D’abord, il y a eu Covax, vaste dispositif international censé garantir l’accès équitable de tous les pays au vaccin. Mais très vite, le chacun pour soi et le « nationalisme vaccinal » ont repris le dessus et chacun a compris qu’il lui faudrait se débrouiller. L’Afrique a alors vu arriver ses « amis » chinois, russes et indiens, prêts à lui venir en aide.
Mais en ce début d’année, bien peu sont ceux qui ont effectivement reçu des doses, et plus rares encore ceux qui ont commencé à vacciner. Pourquoi ce retard, quand le continent va-t-il pouvoir s’approvisionner et auprès de qui ? Le tour d’horizon commence avec deux premières questions : quelle place occupe l’Afrique dans le développement et la production des vaccins, et peut-il vraiment compter sur le dispositif Covax mis en place par l’OMS et l’Alliance Gavi ?
Où sont les doses ?
La grande majorité des pays du continent ont longtemps cru qu’ils pouvaient se reposer sur le dispositif Covax pour recevoir, en temps et en heure, des doses en nombre suffisant. Les dirigeants politiques ne se sont donc, pour la plupart, pas inquiétés, même quand les pays d’Europe et d’Amérique du Nord ont commencé, durant l’été 2020, à communiquer sur les précommandes massives de doses réalisées auprès des Moderna, Pfizer-BioNTech et autres Johnson & Johnson.
Avec un taux de contamination et un nombre de décès très inférieurs, en proportion, à ceux du reste du monde, l’Afrique restait sereine. Et la ruée des pays riches, souligne l’épidémiologiste camerounais Yap Boum, n’avait rien d’une nouveauté : « On avait observé la même chose lorsqu’on pensait que la chloroquine était efficace pour lutter contre le virus ».
Seuls quelques pays africains – les plus touchés et ceux dont le système sanitaire est le plus solide – ont décidé de s’associer aux essais cliniques internationaux et de contacter des laboratoires afin de réserver une part des futurs vaccins, dont aucun n’était alors arrivé au stade de l’homologation.
Mais à la fin de l’année 2020, il a fallu se rendre à l’évidence : Covax ne suffirait pas à distribuer aux pays à bas revenus suffisamment de doses pour protéger leurs habitants les plus vulnérables. Et chaque État allait devoir chercher d’autres sources d’approvisionnement. Le continent subissait alors de plein fouet une deuxième vague de contaminations et la pression se faisait plus forte sur les autorités. On a alors assisté à une succession d’annonces de contrats passés, le plus souvent, avec des fournisseurs issus de pays émergents. Logique : les « grands laboratoires » occidentaux avaient déjà atteint leur capacité maximum de production et préféraient signer avec les nations riches et solvables.
Pourquoi, dès lors, ne pas produire directement des vaccins en Afrique, se sont demandés certains ? L’idée se heurte à deux obstacles principaux. D’abord, malgré les demandes répétées de nombreux États, les laboratoires sont très opposés à l’idée de renoncer à leurs droits de propriété intellectuelle sur les précieux sérums développés en un temps record, condition nécessaire pour que des producteurs tiers puissent les fabriquer.
Le continent possède très peu d’unités de production opérationnelles
Ensuite, et plus prosaïquement, le continent possède très peu d’unités de production opérationnelles. On l’a notamment constaté au Nigeria où, durant le mois de janvier, certains gouverneurs ont réclamé la fabrication locale de vaccins, rappelant qu’à une époque pas si lointaine, un laboratoire de Lagos fournissait en particulier le sérum contre la fièvre jaune. Problème : le fameux laboratoire, filiale du groupe britannique May & Baker, a cessé cette activité depuis les années 1990 et, selon les autorités sanitaires, il faudrait « dix à quinze ans » pour se doter des technologies actuelles et être capable de produire à nouveau des sérums au Nigeria.
C’est dans ce contexte que l’Union africaine a repris la main, parvenant à négocier 670 millions de doses auprès de trois grands fournisseurs anglo-saxons grâce à Afreximbank et à la Banque mondiale. Mais on reste loin du compte.
Quel bilan pour Covax ?
« Garantir un accès rapide et équitable » aux vaccins contre le Covid-19 à tous les pays, quel que soit leur niveau de revenu. Telle était l’ambition du mécanisme Covax, mis en place par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Alliance internationale pour les vaccins (Gavi). L’initiative est louable : elle devrait permettre de vacciner 20 % des personnes les plus vulnérables dans 92 pays à revenu faible ou intermédiaire.
L’OMS a d’ores et déjà obtenu des contrats pour deux milliards de vaccins, qu’elle sera prête à déployer « dès qu’ils seront livrés ». Or les doses tardent à arriver sur le continent et les pays en développement sont toujours privés de vaccins. En cause, notamment, les accords bilatéraux conclus entre les pays riches et les fabricants « au détriment de Covax », regrette Tedros Adhanom Ghebreyesus, le chef de l’agence onusienne, qui appelle à davantage de « solidarité ». Selon l’OMS, 36 des 42 pays déployant actuellement des vaccins sûrs et efficaces sont à revenu élevé, et six à revenu intermédiaire.
Le continent ne sera que partiellement servi en vaccins à la fin de 2021
« D’entrée de jeu, les pays riches se sont accaparés les doses de vaccins, explique Yap Boum. Même s’il n’est, pour l’instant, pas le plus à plaindre d’un point de vue épidémiologique, le continent ne sera que partiellement servi à la fin de l’année 2021. » « Certains pays ont réservé plus de trois fois les doses dont ils ont besoin pour vacciner leur population ! » ajoute Mamady Traoré, médecin et référent vaccination et réponses aux épidémies au sein de Médecins sans frontières (MSF).
Le 3 février, un premier plan de répartition « indicatif » des doses disponibles a enfin été rendu public. Il concerne 47 pays du continent (les autres ayant les moyens financiers d’acquérir eux-mêmes les doses ou n’ayant pas souhaité s’associer à l’initiative) et porte sur des vaccins AstraZeneca et, dans une faible proportion, Pfizer-BioNTech. Mais les doses ne sont pas livrées à ce jour (elles sont annoncées pour le premier semestre 2021, sans plus de précisions) et ne couvrent de toute façon que 3,3 % des besoins totaux.
De nombreux pays africains tournent donc le dos au mécanisme Covax – et aux Occidentaux – et optent pour des vaccins chinois et russes, souvent moins chers. Pour lutter contre la pandémie, le directeur du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC), John N. Nkengasong, suggère à son tour l’abandon des droits de propriété intellectuelle : « Le vaccin contre le Covid-19 doit être perçu comme un outil qui bénéficiera à l’ensemble de l’humanité. Si tous les États en prennent conscience, l’Afrique sera gagnante, y compris lorsqu’il s’agira de produire localement. »