Politique

Tiébilé Dramé : « Au Mali, une réforme du système électoral est indispensable »

Présence française, élections, personnalités soupçonnées de « déstabilisation »… En retrait depuis le coup d’État d’août dernier, Tiébilé Dramé, l’ancien opposant devenu ministre des Affaires étrangères d’IBK, sort de son silence.

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Par - à Bamako
Mis à jour le 10 février 2021 à 18:16

Tiébilé Dramé, ancien ministre malien des Affaires étrangères. © Vincent Fournier/JA

Cinq mois après le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), les nouvelles autorités de Bamako continuent de promettre des élections générales en 2022 pour transmettre le pouvoir aux civils. Le débat sur les modalités d’organisation de ces élections, déjà âpre au sein de la classe politique malienne, a été relancé par l’annonce de la suppression de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni).

Ancien ministre des Affaires étrangères d’IBK, dont il avait auparavant été l’un des opposants les plus critiques, Tiébilé Dramé estime sur ce point qu’« une réforme du système électoral est indispensable si nous voulons éviter de nouvelles crises politiques et institutionnelles ». En janvier, il a soumis à la délégation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) une contribution alertant sur les risques d’un « échec » au Mali si, « à l’issue de la période transitoire en cours, il n’y a ni réformes ni organe indépendant en charge des élections ».

Depuis le coup d’État du 18 août dernier, le leader du Parti pour la renaissance nationale (Parena) s’était mis en retrait de la scène politique, mais semble désormais décidé à jouer à nouveau un rôle. Du débat sur l’organisation des élections à l’avenir de l’Accord pour la paix et la réconciliation, en passant par la question du maintien de la présence militaire française, Tiébilé Dramé revient en exclusivité pour Jeune Afrique sur les grands sujets du moment.

Il est encore temps de rectifier le tir en instaurant un dialogue constructif

Jeune Afrique : Quel regard portez-vous sur la transition mise en place cinq mois après le renversement d’Ibrahim Boubacar Keita ?

Tiébilé Dramé : Il y a encore trop de crispations. Pour que la parenthèse qu’est la transition serve la cause de la stabilité future du pays, il faut plus de dialogue et de concertation entre les autorités d’un côté et les acteurs politiques et de la société civile de l’autre, sans exclusive.

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Beaucoup s’interrogent sur la marge de manoeuvre réelle de Bah N’Daw, le président de la transition, face à son vice-président, Assimi Goïta. Qui dirige vraiment selon vous ? 

Je suis de ceux qui ne font pas la différence entre les autorités militaires et civiles qui dirigent la transition. Je pense qu’elles sont beaucoup plus unies que certains ne le croient.

Une partie de la classe politique affirme qu’elle à été écartée de la gestion des affaires publiques. Est-ce aussi votre sentiment ?

Pour poser les fondations d’un État fort, ainsi que celles de la stabilité politique et institutionnelle, la transition malienne doit être inclusive et consensuelle. Il est encore temps de rectifier le tir en instaurant un dialogue constructif et fécond dans l’intérêt du Mali.

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Les élections générales doivent se dérouler dans quatorze mois. Bah N’Daw s’est porté garant d’un retour des civils au pouvoir dans les délais prévus par les textes de la transition. Pensez-vous que les conditions soient réunies pour cela ?

Il serait impensable d’organiser de nouvelles élections sans tirer les leçons de ce qui est arrivé entre avril et août 2020. En d’autres termes, une réforme du système électoral est indispensable si nous voulons éviter de nouvelles crises politiques et institutionnelles. Il faut se parler, s’écouter et s’entendre pour prendre, très vite, le chemin des réformes.

Des organisations de la société civile et des partis politiques plaident pour la mise en place d’un organe unique de gestion des élections, mais craignent que les autorités de transition ne cherchent à le contrôler. Qu’en pensez-vous ?

La mise en place d’un guichet unique et autonome de gestion des élections est l’une des principales résolutions du Dialogue national inclusif (DNI). C’est une exigence formulée par la quasi totalité des partis politiques et des organisations de la société civile. Les autorités de transition seraient bien avisées de s’engager dans cette voix sans perdre plus de temps.

Le gouvernement et certains experts estiment qu’il n’y a pas suffisamment de temps et de moyens matériels et humains pour déployer cet organe unique dans les temps. Que leur répondez-vous?

Ces arguments comportent le risque de maintenir un statu quo dont nous connaissons les conséquences. Il faut une forte volonté politique pour avancer. Les compétences existent au Mali. Il faut oser pour la stabilité du pays.

La région du Centre est toujours en proie à une très forte insécurité et la mise en oeuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation ne connaît que de timides progrès. Comment organiser des élections dans ces conditions ? 

Le Burkina Faso, qui a beaucoup de points communs avec le Mali, vient d’organiser des élections propres malgré l’insécurité dans certaines régions. Si les acteurs maliens se parlent et mettent l’intérêt national au-dessus de tout, tout doit être possible.

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Quant à la mise en œuvre de l’accord de paix, il faut revenir à la dynamique post-Dialogue national et à l’ accord d’Alger, synonyme de respect du drapeau malien, de l’hymne national, de l’intégrité du territoire, de l’unité nationale, de la forme laïque et républicaine de l’État. La poursuite de sa mise en œuvre diligente et sa relecture avaient alors été acceptées par tous.

La présence militaire française fait débat. Quelle est votre position ? L’opération Barkhane doit-elle se retirer, comme le demandent certains ? 

La France est intervenue au Mali en janvier 2013 à notre demande. Serval était une opération salvatrice. Barkhane en a pris le relais pour nous épauler dans la lutte contre les ramifications sahéliennes d’Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique] et de l’État islamique.

Plusieurs dizaines de jeunes français sont morts chez nous, pour notre liberté. Leur sang, versé sur le sol du Mali, est le ciment de l’amitié et de la fraternité entre nos deux peuples. Nous ne devons jamais l’oublier. Comme les Français ne doivent jamais oublier l’apport de nos grands-pères pendant la guerre antifasciste de libération nationale.

En tout état de cause, il faut éviter d’avoir les mêmes demandes que les organisations terroristes qui veulent soumettre les États sahéliens et les détruire.

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Début janvier, un bombardement sur le village de Bounti a fait au moins 19 morts. Montrée du doigt, l’armée française affirme qu’il s’agissait d’une opération ciblant des « terroristes », tandis que des ONG locales et internationales évoquent des « victimes civiles ». Le Mali n’est-il pas en droit d’exiger plus de transparence ? 

Bien entendu, toute la lumière doit être faite sur la mort de ces villageois dans le secteur de Bounti. Les responsabilités doivent être clairement établiés. Je salue l’initiative de la Minusma [Mission multidimensionnelle intégrée des Nations pour la stabilisation au Mali], qui a dépêché sur les lieux une mission d’enquête. Ses conclusions permettront d’édifier l’opinion sur ce qui s’est réellement passé dans la zone.

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Plusieurs personnalités sont poursuivies pour « déstabilisation » de la transition dont l’ancien Premier ministre, Boubou Cissé. S’agit-il d’une « chasse aux sorcières » ou les procédures se justifient-elles ?

Nous sommes dans un État de droit. Les règles s’appliquent à tous, mais elles doivent aussi profiter à tous.

Tout inculpé est présumé innocent et la privation de liberté doit être l’exception. Il est souhaitable que, dans un geste d’apaisement, les prévenus soient libérés et que ceux qui se cachent puissent, en toute sécurité, retrouver leurs familles.