Le 20 décembre, Nouria Benghabrit reçoit, à son grand étonnement, un coup de téléphone de la gendarmerie nationale lui demandant de se présenter à la brigade de Bab Jedid, sur les hauteurs d’Alger. On l’informe, sans autre précision, qu’il s’agit d’une « affaire de justice ». Depuis son départ du gouvernement d’Abdelmalek Sellal, le 1er avril 2019, la veille de la démission du président Abdelaziz Bouteflika, cette femme qui fut la bête noire des islamistes et des conservateurs s’est astreinte à un strict devoir de réserve.
Le 22 décembre, lorsqu’elle se présente à la brigade de gendarmerie où de nombreuses personnalités ont défilé avant d’être inculpées, elle n’est pas plus informée de l’objet de sa convocation devant le juge d’instruction. Les gendarmes qui la reçoivent pour un court laps de temps se montrent « corrects et d’une extrême courtoisie ».
Contexte sensible
Le lendemain, à peine est-elle reçue dans le bureau du magistrat instructeur du tribunal de Sidi M’Hammed que sites internet et réseaux sociaux s’emparent de l’affaire et tirent des conclusions hâtives. « C’est l’affaire du siècle ! » dira-t-elle plus tard à l’un de ses proches avec une pointe d’ironie, avant de décrire cet emballement médiatique comme une « expérience violente et douloureuse ». Elle a d’ailleurs dénoncé une « désinformation » de la part de certains organes de presse.
Cette convocation survient en effet dans le contexte plus que sensible des affaires de corruption et des procès qui ont envoyé en prison nombre de ses anciens collègues du gouvernement. Deux anciens Premiers ministres et une quinzaine d’ex-ministres, dont trois femmes (Khalida Toumi, Houda Feraoun et Djamila Tamzirt), croupissent en prison depuis la chute de Bouteflika. L’ancienne ministre de l’Éducation nationale y est vite associée par la presse, qui l’épingle en tant qu’« accusée ».
Simple témoin
Or, elle est entendue sous le statut de témoin. Le magistrat l’informe que son nom a été cité dans une affaire d’avantages indus prétendument perçus par une personne dans le cadre d’un marché public. Nouria Benghabrit explique que ce marché ne concerne nullement le département de l’Éducation nationale qu’elle a dirigé entre avril 2014 et avril 2019. Le magistrat et l’ex-ministre en tirent la conclusion qu’elle n’est donc en aucun cas concernée par cette affaire. Le dossier est ainsi clos.
La suite de l’entretien tourne autour du système éducatif algérien et des réformes qu’elle a initiées, récoltant l’hostilité des islamo-conservateurs. L’audition terminée – elle aura duré un peu plus de 45 minutes –, Nouria Benghabrit sort du tribunal. Le lendemain, elle reprendra la route pour Oran, où résident sa mère, ses enfants et ses petits-enfants.
Après avoir quitté ses fonctions au ministère de l’Éducation nationale, elle disposait de six mois avant de rendre sa résidence du Club-des-Pins, sur le littoral ouest d’Alger, que l’État avait mise à sa disposition – avantages dont ses collègues et autres personnalités de la nomenklatura ont également bénéficié.
Retour à la vie « normale »
« J’étais angoissée de reprendre une vie normale après mon passage au gouvernement », confesse à l’un ses amis celle qui était tombée des nues lorsque le Premier ministre Abdelmalek Sellal l’avait informée, en mai 2014, qu’elle avait été choisie pour diriger l’Éducation nationale. Sa réponse à ce dernier avait été à la mesure de son étonnement : « « Pardon ? L’Éducation nationale ? Ça ne va pas, non ? »
Si elle touche encore son salaire de ministre jusqu’au mois de mars pour avoir occupé cinq ans l’une des hautes fonctions de l’État, elle a repris son travail d’universitaire. Au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC), qu’elle a dirigé de 1992 jusqu’à son entrée au gouvernement, elle pilote des équipes de recherche et encadre des doctorants.