Cérémonie d’investiture d’Andry Rajoelina, le 19 janvier 2019. © AP/Sipa

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Madagascar : trois ans pour réussir

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Économie

Madagascar – Thierry Rajaona : « La clé de la relance, c’est la volonté politique »

Le président du Groupement des entreprises de Madagascar appelle le gouvernement à redonner la priorité à l’intérêt général sur les intérêts particuliers.

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Mis à jour le 28 mars 2022 à 15:13

Thierry Rajaona, le président du Groupement des entreprises de Madagascar (GEM), à Antananarivo, le 12 février 2020. © RIJASOLO / RIVA PRESS pour JA

Thierry Rajaona, président du Groupement des entreprises de Madagascar (GEM), affiche son optimisme. Madagascar pourrait sortir de la crise économique liée au Covid dès cette année… Et aurait même pu, selon le patron des patrons malgaches, éviter la récession. À condition que l’État assume ses responsabilités.

Construction d’infrastructures, promotion de la production locale et lutte contre la corruption sont autant de domaines où les autorités doivent mieux faire, estime ce diplômé d’HEC Paris qui codirige le cabinet FTHM Consulting. Entretien.

Jeune Afrique : Quel est le bilan des douze derniers mois marqués par la crise du Covid pour le secteur privé ? 

Thierry Rajaona : Une annus horribilis en matière économique, avec une récession de 4,2 % du PIB selon la Banque mondiale… Du jamais-vu depuis la crise politique de 2009. Notre pays compte parmi les cinq plus pauvres au monde et 77,4 % de la population y vit avec moins de 1,9 dollar par jour. Mais cette récession était évitable. Je dis fermement que Madagascar peut rebondir très fort et son économie atteindre des taux de croissance à deux chiffres sur une longue période.

Dans la loi de finance initiale de 2021, il n’y a pas de véritable plan de relance

Comment parvenir à un tel résultat ? 

La clé, c’est la volonté politique. Mais on peine à la ressentir. Dans la loi de finance initiale de 2021, il n’y a pas de véritable plan de relance. Le gouvernement a adopté un plan multisectoriel d’urgence début juillet 2020, mais son comité de pilotage ne s’est réuni pour la première fois que le 15 février 2021… Le pays a reçu plus de 600 millions de dollars d’aides des bailleurs [FMI, Banque mondiale, AFD…]. Le FMI avait affirmé que son aide devait contribuer également à soutenir l’économie et à préserver l’emploi dans les entreprises, mais on constate que cela n’a pas été vraiment le cas.

Quels seraient, selon vous, les axes de la relance ? 

Notre économie est très extravertie. En 2019, notre PIB reposait pour moitié sur les importations et les exportations. Madagascar dépend grandement des marchés extérieurs, qu’il s’agisse du textile, des services, du tourisme, de la vanille et du clou de girofle, des crevettes et des mines bien sûr [Ambatovy, qui exploite du nickel et du cobalt, représente environ un quart des exportations totales du pays]… Alors quand les marchés extérieurs se sont fermés à cause du Covid, il aurait fallu prendre des mesures  en vue d’augmenter la production et la consommation domestiques. Mais je constate une absence de volonté politique.

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Le secteur rizicole par exemple, qui produisait 4,5 millions de tonnes en 2010, n’en a récolté l’an dernier que 3,5 millions. Actuellement, entre 10 % et 20 % de notre consommation est assurée par des importations. Le pays pourrait pourtant devenir autosuffisant en deux ans, si l’État en faisait une priorité. Il faut mettre à disposition des paysans des semences de qualité, assurer leur financement, leur garantir un prix d’achat rémunérateur et, bien sûr, améliorer l’état des routes.

En outre, les importations, bien que minoritaires, dictent le prix du marché local parce qu’il y a des ententes entre certains importateurs et collecteurs. Ce n’est pas une mauvaise idée que l’État importe lui-même du riz cette année pour que ce phénomène ne joue plus .

Le pays dispose aujourd’hui du même réseau routier qu’il y a quarante ans !

Madagascar manque d’infrastructures…

C’est le second grand axe de relance. Il faut investir massivement dans les infrastructures à externalités positives, à commencer par les routes. Le pays dispose aujourd’hui du même réseau routier qu’il y a quarante ans ! Et les nouveaux investissements servent souvent à refaire les routes réalisées il y a dix ans. Cela signifie qu’elles sont de mauvaise qualité et mal entretenues. C’est de l’argent jeté par les fenêtres !

Comment comprendre par exemple qu’en soixante ans la RN 44 reliant Moramanga à Ambatondrazaka n’ait jamais été bitumée, alors qu’elle relie la principale région rizicole, le lac Alaotra, au reste du pays ? [La chaussée est en terre et les camions en parcourent parfois les 160 kilomètres en plusieurs jours, en période de pluie, NDLR.]

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Comment expliquer un tel paradoxe ?

Depuis l’indépendance, certains intérêts privés s’opposent à ces constructions et font du lobbying auprès des dirigeants. En 1996, un coopérant suisse actif sur le dossier de la RN 44 a même été assassiné. Le fond du problème, c’est que certains acteurs ne veulent pas de concurrence. Ils préfèrent rester en situation de monopole pour la collecte et acheter le riz à bas prix au détriment des paysans. Je félicite d’ailleurs le président et le gouvernement actuel d’avoir pris la décision de débuter enfin les travaux de goudronnage de la RN 44.

La lutte contre la corruption est, à vous entendre, la priorité des priorités. Où en est-on de ce combat  ? 

On subit actuellement un niveau de corruption presque jamais atteint. L’ONG Transparency International classe Madagascar au 149e rang des 180 pays examinés avec un score de 25 sur 100 en 2020 [7 points en moins depuis 2012]. Et, selon mon expérience personnelle, nous avons atteint un plancher. Policiers, gendarmes, juges, enseignants, médecins… Le laisser-aller à tous les niveaux de l’administration est inquiétant. La lutte contre la corruption permettrait pourtant de rassurer les investisseurs.

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Où en sont les grands projets d’infrastructures, comme les deux barrages hydroélectriques de Sahofika, de 192 MW, et Volobe, de 120MW ? 

Ces projets, qui doivent permettre de diviser par quatre le coût de l’électricité, sont bloqués. Les contrats auraient été mal négociés, mais difficile de comprendre pourquoi cela n’avance pas.

Avez-vous des exemples de pays dont Madagascar pourrait suivre les traces ?

Le Rwanda tout d’abord. Après le génocide de 1994, les autorités ont compris que seul le renouveau économique pouvait réellement souder la population.

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La Chine aussi, qui applique une politique de financement dirigée par l’État. À Madagascar, le secteur bancaire est totalement libéralisé, mais ne finance pas assez l’économie. Le rapport entre les crédits bancaires et le PIB (14 % en 2019 selon la Banque mondiale) est l’un des plus faibles du continent. Et les taux d’intérêts tournent autour de 13 % en moyenne, en 2020.

Le Ghana, enfin, qui est aujourd’hui l’une des économies africaines les plus dynamiques, est un bon exemple à suivre.