Politique

Simon Compaoré, baobab de la politique burkinabè

Ancien maire de Ouagadougou, ex-ministre et aujourd’hui patron du parti présidentiel, Simon Compaoré a marqué la vie politique du Burkina ces trente dernières années. Rencontre avec un personnage aussi populaire que controversé.

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Par - Envoyée spéciale à Ouagadougou
Mis à jour le 22 janvier 2021 à 14:43

Le Burkinabè Simon Compaoré, président du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), à son domicile de Ouagadougou. © Simon Compaoré, Minister of Internal Security of Burkina Faso, at his home in Ouagadougou. Simon Compaore, Ministre de la Sécurité intérieure du Burkina Faso, chez lui à Ouagadougou.

Il est six heures du matin et il fait à peine jour à Ouagadougou. L’harmattan rafraîchit l’air et apporte avec lui une suspension de poussière. Dans les rues, élèves et travailleurs se hâtent. Nombreux sont ceux qui portent un cache-nez. Des femmes vêtues de blouses vertes balaient les grandes artères de la capitale. Les Ouagalais les surnomment parfois « les femmes de Simon Compaoré », du nom de l’ancien maire, qui dirigea d’une main de fer la capitale pendant 17 ans, de 1995 à 2012.

À la tête du parti au pouvoir, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), Simon Compaoré a été l’un des artisans de la réélection de Roch Marc Christian Kaboré en novembre 2020. C’est d’ailleurs à la direction de campagne du parti, située dans le quartier populaire de Nonsin, qu’il reçoit. D’imposantes affiches ornent les murs du bâtiment de quatre étages. Sur une façade, deux portraits se déploient côte à côte : l’un représente Roch Marc Christian Kaboré ; l’autre Simon Compaoré, accompagné d’un message de remerciements.

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En cette matinée de la mi-janvier, les collaborateurs du président du parti et des visiteurs l’attendent déjà. Simon Compaoré est matinal. Mais par-dessus tout, il est à cheval sur la ponctualité, ce qu’il n’hésite pas à rappeler quand il nous fixe le rendez-vous. Depuis son bureau, on entend résonner l’écho d’un bulletin d’information d’une station de radio locale. Quelques minutes d’attente, puis il nous reçoit dans sa salle de réunion. Vêtu d’un ensemble en blue-jeans et chaussé de baskets, il fixe sa montre qui affiche 7 h 20, puis jette un coup d’œil à son agenda. « Ma prochaine réunion est à 8 heures, nous avons le temps d’échanger. »

Militant

Simon Compaoré est un baobab de la scène politique burkinabè. Personnage truculent, coutumier des formules choc, il est aussi populaire que controversé. Le président du MPP est né en septembre 1952, d’un père pasteur. Aujourd’hui encore, la religion occupe une place importante dans sa vie. Après ses études secondaires, il s’envole pour la France, à l’université de Dijon, où il obtient une maîtrise en gestion des entreprises.

C’est à cette époque qu’il se rapproche de Roch Marc Christian Kaboré, également étudiant dans cette ville de l’est de la France. Le jeune Compaoré milite au sein d’organisations estudiantines, dont l’Association des étudiants voltaïques en France (actuelle Union générale des étudiants burkinabè), puis rejoint l’Union des luttes communistes reconstruites (ULCR).

Est-ce cette jeunesse militante qui l’a conduit à la politique ? « Sans doute, estime-t-il. L’esprit contestataire de la jeunesse prédispose à certaines choses. Il faut être quelqu’un de particulier pour ne pas être influencé positivement par ce foisonnement d’idées progressistes qu’il y a à l’université. Pour nous, qui avions fait nos études à l’extérieur et qui avions vu certaines injustices révoltantes, ça nous a donné le goût de nous battre. »

Je me suis donné à fond pour travailler pour la ville qui m’a vu naître

De retour au pays, qui s’appelle alors encore la Haute-Volta, il occupe au début des années 1980 des fonctions dans l’administration. Chef du crédit agricole à l’Autorité des aménagements des vallées des Volta en 1983, il est nommé l’année suivante haut-commissaire de la province d’Oubritenga. Ces années seront marquées par le coup d’État de Thomas Sankara, en 1983. Simon Compaoré est promu directeur de cabinet de Blaise Compaoré, alors numéro deux du Conseil national de la révolution, en 1985. Il supervise les Comités de défense de la révolution (CDR) qui marqueront l’époque.

Politicien expérimenté

Une dizaine d’années plus tard, en 1995, c’est en politicien expérimenté qu’il est élu maire de Ouagadougou. Il n’est alors pas rare de le voir en première ligne des opérations de déguerpissement ou des campagnes de lutte contre les chiens errants. « La vie d’un maire, c’est le mouvement. Les gens veulent le voir sur le terrain, explique Simon Compaoré. Je me suis donné à fond avec mes équipes et j’en tire une satisfaction personnelle, parce que cela a été l’occasion pour moi de travailler pour la ville qui m’a vu naître. »

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Peu à peu, il devient l’un des cadres du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti fondé par Blaise Compaoré, qui a repris les rênes du pays après l’assassinat, en 1987, de Thomas Sankara. À deux reprises, Simon Compaoré est élu député, mais ne siège pas. « J’ai préféré rester maire. Il ne faut pas cumuler les postes », justifie-t-il.

Sa carrière politique prend un tournant en janvier 2014, alors que le pays fait face à une nouvelle crise, provoquée par la volonté de Blaise Compaoré de modifier l’article 37 de la Constitution afin de supprimer la limitation des mandats présidentiels. Simon Compaoré quitte le CDP avec fracas. Deux autres ténors lui emboîtent le pas : Roch Marc Christian Kaboré et Salif Diallo.

Dans une lettre ouverte, ils dénoncent la « caporalisation » du parti. D’autres membres du CDP les rejoignent dans les jours qui suivent. Ensemble, ils créent le MPP et rejoignent le mouvement de contestation qui conduira à la chute de Blaise Compaoré, en octobre 2014.

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Au sein de l’opposition traditionnelle, nombreux sont ceux qui les surnomment alors les « opposants de la 25ème heure ». Cela n’empêche pas le MPP de remporter la présidentielle de 2015, organisée au terme d’une année de transition politique. Un premier mandat de Roch Marc Christian Kaboré marqué par des attaques jihadistes et des conflits intercommunautaires.

Le discours officiel évoque des tentatives de déstabilisation menées par des personnalités de l’ancien régime. Régulièrement accusé, Blaise Compaoré finira par sortir de son silence. Dans une lettre à Roch Marc Christian Kaboré, il dément tout lien avec les jihadistes et assure le président burkinabè de son soutien.

Crise sécuritaire

C’est à son fidèle compagnon de route, Simon Compaoré, que Kaboré confie le poste stratégique de ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité intérieure en janvier 2016.

Face à l’insécurité grandissante et à l’absence de l’État, dans certains régions, les Koglweogo – une groupe d’« autodéfense » – montent en puissance. Mais les exactions commises par certains de ses membres vont bientôt obliger l’État à réagir. Simon Compaoré s’essaie à la pédagogie. « Nous saluons votre initiative et vous en sommes reconnaissants. Mais dans un pays, il y a des lois. On ne peut faire justice soi-même », tente-t-il alors de leur expliquer. Si sa volonté de légaliser – et donc de mieux contrôler – cette milice ne se concrétisera pas, certains de ses membres rejoindront les Volontaires de la défense de la patrie (VDP), mis en place pour permettre à des civils de participer à la lutte contre le terrorisme.

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Simon Compaoré quitte le gouvernement à la faveur d’un remaniement en janvier 2019. Quelques moins plus tard, début mars 2020, il reprend la présidence du parti, dont il assurait l’intérim depuis le décès de Salif Diallo. Objectif : permettre à son candidat de l’emporter dès le premier tour lors de la présidentielle de novembre 2020. En clair, un « coup KO » .

« Malgré la crise sociale, marquée par de nombreuses grèves, l’épidémie de coronavirus et la crise sécuritaire, notre candidat a un bilan qui ne fait pas pâlir. Nous avons construit des routes, aidé des paysans et des éleveurs, osé la gratuité des soins… Voilà les prérequis d’une victoire annoncée. Un coup KO, ce n’était pas un slogan en l’air », se réjouit Simon Compaoré.

La présidentielle gagnée, l’ancien ministre a désormais un nouveau cheval de bataille : la réconciliation nationale. « C’est une nécessité, insiste-t-il. Sinon, nous allons droit dans le mur. » Pour le président du MPP, un premier pas vient d’être franchi en ce sens.

Le 19 janvier, ce dernier a annoncé que Zéphirin Diabré, président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) et ancien chef de file de l’opposition, désormais ministre de la Réconciliation nationale, avait retiré sa plainte contre lui dans ce que les Burkinabè appellent « l’affaire tranquilos ». En octobre 2017, Simon Compaoré, alors ministre de la Sécurité, avait créé la polémique en se rendant, armé d’un fusil et muni d’un gilet par balles, chez Ladji Coulibaly, député dissident de l’UPC. Le but de la visite était de rassurer le député, qui s’était dit menacé.

L’ancien président Blaise Compaoré vit en exil à Abidjan depuis 2014. © Denis Allard/REA

L’ancien président Blaise Compaoré vit en exil à Abidjan depuis 2014. © Denis Allard/REA

Certains ont une vision réductrice de la réconciliation et pensent qu’il s’agit seulement de faire revenir quelqu’un

Mais en matière de réconciliation, le dossier phare reste la question du retour de Blaise Compaoré, en exil en Côte d’Ivoire depuis sa chute. « Certains ont une vision réductrice de la réconciliation et pensent qu’il s’agit seulement de faire revenir quelqu’un. Mais cela va au-delà des question de personne », estime Simon Compaoré. Une pique destinée à ses anciens camarades du CDP, avec qui il assure pourtant entretenir de bonnes relations ? Il n’en dit pas plus sur le sujet, tout comme il s’abstient de prononcer le nom de Blaise Compaoré.

L’unité du MPP

Le patron du MPP préfère évoquer l’unité de sa famille politique, que l’on dit toutefois traversées par des courants contraires. Des querelles de succession, dans l’optique de la prochaine présidentielle prévue en 2025, risquent-elles de faire imploser le parti ? Si les spéculations vont bon train à Ouagadougou, Simon Compaoré se veut rassurant. « Je ne suis pas devin, mais en 2014, on disait déjà que notre parti ne durerait que quelques mois, sourit-il. C’est Dieu qui dispose de tout. Ma prière est qu’il aide ceux qui seront aux manettes afin qu’ils aient la capacité de faire face aux difficultés. Peut-être que je ne serai plus là. »

Envisage-t-il de se mettre en retrait de la présidence du parti ? « Ce n’est pas vous qui aurez le scoop ! » ironise-t-il. Avant de reprendre, songeur : « Mais il faut savoir lire les signaux si on veut sortir par la grande porte. »

Pour la première fois depuis le début de notre entretien, Simon Compaoré jette un coup d’œil à sa montre. Il est 7h58. Il réajuste son masque, se lève. « Je suis presque en retard, je n’aime pas ça. Je commence à ne plus avoir les mêmes réflexes que lorsque j’étais plus jeune. Cela veut dire que mes capacités physiques et même intellectuelles diminuent, reprend-il. Notre parti a de jeunes adhérents avec qui nous militons. Notre devoir, c’est de faire en sorte qu’on puisse leur laisser la place et leur mettre le pied à l’étrier. »