Économie

Ngozi Okonjo-Iweala : princesse Igbo, déterminée, surdiplômée… Qui est la patronne de l’OMC ?

À son CV impressionnant et à sa puissance de travail peu commune, la Dame de fer nigériane devra ajouter patience et art du compromis pour réformer en profondeur une institution clé en perte de vitesse. Elle entre en fonction le 1er mars 2021.

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Mis à jour le 24 février 2021 à 17:07

Ngozi Okonjo-Iweala, première patronne africaine de l’OMC. © ERIC BARADAT/AFP

À Abuja comme à Genève, où elle a été élue le 15 février directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), vous ne verrez jamais Ngozi Iweala-Okonjo qu’en coiffe et boubou traditionnels, histoire de signifier qu’elle est nigériane et fière de l’être. Partout, on l’appelle « Ngozi ». Au Nigeria, ses ennemis ajoutent, en langue yorouba, « Wahala », ou « la femme à problèmes ».

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Cette dame de 66 ans au caractère bien trempé rejoint au Panthéon de la mondialisation deux autres femmes puissantes, la Bulgare Kristalina Georgieva, directrice générale du Fonds monétaire internationale (FMI), et la Française Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, qui a précédé Mme Georgieva à la tête du FMI.

Mais c’est Ngozi qui affiche le curriculum vitae le plus impressionnant : fille d’un chef traditionnel Ibo, diplômée de Harvard et du MIT, numéro deux de la Banque mondiale, ministre des Finances de son pays, docteure honoris causa d’une foule d’universités, primée par des myriades d’associations, à commencer par Transparency International, présidente du conseil d’administration de Twitter et de Global Alliance for Vaccines and Immunisation (GAVI)…

Si ta couleur ou ton sexe gênent les autres, ce n’est pas ton problème, mais le leur

À la fin des années 1960, la guerre du Biafra ruine sa famille, mais lui confère une résilience à toute épreuve. À 14 ans, elle sauve sa petite sœur atteinte de paludisme en la transportant sur le dos pendant cinq kilomètres… et en forçant l’entrée du dispensaire par la fenêtre. Son père contribue à la doter d’une solide confiance en elle en la prévenant, quand elle part en 1973 étudier aux États-Unis : « Si ta couleur ou ton sexe gênent les autres, ce n’est pas ton problème, mais le leur. »

Sa puissance de travail est peu commune. Les horaires de bureau de 6 h à minuit ne lui font pas peur. Directrice des opérations à la Banque mondiale, elle ne craint pas de faire des heures de pistes défoncées au Congo-Kinshasa pour surveiller l’avancement de chantiers. Numéro deux de la Banque, elle se fixe pour objectifs prioritaires le développement des pays pauvres, notamment par l’agriculture, la promotion des femmes et la lutte contre la corruption.

Une première fois ministre des Finances du Nigéria, elle « élimine » 46 821 fonctionnaires fantômes qui perçoivent un salaire indu. Elle envoie en prison pour corruption le chef de la police nationale et fait révoquer trois ministres. Lors de ses négociations en 2004 au Club de Paris sur la réduction des 30 milliards de dollars de la dette nigériane, les pays créanciers lui demandent de commencer par la rembourser.

Renégociation de dette aux forceps

Elle leur rétorque qu’ils ont du culot de « réclamer à l’un des pays les plus pauvres du monde le paiement d’une dette qu’ils ont consentie à des dictateurs nigérians corrompus ». Elle obtient l’annulation de 18 milliards de dollars et rembourse le reste… après.

« Elle nous a bluffés, raconte Serge Michailoff, qui fut son collègue à la Banque. Elle s’est débrouillée pour ne pas passer sous les fourches caudines du FMI. Pour cela, elle a mis en place un programme d’économies plus ambitieux que celui du Fonds ! »

Elle obtient un début de transparence sur les recettes pétrolières de son pays, afin de réduire leur « évaporation », préférant « que l’argent du pétrole aille dans les écoles et les hôpitaux plutôt que dans les poches de quelques-uns ». Quand elle retourne à la Banque mondiale en 2007, son bilan n’est pas mince : le Nigeria économise 1 milliard de dollars par an et son inflation annuelle a été ramenée de 23 % à 11 %.

Ministre de l’Économie et des Finances pour la deuxième fois en 2011, elle taille dans les subventions aux carburants et provoque des émeutes. Elle fait – un peu – marche arrière. Mais elle refuse de négocier avec ceux qui enlèvent sa mère de 82 ans en 2012 pour l’obliger à démissionner.

Tâche titanesque

À Abuja, certaines ONG estiment que Ngozi aurait pu faire plus contre la corruption sous la présidence de Goodluck Jonathan. D’autres lui reprochent d’avoir fermé les yeux sur des importations d’armes illégales pour lutter contre Boko Haram. Ou d’avoir obtenu le limogeage du Gouverneur de la Banque centrale qui lui faisait de l’ombre. À Washington, des critiques pointent le favoritisme dont elle aurait fait preuve dans le recrutement et les promotions d’Africains quand elle gérait les ressources humaines de la Banque.

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La tâche qui l’attend à l’OMC est titanesque. Sur son bureau de Genève, l’attend en priorité le problème des vaccins contre le coronavirus que posent les demandes de l’Inde et de l’Afrique du Sud de ne pas respecter les brevets des laboratoires pour doper leur production de doses. Sa position est balancée : il faut que la recherche continue à être financée, mais « le nationalisme vaccinal n’est pas une bonne chose ».

Elle aura à se pencher sur les subventions à la pêche et à relancer l’Organe de règlement des différends, paralysé par Donald Trump, mais que Joe Biden, adepte du multilatéralisme, devrait débloquer. S’empilent sur son bureau les dossiers de la réglementation du commerce numérique à l’échelle mondiale, du « verdissement » de l’OMC et de sa réforme indispensable face à la multiplication des accords commerciaux bilatéraux et à la guerre commerciale sino-américaine qui pénalise l’économie mondiale.

Indispensable diplomatie

L’Afrique aussi compte sur Ngozi. « Mme Okonjo-Iweala a exprimé le souhait que le continent s’oriente vers un modèle davantage basé sur l’exportation de biens à forte valeur ajoutée que sur l’exportation de matières premières, commente Daouda Sembene, ancien administrateur sénégalais du FMI. L’Afrique espère que, sous son magistère, l’OMC réussira à corriger les règles inadaptées et à éliminer les pratiques déloyales qui perpétuent un tel système ».

Il faudra que Ngozi s’adapte aux particularismes de l’OMC. À la différence d’autres institutions, l’Organisation est très démocratique. Un pays égale une voix ; le Rwanda pèse autant que la Chine. Aucun accord n’est possible tant que tout le monde n’est pas d’accord. La diplomatie y est donc bien plus indispensable que le bulldozer.

Le problème numéro un auquel elle sera confrontée sera le triangle États-Unis, Chine et Europe

« Ngozi va devoir trouver un équilibre avec ses États membres, analyse Pascal Lamy, ancien directeur général, qui lui avait proposé de lui succéder dès 2013. La Charte de l’OMC ne dit rien de l’étendue des compétences de la directrice générale et du secrétariat par rapport à celle des États membres représentés par leurs ambassadeurs. Ngozi a la détermination nécessaire pour piloter l’institution, mais l’OMC n’est pas la Banque mondiale… »

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Elle n’y sera pas toute puissante, tant s’en faut ! « Le problème numéro un auquel elle sera confrontée sera le triangle États-Unis, Chine et Europe, poursuit Pascal Lamy, car c’est là que résident les nœuds qui ont bloqué l’OMC depuis 2010. »

Il va falloir au « Docteur Ngozi » cultiver la patience et un art consommé du compromis, deux vertus qui ne sont pas celles auxquelles elle a habitué ses partenaires, ses collaborateurs, ses adversaires et ses quatre enfants.

Biographie

13 juin 1954 : naissance à Ogwahi-Ukwu (delta du Niger)
1976 : diplômée de Harvard
1981 : doctorat au MIT
1982 : entre à la Banque mondiale où elle travaillera vingt-cinq ans au total
2003-2006 : ministre des Finances du Nigeria
2006 : ministre des Affaires étrangères du Nigeria
2007-2011 : retour à la Banque mondiale dont elle devient la numéro deux
2011-2015 : ministre des Finances du Nigeria
2012 : échec de sa candidature à la présidence de la Banque mondiale
2016 : présidente du conseil d’administration du GAVI
2020 : désignée par l’ONG Transparency International comme l’une des huit femmes les plus efficaces du monde contre la corruption
15 février 2021 : élection à la direction générale de l’Organisation mondiale du commerce