RDC : Ferré Gola, force tranquille de la rumba

Après un single symphonique, le « Padre » prévoit la sortie de deux albums à la fin du mois de mars. Évitant soigneusement les polémiques, il poursuit son ascension, et continue de moderniser la rumba.

Le chanteur congolais Ferré Gola à Paris, pour la promotion de son nouvel album, en février 2021. © Elodie Ratsimbazafy pour JA

Le chanteur congolais Ferré Gola à Paris, pour la promotion de son nouvel album, en février 2021. © Elodie Ratsimbazafy pour JA

leo_pajon

Publié le 6 mars 2021 Lecture : 6 minutes.

On n’y croyait plus. Le premier rendez-vous, en janvier, avait été annulé en raison du tournage inopiné d’un clip en Guadeloupe. Le deuxième avait été maintes fois repoussé. Et lorsqu’on pensait que tout était finalement calé (suite à l’échange d’une trentaine de mails avec son attachée de presse), un coup de fil, une heure avant l’entretien, douchait nos espoirs­ : « Désolé, il doit partir en studio pour un enregistrement… » Quelques pourparlers plus tard, Ferré Gola pointait son nez… surmonté d’une paire de lunettes en édition limitée.

Agenda de ministre, ton mesuré de diplomate et bling-bling d’une éminence de la sape. Le « Prés » (pour « président »), comme son équipe le surnomme, cumule les signes extérieurs de distinction. « L’image est fondamentale aujourd’hui. Si tu veux que les gens téléchargent, il faut avoir une bonne image », lâche-t-il tandis que la maquilleuse, qu’il a dépêchée pour l’occasion, poudre ses pommettes.

Chez nous, quand tu es nouveau, les musiciens te tapent, c’est comme ça. Alors oui, on me tapait

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Dans l’organigramme compliqué des groupes congolais, qui n’a rien à envier à celui des multinationales, il est à présent tout en haut… après avoir été tout en bas, le petit qu’on malmenait à ses début dans le Wege Musica Maison Mère. « Chez nous, quand tu es nouveau, que tu n’es pas à l’aise ou que tu ne suis pas le rythme, les musiciens te tapent, c’est comme ça. Alors oui, on me tapait », reconnaît-il dans un demi-sourire.

Entre Kinshasa, Paris et Bruxelles

Mais ce temps est lointain. Rumba des jeunes (son groupe du quartier Bandal Nord, quand il était adolescent), Wenge Musica, Les Marquis de Maison Mère, Quartier Latin, puis carrière en solo à partir de 2007… Ferré (surnom donné en référence au styliste italien Gianfranco Ferré) a fait bien du chemin depuis ses débuts. À 45 ans, le voilà à la tête d’une organisation internationale pléthorique. « Il y a 56 personnes qui dépendent de moi, reconnaît-il. Des musiciens, des danseurs, mon staff entre Kinshasa, Paris et Bruxelles. »

Chanteur insatiable, auteur, compositeur et producteur, celui qu’on a baptisé « Chair de Poule », cumule les casquettes. « Et j’aimerais bien créer aussi ma marque de vêtements », ajoute-t-il tandis que l’on admire, intrigué, sa bague maousse en forme de crâne incrustée de diamants (« des vrais », précise-t-il). « Créer une marque, comme l’a fait Fally Ipupa ? », demande-t-on. En guise de réponse, l’artiste dégaine un sourire de sphinx.

Jamais il ne prononcera le nom de ses principaux rivaux, Fally et Koffi Olomidé, qui se disputent le titre de roi de la rumba depuis la disparition brutale de Papa Wemba. Quant aux éléments les plus prometteurs de la nouvelle génération, il citera Rebo Tchulo (une artiste de son écurie qui a « une belle voix, un beau physique ») et Innoss’B… Mais il faudra lourdement insister pour qu’il cite nommément des artistes.

Au Congo, quand tu commences à monter, toute le monde a les yeux sur toi et veut te combattre

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« Je ne dis plus de noms, assume-t-il. Je reste dans mon coin pour éviter les polémiques. Et je reste indifférent, même si on me provoque tout le temps. Au Congo, quand tu commences à monter, tout le monde a les yeux sur toi et veut te combattre… Et les polémiques sont souvent attisées par les fans. » Des fans, le Padre en a… « Gaulois », « Gladiators », les groupes Facebook mettent souvent de l’huile sur le feu dans les clashs réels ou imaginaires entre artistes de cette gigantesque arène qu’est la scène musicale congolaise.

Au-dessus de la mêlée

Mais l’admirateur de Franco veut voir plus loin, au-dessus de la mêlée, et se focaliser sur son art. Pour son quatrième album, QQJD (Qu’est-ce que j’avais dit), sorti en 2017, il avait visé haut : trois galettes (Blue, Red, Gold) contenant chacune 11 titres et mixant savamment la rumba à diverses influences, du RnB en passant par le ndombolo et le soukous.

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Un tour de force… même si les artistes, congolais notamment, ont fini par nous habituer à des productions fleuves. Maître Gim’s, par exemple, avait sorti pas moins d’une soixantaine de titres pour son projet Ceinture noire et ses rééditions, entre 2018 et 2019.

En suivant l’exemple de Pavarotti j’ai voulu développer une autre dimension de mon art

Pour ne pas se laisser distancer par ses rivaux, le Padre devait revenir sur un nouvel exploit. Son single  Regarde-moi, dans une formule inédite (piano-voix secondé par un orchestre symphonique), a mis tout le monde d’accord. « Pour moi ce virage lyrique était un nouveau challenge, en suivant l’exemple de Pavarotti j’ai voulu développer une autre dimension de mon art », lâche l’autodidacte que rien, décidément, ne semble effrayer.

Mais les fans attendent surtout la sortie, fin mars, des nouveaux albums studios. Car il y aura cette fois deux disques. Le premier, Dynastie, sera complètement tourné vers la rumba congolaise, avec des invités issus de sa première formation, Wenge Musica. Le second, aux sonorités plus urbaines, baptisé Harmonie, devrait permettre de conquérir de nouveaux fans à l’international.

La formule, adoptée par Fally, avec le carton Tokooos invitait Wizkid, Booba ou encore R. Kelly pour aider sa voix à traverser les frontières. Ferré Gola, lui, reste mystérieux sur ses invités… mais on sait que des pourparlers ont été entamés avec Maître Gim’s, et que le Congolais apprécie la musique de Naza.

Éducateur de masse

En attendant, le Padre va continuer à profiter d’un quotidien qu’il décrit comme très sage : « Je fais ma vie dans le quartier de Bastille, à Paris, quand je ne suis pas à Kin… je mange à la maison… » De l’extérieur, pourtant, on a le sentiment qu’il est sur tous les fronts. Le Padre est un père, d’un nombre d’enfants qu’il ne nous donnera pas, mais qui semble conséquent… attaché à leur éducation à l’école française.

Le chanteur congolais Ferré Gola à Paris en février 2021, pour la promotion de son nouvel album © Elodie Ratsimbazafy pour JA

Le chanteur congolais Ferré Gola à Paris en février 2021, pour la promotion de son nouvel album © Elodie Ratsimbazafy pour JA

C’est aussi un « éducateur de masse », comme il aime à se définir, qui fut l’un des premiers à sortir un clip rappelant les bons gestes pour contrer le Covid, l’année dernière. Et un médiateur inter-cultures, qui a tenu à tourner ses deux derniers clips en Guadeloupe, en janvier, pour poursuivre le dialogue entre la musique congolaise et antillaise.

Mais les membres de son staff le décrivent surtout comme un bosseur infatigable, un « talent inné », « extrêmement discipliné », qui ne cesse jamais de créer, comme s’il était en permanence « traversé par la musique. » Une vidéo Youtube assez surprenante le montre d’ailleurs en pleine improvisation vocale, à peine levé et un mug à la main, avant une séance de travail en Guadeloupe.

Malgré la pandémie qui l’a amené à renoncer à de nombreuses dates, il a joué les 12 et 13 février au Palais de la culture et à l’Hôtel Ivoire d’Abidjan. Et surtout, il travaille à la reformation de Wenge Musica Maison Mère. Plusieurs nouveaux titres sont, assure-t-il, d’ailleurs déjà enregistrés. Un événement que les fans attendaient depuis longtemps… Le Prés’ devrait continuer longtemps à rallier les suffrages.

Un gêneur nommé Covid

« Le Covid a tout compliqué… regrette Ferré Gola. Aujourd’hui, je ne joue quasiment plus. Je vis sur mes économies. Bien sûr, j’ai fait quelques dates et des lives à la maison, mais ce n’est plus pareil. » Le virus, le chanteur est bien placé pour en parler. Après avoir été l’un des premiers à mettre en ligne un single pour faire de la pédagogie sur les gestes barrières, il a attrapé la maladie lors d’un concert, fin 2020.

« J’ai pris des médicaments traditionnels de chez nous, du gingembre, du thé Mondongo (NDLR : à partir d’une plante plus connue sous le nom de maniguette)… ça a duré deux semaines. » Il espère qu’une éclaircie permettra de planifier plus de dates pour 2021, avec notamment, et c’est un scoop, un grand concert prévu pour décembre au Casino de Paris.

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