Politique

Affaire Sonko : la levée d’immunité, une arme politique

Avant Ousmane Sonko, le 26 février, huit députés avaient déjà perdu leur immunité devant l’Assemblée depuis Abdou Diouf. Et le leader du Pastef n’est pas le premier à crier au complot politique.

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Mis à jour le 3 septembre 2021 à 13:03

Depuis que Macky Sall est arrivé au pouvoir, six députés ont vu leur immunité parlementaire être levées. © Infographie : Jeune Afrique

Privé de son immunité parlementaire par ses collègues députés à une large majorité le 26 février, Ousmane Sonko a été convoqué le 1er mars par la justice. L’opposant doit se présenter le 3 à 9 heures devant le juge d’instruction. Se rendra-t-il à cette convocation ? Appelant à la « résistance contre l’oppression », il a déjà fait savoir qu’il n’en avait pas l’intention.

Le leader du Pastef est accusé d’avoir violé sous la menace d’armes une jeune femme employée d’un salon de massage dakarois. Des faits passibles de plusieurs années de prison. L’opposant, qui nie fermement les accusations de la plaignante, crie depuis le début de cette affaire au complot politique, qui serait l’œuvre du chef de l’État. « L’objectif de Macky Sall est de [m’]arrêter le plus rapidement possible », a accusé Ousmane Sonko.

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Un discours qui ressemble fortement à celui du dernier opposant passé par la case prison sous Macky Sall : l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall. Accusé de détournement de fonds publics, il a lui aussi été incarcéré en mars 2017. Élu député en juillet de la même année alors qu’il se trouvait toujours derrière les barreaux, il avait vu son immunité levée en novembre.

Si la levée d’immunité parlementaire a été créée pour permettre à la justice de faire son travail dans le cas où un élu serait impliqué dans une affaire judiciaire, la procédure est fréquemment pointée du doigt. L’opposition reproche à la majorité de l’utiliser pour mettre hors-jeu ses adversaires politiques.

Depuis l’indépendance, c’est sous la présidence de Macky Sall que le plus de députés ont perdu leur immunité : six parlementaires, tous issus de l’opposition, ont été désavoués par leurs collègues depuis 2012. Mais seuls deux d’entre eux ont été condamnés. Ousmane Sonko sera-t-il le troisième ?

Ces députés qui ont perdu leur immunité parlementaire

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Que leur reprochait la justice sénégalaise ?

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En septembre 1981, on retrouve chez un militant du Parti démocratique sénégalais (PDS) des cahiers évoquant une instruction militaire reçue dans des camps libyens de Mouammar Kadhafi. Plusieurs militants du PDS sont alors inculpés d’atteinte à la sécurité de l’État, dont le député Doudou Camara. Son immunité parlementaire levée, il est placé en examen. Abdoulaye Wade, chef du parti, s’exile en France. Doudou Camara sera finalement acquitté.

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Joseph Ndong, alors responsable de l’Union des jeunesses travaillistes et libérales (UJTL), l’organisation des jeunesses du PDS, est aussi le directeur de publication de Sopi. En 1993, le journal publie un article évoquant des faits de corruption. Afin de faciliter l’enquête, le juge demande la levée d’immunité du député, qui sera brièvement entendu par la justice. 

 

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L’unique député qui a perdu son immunité sous le régime d’Abdoulaye Wade était lui-même membre du PDS. Accusé d’escroquerie par un homme d’affaires saoudien, il sera déchu de son immunité afin de faciliter l’action de la justice, avant d’être relaxé au Sénégal en 2010. Il sera malgré tout arrêté à l’aéroport de Casablanca en 2012, puis extradé en Arabie saoudite, où il sera rejugé pour les mêmes faits (requalifiés en « maraboutage » et « charlatanisme »). Il meurt en prison en 2019.

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En 2013, les trois députés font partie de ces barons du PDS qui se retrouvent dans le viseur de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), qui finira par condamner Karim Wade, le fils de l’ancien président. Le 10 janvier, sur la demande du procureur spécial de la CREI, l’Assemblée nationale lève l’immunité de trois anciens ministres d’Abdoulaye Wade : Oumar Sarr (à l’époque coordonnateur du PDS et aujourd’hui ministre des Mines), Abdoulaye Baldé et Ousmane Ngom.

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Au total, 113 parlementaires auront voté pour la levée de leur immunité, cinq contre, et un se sera abstenu. Entendus par la CREI, ils ne seront pas condamnés.

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Accusé d’avoir tiré sur des nervis du PDS qui encerclaient sa mairie en décembre 2011 (l’un d’entre eux sera tué ce jour-là), le député socialiste perd son immunité à 62 voix pour et 14 contre. Jugé un an plus tard, le député-maire de Mermoz-Sacré-Cœur sera condamné à deux ans de prison, dont six mois fermes, pour délits de coups mortels, coups et blessures volontaires et détention illégale d’arme sans autorisation administrative.

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Emprisonné en mars 2017, élu député en juillet depuis sa cellule, l’ancien maire de Dakar a perdu son immunité parlementaire en novembre suivant à l’issue d’une séance plénière chahutée, à 125 voix contre 27. Accusé de détournement de fonds publics, le dissident socialiste était alors considéré comme l’un des principaux concurrents de Macky Sall pour la présidentielle de 2019. Il sera condamné en appel à cinq ans de prison, puis gracié par le chef de l’État et libéré en septembre 2020. Privé de ses droits civiques et politiques, il reste à ce jour inéligible.

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Sous le coup d’une plainte pour viol et menaces de mort, l’ancien candidat à la présidentielle de 2019 a perdu son immunité à une large majorité, le 26 février 2021. Critiqué par les adversaires de Macky Sall, le vote a été boycotté par les députés de l’opposition qui ont dénoncé la procédure. Ousmane Sonko est convoqué le 3 mars devant le juge d’instruction.