C’est un intérim qui dure depuis plus d’un an et demi. Un statu quo, qu’on prend soin de ne pas bousculer dans les rangs socialistes. Depuis le décès en juillet 2019 de son illustre secrétaire général, Ousmane Tanor Dieng, le PS ne s’est toujours pas choisi de chef. Une situation qui semble faire reculer davantage le plus vieux parti du pays au second plan de la scène politique sénégalaise, vingt ans après sa perte du pouvoir.
Sans leader identifié, et relégué au statut d’allié depuis qu’il a rejoint la coalition de Macky Sall, Benno Bokk Yakaar, en 2012, « le PS a du mal à proposer une offre programmatique claire. À l’heure où l’essentiel des forces politiques gravite autour de la famille libérale, les socialistes ne jouent plus un grand rôle sur la scène politique sénégalaise », tranche même Maurice Soudieck Dione, enseignant-chercheur en science politique à l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis.
Second couteau ?
Cantonné à un second rôle au sein de la mouvance présidentielle, le parti à la rose peine à rassurer ses militants quant à sa capacité à revenir un jour sur le devant de la scène. Par manque de stratégie ? Pas selon Abdoulaye Vilane, porte-parole de la formation et maire de Kaffrine. « Nous sommes conséquents et loyaux dans nos engagements en cours mais toutes les actions que nous menons, tous les sacrifices consentis, tendent vers la reconquête du pouvoir, tient-il d’emblée à rassurer. Au Sénégal comme partout ailleurs, l’ère des échappées solitaires semble révolue. »
Si les alliances sont incontournables pour regagner le pouvoir, le Parti socialiste pourrait bien pâtir de celles qu’il a nouées il y a huit ans. « Le PS a été le grand manitou de la politique sénégalaise pendant près d’un demi-siècle, puis, brusquement son alliance avec Macky Sall l’a placé à la remorque. Une fois dans une coalition libérale, il n’a plus vraiment pu affirmer une idée politico-idéologique ou faire émerger des figures de ses rangs », tance un cacique de la gauche sénégalaise.
Le PS a réussi à garder son identité et à être audible
Un reproche de compromission idéologique que les socialistes contestent, s’affirmant au contraire comme une caution de gauche au sein de l’exécutif. « Après huit années au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar, le PS a réussi, contrairement à d’autres partis de la coalition, à garder son identité et à être audible au sein de l’espace politique », revendique Abdoulaye Vilane.
Large union des gauches
Pour redonner des couleurs au blason vert, et retrouver leur place sous les ors du palais présidentiel, les socialistes rêvent d’une grande union des gauches sénégalaises. Depuis plusieurs mois les mains tendues se multiplient, notamment vers les dissidents mis au ban de la formation en 2017 après leur opposition au compagnonnage avec Macky Sall.
Si certains élus tels que Bamba Fall, maire de la Médina, semblent ouverts à une réconciliation, d’autres rejettent l’option en bloc. « Il faut être cohérent, on ne peut pas envisager de s’allier avec un parti qu’on a quitté parce qu’il a soutenu Macky Sall alors qu’il chemine encore avec Macky Sall. Les alliances du PS qui posaient problème hier posent encore problème aujourd’hui », balaie un collaborateur de Khalifa Sall, ex-maire de Dakar et dissident socialiste.
« Au Sénégal, aujourd’hui, les convictions idéologiques et doctrinales sont peu nombreuses. Pour tirer leur épingle du jeu et continuer de graviter autour du pouvoir, c’est souvent le sauve-qui-peut, et c’est ce qui s’est passé quand les socialistes ont rejoint les libéraux de Macky Sall. C’est une chose que les Sénégalais ne pardonnent pas », renchérit une figure de l’opposition.
Avec 150 000 adhérents, leur base se porte bien
Les socialistes eux, l’assurent : avec 150 000 adhérents, leur base se porte bien et « l’alliance avec Macky Sall a permis d’être dans les réalités de l’exécutif afin d’avoir toutes les informations pour apprécier ce qui est bon, moins bon et ce qu’il faut faire ou non afin de se projeter à moyen terme pour trouver une autre voie », revendique Abdoulaye Vilane, même s’il admet que « ce compagnonnage a fait perdre de grands responsables dans le département de Dakar ».
« Déficit de leadership »
Des saignées successives parmi les responsables, qui aboutissent aujourd’hui à un « déficit de leadership », selon Maurice Soudieck Dione. « À tant œuvrer à la conservation du pouvoir – contrairement à Abdou Diouf, qui avait planifié sa succession, Ousmane Tanor Dieng a refusé pendant des années de se choisir un dauphin –, en se maintenant seul à la tête de la formation, l’ancien secrétaire général du PS a ouvert la porte à une lourde crise de succession », estime le politologue.
« Il n’y a pas de guerre de succession au sein du parti, rétorque Abdoulaye Vilane. Le principe de la libre et saine concurrence est garanti dans une formation comme la nôtre. C’est cet esprit qui prévaudra lorsque viendra le moment de postuler et de se soumettre au suffrage souverain des militants. »
Si personne n’est encore officiellement en lice pour prendre les rênes du siège de Colobane, la bataille pourrait se jouer entre les deux responsables qui appartiennent à l’équipe exécutive.
D’un côté, Aminata Mbengue Ndiaye, un temps ministre de l’Élevage et actuelle présidente du Haut conseil des collectivités territoriales, qui assure l’intérim à la tête du PS depuis le décès d’Ousmane Tanor Dieng.
De l’autre, Serigne Mbaye Thiam, ministre de l’Eau et de l’Assainissement, qui fait peu de mystère de ses ambitions. « Alors que je ne les ai pas sollicités, il y a beaucoup de responsables du parti, au Sénégal comme à l’étranger, qui viennent de leur plein gré me voir et disent fonder beaucoup d’espoir sur moi […]. Il n’y a aucun poste ou fonction qui m’empêche de dormir. De la même manière, il n’y a pas de poste ou fonction que j’ai peur de briguer si mes proches estiment que je peux les occuper », déclarait-il ainsi à la télévision sénégalaise en octobre dernier.
Pas d’ancrage national
Deux héritiers d’Ousmane Tanor Dieng certes envisageables, mais pas évidents, selon Maurice Soudieck Dione. « S’ils apparaissent comme de possibles successeurs d’Ousmane Tanor Dieng, Aminata Mbengue Ndiaye et Serigne Mbaye Thiam n’ont pas d’ancrage national, ce qui est indispensable pour diriger un parti de premier plan. »
« Nous n’en sommes qu’à la première étape du processus, celle de la vente des cartes qui se poursuit dans un contexte de crise sanitaire aigüe », nuance Abdoulaye Vilane. S’il se refuse à donner une date pour le prochain congrès qui élira le futur secrétaire général du parti, le porte-parole des socialistes le concède : le PS ne se présentera pas aux élections locales sans s’être choisi un chef.
Alors qu’elles devaient se tenir avant mars 2021, les élections municipales et départementales devraient une fois encore être repoussées en raison de la crise sanitaire. Mais « quand les locales surviendront, aucun parti ne pourra envisager de ne pas y aller avec une offre claire. Il va sans dire que d’ici là toutes les chapelles politiques feront un effort pour finaliser leur offre », admet Abdoulaye Vilane. Le temps pour le parti de Senghor de se trouver un porte-drapeau, dans ses rangs ou ailleurs.