La capitale du Sénégal est-elle vouée à disparaître ? La possibilité de supprimer administrativement son statut de ville a été avancée par Oumar Guèye, le ministre des Collectivités territoriales.
Sur le plateau de la chaîne iTv, le 12 décembre dernier, le ministre a en effet laissé entendre que les villes de Dakar, Pikine, Guédiawaye, Rufisque et Thiès n’avaient pas « leur raison d’être » de par leur « statut hybride ». « Nous devons nous conformer au code [général des collectivités locales] », assurait alors le ministre, qui arguait « qu’une entité ne peut être que commune ou département. Pas les deux en même temps ».
Outre sa portée symbolique, cette déclaration a des conséquences autrement plus politiques : si les dix-neuf communes qui constituent la capitale n’étaient plus réunies sous l’appellation « ville », Dakar ne serait plus dirigée par un maire, mais par le président du Conseil départemental.
L’idée est également défendue par le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT). En mars 2020, Aminata Mbengue Ndiaye, sa présidente, évoquait déjà la possibilité de faire de Dakar une simple structure administrative, avec à sa tête un haut fonctionnaire nommé par le chef de l’État.
La majorité essaie de trouver le moyen de gagner Dakar sans l’adhésion des Dakarois
« Dakar est une sorte de super-commune fictive, qui n’a pas de territoire propre puisqu’elle est constituée de dix-neuf communes, explique Ousmane Sèye, le vice-président du HCCT. C’est une ville qui évolue. Il faut qu’elle puisse être gérée de manière technique : pas politique, et encore moins politicienne. »
Capitale rebelle
Laisser le pouvoir désigner celui qui gèrerait la capitale ? Pas question, protestent les adversaires de Macky Sall, farouchement opposés à cette mesure. Historiquement hostile aux gouvernements successifs, Dakar la rebelle échappe depuis 2009 à la majorité. Dirigée par Khalifa Sall de 2009 à 2018, la capitale a résisté à la lame de fond Benno Bokk Yakaar (BBY) en 2014 – la défaite d’Aminata Touré avait d’ailleurs coûté à celle-ci son poste de Premier ministre.
Déjà repoussées une fois, les prochaines élections locales ne se tiendront pas en mars prochain comme prévu initialement. De quoi laisser le temps à la majorité de s’organiser pour remporter la capitale, étape-clé avant la présidentielle de 2024 ?
« La majorité essaie de trouver le moyen de gagner Dakar sans l’adhésion des Dakarois », tacle Babacar Thioye Ba, directeur de cabinet adjoint de Soham El Wardini, la maire par intérim.
Proche de l’ancien édile Khalifa Sall (révoqué par décret présidentiel en 2018, après avoir été incarcéré pour des faits de détournement de deniers publics), Thioye Ba estime que la majorité tente de « modifier les règles du jeu » en attendant que le « contexte lui soit favorable ». « Une réforme à visée électoraliste, c’est dangereux », ajoute-t-il.
Des arguments que Macky Sall en personne balaie d’un revers de la main : le 31 décembre 2020, il a rappelé qu’il était arrivé largement en tête à Dakar lors de la présidentielle de 2019, avec 48,9% des voix.
Il y était toutefois battu par l’opposition. Les suffrages cumulés d’Idrissa Seck et d’Ousmane Sonko dépassaient les siens. Même constat dans les villes de Rufisque, Pikine et Guédiawaye, elles aussi visées par le projet de réforme.
« Cette réforme ne représente aucun enjeu particulier, fait valoir un proche de Macky Sall. Elle ne concerne pas Dakar en tant que telle, mais les cinq villes du Sénégal ». Pikine et Guédiawaye sont d’ailleurs aujourd’hui dirigées par deux cadres de l’Alliance pour la république (APR, parti présidentiel) et parents du chef de l’État, Abdoulaye Thimbo et Aliou Sall.
Convoitises politiques

oumar gueye, sénégalministre des collectivités territoriales© DR © DR
Du côté de l’opposition, on estime que les propos d’Oumar Guèye sont inexacts et que l’entité administrative « ville » est bien incluse dans le code des collectivités locales. « Le ministre fait preuve soit de mauvaise foi, soit d’ignorance, critique Babacar Thioye Ba. L’idée de supprimer ce statut est une mauvaise idée, tout comme l’était l’acte III de la décentralisation en 2013 ».
Cette modification du code des collectivités, dite « acte III », prévoyait la suppression des régions et la création de pôles de développement économique, l’extension des départements en collectivités locales et la transformation de communautés rurales en communes. Avec l’acte III, la mairie centrale de Dakar a déjà perdu certaines de ses attributions (en matière de culture, d’éducation et d’aménagement urbain notamment) au profit des dix-neuf communes d’arrondissement.
Lors de son adoption, le texte avait été critiqué par l’entourage du maire, qui y voyait une volonté de ternir son héritage. « Dakar fait l’objet de beaucoup de convoitises politiques, dispose d’un budget annuel énorme, de 60 à 70 milliards de F CFA, sans restrictions particulières ni obligation d’investissement », rétorque Ousmane Sèye, pour qui l’acte III a permis de régler en partie le problème.
Cartes rebattues
La réforme qui priverait Dakar de son statut de ville pourrait être adoptée avant les élections locales. Serait-ce pour laisser le temps à la coalition présidentielle de se trouver un candidat de consensus, qui jouisse d’une réelle popularité ?
Le remaniement du 1er novembre a rebattu les cartes, et plusieurs ministres qui semblaient pouvoir faire l’affaire ont été écartés. L’opposition pourrait elle aussi mettre ce temps à profit pour se restructurer. Si Khalifa Sall – toujours inéligible – multiplie les rencontres avec les responsables politiques, aucune annonce concrète n’est ressortie de ces entretiens. Et, sans coalition, l’opposition aurait du mal à conserver ses derniers bastions.
La réforme controversée verra-t-elle le jour avant les élections locales ? « Le débat est ouvert, assure Ousmane Sèye, qui estime que le scrutin pourrait être repoussé à 2022. Si la réflexion de Macky Sall est mûre, la réforme pourrait passer avant. Mais nous ne sommes pas pressés. »