Six jours avant les élections législatives du 6 mars en Côte d’Ivoire, le grand quotidien pro-gouvernemental Fraternité Matin consacrait sa une aux enjeux du scrutin dans plusieurs circonscriptions du pays.
Parmi les photos des candidats figurant sur cette première page, un visage familier pour les lecteurs : Venance Konan, le patron de ce journal, où il travaille depuis trente-quatre ans et dont il signe les éditoriaux très lus de la page 3.
« À 62 ans, il est l’heure pour moi, le temps de l’engagement est arrivé », affirme l’intéressé. Militant de longue date du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le journaliste se présente à Daoukro, localité du Centre-Est qui l’a vu grandir et où il est déjà coordonnateur associé du parti depuis deux ans. Il sera opposé à Olivier Akoto, du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), et à Henriette Lagou, une candidate indépendante.
Fief d’Henri Konan Bédié
Le temps de la campagne, Venance Konan s’est mis en retrait de son journal et a choisi de ne plus en valider la une, tâche dont il s’acquittait quotidiennement depuis sa nomination au poste de directeur général, il y a dix ans. « La seule instruction que j’ai laissée aux équipes est de s’assurer de la pluralité des opinions », précise-t-il.
La politique, ce n’est pas si sale que cela »
S’il était élu dans ce fief d’Henri Konan Bédié, le journaliste se consacrerait pleinement à son mandat de député. Comme une continuité dans son parcours professionnel, lui qui considère avoir toujours été « au bord de l’engagement politique [de] par [ses] écrits ».
Défiance envers les médias
Interrogé sur le risque que cet engagement et celui d’une dizaine de ses confrères sur tout le territoire national n’alimentent un peu plus la défiance des Ivoiriens envers des médias déjà hyperpolitisés, ce docteur en droit répond par une boutade : « La politique, ce n’est pas si sale que cela. »
Konan cite dans la foulée l’exemple d’illustres patrons de « Frat Mat » reconvertis en politique. Laurent Dona Fologo, d’abord, premier rédacteur en chef du journal, qui deviendra ministre sous les présidences de Félix Houphouët-Boigny et d’Henri Konan Bédié, secrétaire général du PDCI et président du Conseil économique et social sous Laurent Gbagbo. Il est décédé en février dernier, à 81 ans. Auguste Miremont, ensuite : ancien directeur du titre, ministre à la fin des années 1980, puis maire et député de Bin-Houyé, dans l’Ouest.
Ce 6 mars, outre Venance Konan, deux autres patrons de presse brigueront un mandat de député : Denis Kah Zion, du Nouveau Réveil (proche du PDCI), à Toulepleu (Sud-Ouest) sous l’étiquette du PDCI, et Assalé Tiémoko, de l’hebdomadaire satirique L’Éléphant déchaîné, à Tiassalé (à 120 kilomètres au nord d’Abidjan), dont il est déjà le maire sans étiquette.
Bingerville a été la capitale du pays, puis elle a été oubliée »
À 41 ans, Hamza Diaby retente, lui, sa chance à Bingerville, commune frontalière de l’est d’Abidjan, après un premier échec aux législatives de 2016 et aux dernières municipales.
Qu’à cela ne tienne, il repart au combat face à sept candidats. C’est en indépendant que ce présentateur de la RTI, la grande chaîne publique ivoirienne, espère faire son entrée à l’hémicycle « pour servir convenablement les habitants de la commune » où il réside depuis sept ans.
Carences en infrastructures
« Il faut changer le quotidien des personnes qui vivent ici, dans cette ville qui a été la capitale de la Côte d’Ivoire, puis a été oubliée », martèle le quadragénaire, qui décrit des carences en infrastructures routières, ainsi qu’en accès à l’eau et à l’électricité dans certaines zones.

Au siège de la Commission électorale indépendante, le 1er février 2021. © Issouf SANOGO/AFP
Diaby s’est mis en congé de sa chaîne le temps de l’élection. « Je ne me présente pas pour me mettre en avant – dans ce cas la télé est un meilleur créneau –, mais pour servir Bingerville et être un intermédiaire entre la population et l’exécutif », assure-t-il.
Je veux avoir les mains libres pour travailler, porter la voix des sans voix »
Sabine Kouakou est elle aussi convaincue que son engagement en politique pourrait faire bouger les lignes. En l’occurrence, faire avancer la cause des jeunes et des femmes, ces « invisibles » de la commune huppée de Cocody, à Abidjan, où elle est candidate.
Passerelle
Pour y parvenir, elle compte mettre à profit tout ce qu’elle a appris dans l’exercice de son métier de journaliste, qu’elle pratique depuis 2006 au sein du quotidien Dernière heure : sa maîtrise de l’actualité politique, son sens des contacts et ses qualités rédactionnelles.
Elle se présente en tête d’une liste indépendante : « Cette indépendance est la meilleure façon de défendre le peuple, en dehors des chapelles politiques. Je veux avoir les mains libres pour travailler », assure la jeune femme de 39 ans.
Cette passerelle entre la politique et le journalisme, métier qu’elle retrouvera si elle n’est pas élue, lui paraît naturel. « Dans les deux cas, il s’agit de porter la voix des sans voix », souligne-t-elle.