[Tribune] Rwandais par le sang, Rwandais par le cœur

Près de vingt-sept ans après le génocide des Tutsi, qu’est ce qu’être rwandais ? Selon la vision de Paul Kagame, on peut être issu d’ailleurs et s’inscrire dans le destin du pays aux Mille Collines.

Le légendaire capitaine sénégalais Mbaye Diagne, reconnu comme Juste au Rwanda © AFP

Le légendaire capitaine sénégalais Mbaye Diagne, reconnu comme Juste au Rwanda © AFP

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Publié le 9 février 2021 Lecture : 4 minutes.

Comme pour nombre de personnes, le Rwanda est entré dans ma conscience au moment du génocide contre les Tutsi. J’étais trop jeune pour en comprendre les ressorts, mais je voyais bien qu’il s’était produit quelque chose d’exceptionnel. Étudiant, j’avais lu L’inavouable, de Patrick Saint-Exupéry, sur le rôle de la France au Rwanda. J’en étais sorti troublé. Au-delà du rôle joué par les dirigeants français de l’époque dans la tragédie rwandaise, j’avais gardé cette impression que le « pays des Mille Collines » était probablement condamné. Comment, en effet, se relever d’un tel désastre ?

Et pourtant… En 2016, j’eus le privilège de participer, dans un Kigali débordant d’énergie, d’optimisme et de vitalité, à une conférence de presse donnée par le président Paul Kagame à un panel de journalistes locaux, régionaux et internationaux réunis à Kigali à l’occasion du Forum économique mondial. C’était mon deuxième séjour au Rwanda. J’étais fasciné et curieux. Comment l’impossible s’était-il donc réalisé ?

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« Qu’est-ce qu’être rwandais ? »

Je posais trois questions au président du Rwanda. Les deux premières concernaient sa compréhension du leadership, notamment dans le contexte africain ; la troisième était simple : « Qu’est-ce qu’être rwandais ? » Cette dernière question me semblait fondamentale parce que je considérais que l’économie, pour nécessaire qu’elle fût, ne pouvait à elle seule suffire pour faire fonctionner un pays sur le long terme.

Si ce qu’Ernest Renan appelle « le désir de vivre ensemble » est absent, alors, in fine, les forces de la désintégration l’emporteront sur celles de l’économie. La question de la cohésion nationale était au cœur de la tragédie rwandaise, mais aussi du projet politique porté par le Front patriotique rwandais (FPR) du président Kagame. Je m’attendais à ce que celui-ci évoquât une identité rwandaise exclusivement incarnée dans des traditions, une histoire, le Kinyarwanda. Pas du tout.

Au contraire, il expliqua en substance que le Rwanda était une partie de l’Afrique, dont le destin était inextricablement lié à celui de notre continent. Être rwandais, c’était une manière d’être africain. Loin d’être insulaire, l’identité rwandaise devait être ouverte sur l’Afrique et le monde. Conception politique de la nation, à rebours de l’approche ethnique privilégiée en Afrique. Sans le savoir, celui qui deviendrait plus tard mon président m’avait pris à contre-pied.

Je pensais que sa réponse était incompatible avec celle que j’attendais. Pas nécessairement. On n’est pas moins rwandais parce que l’on se sent africain. On peut vibrer aux mélodies envoûtantes de Cécile Kayirebwa, maîtriser le Kinyarwanda sur le bout des doigts, au besoin transformer les « l » en « r », tout en se sentant à la maison à l’autre bout de l’Afrique. Mais dans l’esprit du président rwandais, l’inverse est tout aussi vrai. On peut être issu d’ailleurs et s’inscrire dans le destin du Rwanda. On est rwandais par le sang, mais aussi, peut-être d’abord, par le cœur. Droit du sang d’un côté, force de la volonté de l’autre. Deux légitimités d’égale valeur.

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Héros panafricains

Il faut dire que l’Afrique est au cœur de l’histoire récente du Rwanda. Comme beaucoup de gens de sa génération, le président du Rwanda lui-même a grandi hors de son pays. L’expérience de l’exil fut souvent difficile pour les nombreuses familles rwandaises disséminées dans divers pays africains après les pogroms anti-tutsi de 1959. Mais dans l’ensemble, les pays hôtes jouèrent tant bien que mal le jeu de la solidarité avec les réfugiés.

Au moment du génocide contre les Tutsi, Ibrahim Gambari, l’actuel chef de cabinet du président Muhammadu Buhari, était l’ambassadeur du Nigeria aux Nations unies. Celui-ci lutta sans relâche – contre l’avis de grandes puissances qui avaient décidé d’abandonner le Rwanda à son sort – pour une intervention vigoureuse de l’ONU, laquelle aurait mis fin aux massacres. Dans ces moments-là, Ibrahim Gambari était pleinement nigérian, africain, rwandais.

Au moment du génocide, ces héros ont sauvé l’honneur de l’Afrique et planté les germes du nouveau Rwanda

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Le regretté Jerry Rawlings, alors président du Ghana, valida la décision illégale prise fin avril 1994 (en plein génocide) par le général de brigade ghanéen Henry Kwami Anyidoho, alors commandant du contingent ghanéen de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda, et son supérieur, Roméo Dallaire, de laisser au Rwanda un contingent de casques bleus supérieur aux 270 militaires autorisés par le conseil de sécurité de l’ONU. La majorité de ces renforts étaient ghanéens. Ils sauvèrent des vies.

Des observateurs militaires togolais, congolais et sénégalais qui intervenaient au Rwanda dans le cadre d’une mission de l’UA contribuèrent à la protection des civils piégés à l’Hôtel des Mille-Collines. Le légendaire capitaine sénégalais Mbaye Diagne est reconnu comme Juste au Rwanda.

Tous ces héros panafricains sauvèrent l’honneur d’une Afrique dont on peut regretter que les dirigeants n’aient pas été plus offensifs sur le dossier rwandais en 1994. Mais leurs actes de bravoure furent autant de germes du nouveau Rwanda. D’une certaine façon, ils montrèrent comment être rwandais au sens de Paul Kagame : en défendant la cause de la paix, de l’unité, de la prospérité pour tous les Rwandais et donc pour tous les Africains.

Quelques mois après cet échange avec le président du Rwanda, je m’installais dans le pays. C’était il y a cinq ans ; le temps qu’il aura suffi au gouvernement du Rwanda, en droite ligne de la vision exprimée par Paul Kagame, pour m’accorder la nationalité rwandaise – et dans le même mouvement montrer, une nouvelle fois, qu’une autre Afrique est bel et bien possible…

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