« Je ne suis en compétition avec personne. Il n’y a qu’un seul patron, c’est moi. » Dans l’interview qu’il nous avait accordée il y a tout juste un an, Félix Tshisekedi laissait déjà transparaître son agacement quand on l’interrogeait sur son autonomie réelle par rapport à son prédécesseur. S’il a longtemps tenté de justifier l’union de la carpe et du lapin que représentait l’alliance entre son Cap pour le changement (Cach) et le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila, le chef de l’État a finalement tranché.
Le 6 décembre 2020, il a officiellement signé la fin du pacte qui liait les deux formations depuis son élection et lui imposait un exercice d’équilibriste particulièrement délicat. Lui, l’opposant de longue date qui a toujours accompagné le combat de son père Étienne ; lui, le fruit d’une alternance inattendue, qui se retrouve réduit à s’allier à son prédécesseur lequel, poussé vers la sortie par les Congolais eux-mêmes, n’en a pas moins conservé sa majorité dans les assemblées, nationales comme provinciales.
Cérémonie d’allégeance
Après tant d’atermoiements pour parvenir à s’entendre (il a fallu sept mois de tractations pour accoucher d’un gouvernement de 65 membres), de querelles intestines, d’insultes, de blocages et de couleuvres avalées, c’était inéluctable.
Aujourd’hui, entre les deux hommes, c’est un peu « The Rumble in the jungle », le mythique match de boxe entre Mohammed Ali et George Foreman qui s’est déroulé, en octobre 1974, dans un stade du 20-mai plein à craquer. Sous les yeux médusés de 85 millions de Congolais, les deux adversaires s’observent avant, certainement, de se rendre coup pour coup.
Longtemps moqué pour la faiblesse de ses troupes et sa faible marge de manœuvre vis-à-vis du FCC, « Fatshi béton » a pris l’avantage
Pour l’instant, c’est Tshisekedi qui a l’avantage. Longtemps moqué pour la faiblesse de ses troupes et sa faible marge de manœuvre vis-à-vis du FCC, « Fatshi béton », comme l’appellent ses partisans, s’est patiemment, et à pas feutrés, donné les moyens de ses ambitions.
D’abord en rééquilibrant la composition de la Cour constitutionnelle pour éloigner le spectre d’une éventuelle destitution, puis en reprenant en main l’armée et les services de sécurité, jusque-là sous la coupe des hommes placés naguère par Kabila. Dernière étape de cette quête d’émancipation : mettre à profit les dissensions persistantes au sein du FCC et la versatilité proverbiale de la classe politique congolaise.
Avec un franc succès, pour l’instant, comme l’attestent la chute de Jeanine Mabunda, détrônée de la présidence d’une Assemblée nationale pourtant largement dominée par les députés kabilistes, et la destitution, ce 27 janvier, du Premier ministre FCC, Sylvestre Ilunga Ilunkamba (votée par 367 députés sur 382 !) . Ou encore la cérémonie d’allégeance à Tshisekedi, organisée par l’écrasante majorité des 26 gouverneurs de provinces les 28 et 29 décembre. Seul celui du Tanganyika s’est abstenu. Un certain Zoé… Kabila, le frère de l’ancien président.
Le mutisme de Kabila
Tshisekedi, deux ans après son élection, a donc coupé les liens qui l’entravaient. Et s’est affranchi des lignes rouges qu’avait fixées son prédécesseur. Ainsi n’a-t-il pas hésité à gracier, le 31 décembre 2020, Eddy Kapend et toutes les personnes qui avaient été condamnées, le 16 janvier 2001, dans le cadre de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, le père de l’ex-président. Inimaginable il y a seulement quelques mois.
S’émanciper est une chose, nouer de nouvelles alliances en est une autre. L’union sacrée – expression un tantinet pompeuse pour désigner une nouvelle majorité recherchée par Tshisekedi – se heurte à de nombreux obstacles.
Soudés par leur volonté commune d’isoler Joseph Kabila, les nouveaux partenaires de Tshisekedi que sont, entre autres, Moïse Katumbi ou Jean-Pierre Bemba, doivent désormais composer avec leurs propres ambitions pour la présidentielle de 2023. Ils avaient intérêt à briser l’attelage Cach-FCC, mais leur sera-t-il profitable de s’associer au chef de l’État dans la gestion du pays et donc de devoir assumer une partie de son bilan ? La confiance peut-elle être de mise alors que tous lorgnent le fauteuil présidentiel ?
Tel un animal blessé, Kabila s’isole afin de lécher ses plaies. Mais attention, une bête blessée est une bête dangereuse…
Autre écueil, si tant est que cette union sacrée puisse être décrétée : celle-ci ne doit pas incarner une nouvelle et incohérente alliance destinée avant tout à se répartir les postes et donc le « gâteau ». Ce que les tractations en cours, pour le moins délicates, laissent pourtant à penser…
Last but not least, le mutisme de Joseph Kabila n’est jamais bon signe. Retranché dans sa ferme de Kashamata, près de Lubumbashi, l’ancien chef de l’État s’attelle en toute discrétion à remobiliser ses troupes pour contrer l’offensive en cours. Tel un animal blessé, l’homme s’isole afin de lécher ses plaies. Mais attention, une bête blessée est une bête dangereuse…
Pour Félix Tshisekedi, les semaines à venir seront cruciales. Il est au milieu du gué et doit au plus vite rejoindre l’autre rive, en mettant fin à la séquence actuelle, l’indispensable politique politicienne qui n’est cependant qu’une étape vers l’essentiel : l’action.
La priorité des priorités : accélérer la mise en œuvre de son programme et obtenir des résultats concrets. « Le peuple d’abord », tel était le slogan du « sphinx de Limete », Étienne Tshisekedi. C’est aujourd’hui la seule stratégie que les Congolais attendent de son fils.