subvention en faveur de la Steg (électricité), de la Stir (carburant) et de l’Office des céréales.

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« Les entreprises publiques présentent des risques budgétaires importants, car leur faible performance financière engendre un endettement élevé. (…) Une part importante de la dette des entreprises publiques envers les banques nationales et les prêteurs internationaux multilatéraux et bilatéraux (estimée à 15 % du PIB à la mi-2020) est couverte par des garanties publiques », souligne le rapport, qui note en outre que « la masse salariale de la fonction publique tunisienne est l’une des plus élevées au monde ».

D’où la proposition de créer une structure centralisée pour « renforcer la gouvernance et la transparence financière des sociétés publiques », selon Chris Geiregat. Le bailleur international veut in fine que cette structure aide à « classer en fonction de leur viabilité » les sociétés publiques afin d’ envisager « de céder celles qui ne sont pas viables » et « de se désengager des entreprises publiques commerciales » pour favoriser le secteur privé.

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L’idée n’est pas nouvelle en Tunisie. En 2018, le livre blanc sur la réforme des entreprises publiques rédigé par l’ITES (Institut tunisien des études stratégiques), qui dépend de la Présidence de la République, évoquait déjà la création d’une « structure centrale de gestion » des entreprises étatiques, mais avertissant qu’« un important travail préliminaire reste à faire notamment que s’agissant de ses attributions, son rattachement, ses modalité d’organisation (…) Cet objectif s’inscrit nécessairement dans le moyen terme. » Voire le long terme.

Fort recul de la croissance en 2020

Le gouvernement a déposé un projet de loi en février autorisant la création d’une agence autonome et indépendante chargée de superviser les entreprise publiques. Mais il a été retiré temporairement pour « un examen plus approfondi », selon l’exécutif.

« C’est une bonne idée, sur le papier, pour améliorer la transparence et le management, mais ce n’est pas une solution miracle, nuance Afif Chelbi, ancien ministre de l’Industrie. Le problème des sociétés étatiques, c’est l’explosion des embauches en 2012 et 2013 [la masse salariale publique a représenté 17,6 % du PIB en 2020, l’un des taux les plus fort au monde], pas forcément sa gouvernance. »

Plus globalement, le FMI a dressé un constat macro-économique assez alarmant du pays. La croissance a reculé de 8,2 % en 2020. Une légère reprise de 3,8 % est attendue en 2021, mais avec des « risques considérables autour de cette projection, notamment à cause de l’incertitude sur la durée et l’intensité de la pandémie, ainsi que le calendrier de vaccinations », prévient Chris Geiregat.

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Aide financière : la porte reste ouverte

Le chômage est passé de 14,9 % à 16,2 % entre 2019 et 2020, tandis que l’endettement public a dépassé les 85 % du PIB. Des aggravations financières en grande partie due aux mesures d’urgence anti-Covid19 qui ont représenté environ 4,3% du PIB. Pour redresser la barre, comme à chaque visite de surveillance annuelle, le FMI a mis l’accent sur la réduction de la dette et des déficits budgétaires.

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Le bailleur critique, encore et toujours, les subventions « mal-ciblées » comme celles concernant du prix du carburant et du pain qui profitent aux pauvres comme aux classes aisées. Il demande aussi de promouvoir l’investissement privé en éliminant les monopoles, en développant le fonctionnement des infrastructures comme les ports et en réduisant « le fardeau de la bureaucratie ». A contrario, le FMI insiste pour que le gouvernement mette l’accent sur les dépenses de protection sociale, de santé, d’éducation et d’infrastructures.

Pour Chris Geiregat, « si l’économie tunisienne a subi sa plus forte contraction depuis l’indépendance, la dette de la Tunisie reste pour l’instant soutenable ». Jusqu’ici, les autorités n’ont pas officiellement demandé de nouvelle aide financière auprès du FMI, qui dit se tenir à disposition.