Politique

Présidentielle au Niger : Mahamane Ousmane et Mohamed Bazoum en quête d’alliés

L’ancien président devenu opposant et l’ex-ministre de l’Intérieur, candidat du parti au pouvoir, s’affronteront le 21 février lors du deuxième tour de la présidentielle au Niger. À moins d’un mois de la bataille, chacun affine sa stratégie et, surtout, tente de séduire des alliés.

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Mis à jour le 23 janvier 2021 à 17:20

Mahamane Ousmane et Mohamed Bazoum. © Illustrations JA

Les voilà devenus inséparables. Ce 11 janvier, derrière leurs masques blancs anti-Covid-19 et devant les militants de l’opposition réunis au Palais des congrès de Niamey, on devine les mines décidées de Mahamane Ousmane et de Hama Amadou. À six semaines du second tour de l’élection présidentielle, les deux hommes ont réuni les partis membres de la Coalition pour l’alternance politique (CAP20-21). Ils n’ont qu’un mot d’ordre : faire barrage à l’élection de Mohamed Bazoum, le candidat du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, au pouvoir), arrivé en tête du premier tour, le 27 décembre dernier, avec plus de 39% des suffrages, et favori du second tour, prévu le 21 février.

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Dans le brouhaha du palais, Hama Amadou sourit volontiers. A-t-il réellement digéré d’avoir vu sa candidature invalidée par la Cour constitutionnelle en novembre ? Il a en tout cas appelé à voter Mahamane Ousmane dès le premier tour et a désormais prévu d’enchaîner les meetings au côté de l’ancien chef de l’État (1993-1996). Les deux partenaires le savent : sans les forces du Mouvement démocratique nigérien (Moden Fa Lumana, le parti de Hama Amadou), nul espoir de victoire n’est possible pour l’opposition. Certes, le statisticien de Zinder et le contrôleur des douanes de Niamey n’ont jamais été très proches. Mais leurs destins sont désormais liés.

En quête de ralliements

Depuis le 27 décembre, le RDR Tchanji (le parti de Mahamane Ousmane) et le Lumana n’ont de cesse de recruter des alliés parmi les anciens candidats à la magistrature suprême. Objectif : s’appuyer sur les alliances nouées ces dernières années dans l’opposition, notamment au sein du Front pour la démocratie et la République, du Front de l’opposition indépendante, du Front patriotique (FP) et du Front pour la restauration de la démocratie et la défense de la République (FRDDR). Dans le parti de Mahamane Ousmane, le premier vice-président Falké Bacharou, qui a beaucoup œuvré au sein du FRDDR, est à la manœuvre.

Deux candidats du premier tour attirent les regards : Seini Oumarou et Albadé Abouba

L’ex-chef de l’État et Hama Amadou, qui fut son Premier ministre en 1995, ont déjà engrangé le ralliement d’Ibrahim Yacouba, l’ancien douanier arrivé cinquième le 27 décembre avec 5,38 % des suffrages et qui se présente comme le chef de file du FP. Sera-t-il suffisant, Mahamane Ousmane n’ayant recueilli « que » 16,99 % des voix ? Le camp de l’opposition a récemment rencontré un autre ancien prétendant : Salou Djibo. Celui-ci est depuis peu à la tête d’une nouvelle coalition de neuf partis, l’Alliance des candidats pour le changement (ACC). Ses représentants ont séduit au total environ 8 % des électeurs au premier tour et elle devrait, sauf surprise, se ranger derrière Mahamane Ousmane. Mais pour l’ancien économiste formé au Canada puis en France, le compte, qui avoisinerait alors (théoriquement) les 30 %, n’y est pas pour autant.

Postes de prestige

Deux autres candidats du premier tour attirent donc tous les regards : Seini Oumarou, du Mouvement national pour la société du développement (MNSD, 8,95%), et Albadé Abouba, du Mouvement patriotique pour la République (MPR-Jamhuriya, 7,07 %). Contactés par Jeune Afrique, les états-majors des deux anciens poids lourds du régime de Mamadou Tandja ont assuré qu’aucune décision n’avait encore été prise en faveur de l’un ou l’autre des finalistes. Selon des indiscrétions, la majorité du bureau politique du MNSD pencherait pour un soutien à Mohamed Bazoum. Seini Oumarou lui-même est toutefois plus circonspect et n’a pas souhaité dévoiler ses intentions, se bornant à parler d’un « processus en cours ».

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Albadé Abouba rechignerait quant à lui à se rapprocher de Hama Amadou, se sentant plus proche de Mohamed Bazoum et du PNDS, qu’il avait d’ailleurs soutenu en 2016. Il a rencontré le 6 janvier l’un des soutiens du parti, Dahiru Mangal. S’il affirme ne pas avoir abordé avec cet homme d’affaires nigérian le sujet de la présidentielle, il n’en est pas moins très courtisé. Bazoum a fait peser dans la balance des postes de prestige, comme des ministères d’État ou des places de gouverneurs. Mais son ex-collègue au gouvernement Albadé Abouba, qui a perdu sa mère le 14 janvier et a interrompu son activité le temps du deuil, affirme lui aussi ne pas avoir pris sa décision. Le verdict devrait être connu « dans les prochains jours », affirme-t-on au sein de son parti, où plusieurs barons incitent à écouter les arguments de Mahamane Ousmane.

Promesse de dissolution

Ce dernier a fourbi ses armes. L’une des principales : la promesse d’une dissolution de l’Assemblée en cas de victoire de l’opposition. Alors que le PNDS a remporté à lui seul 80 sièges de députés sur 166 (cinq attribués à la diaspora restant à élire), Ousmane estime qu’il ne pourrait gouverner qu’à condition d’organiser de nouvelles élections, après avoir réformé la commission et la loi électorales. Selon la loi , il ne pourrait cependant le faire que dix-huit mois après son arrivée au pouvoir.

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« L’argument de la dissolution est très risqué, estime toutefois un observateur de la scène politique. Aux législatives [organisées elles aussi le 27 décembre 2020], le PNDS est arrivé largement devant le MNSD et le MPR, qui ont 26 sièges à eux deux ». Mahamane Ousmane et Hama Amadou n’ignorent rien des risques d’une telle manœuvre : en janvier 1995, le premier l’avait dégainé, sans succès, provoquant une cohabitation et l’arrivée à la primature du second, tandis que Mahamadou Issoufou prenait la tête de l’Assemblée nationale. Mahamane Ousmane sera renversé par Ibrahim Baré Maïnassara un an plus tard.

Bazoum est le favori de ce jeu des alliances car il peut commencer à offrir des postes

« Jusqu’à preuve du contraire, le MNSD et le MRD font partie des alliés du PNDS, rappelle un membre de l’équipe de Mohamed Bazoum. Les ententes précédentes sont toujours en vigueur. » « Il reste encore un mois avant le second tour. Que ce soit du côté d’Albadé ou de Seini, on a tout intérêt à attendre pour faire monter les enchères, analyse un politologue nigérien. Mais il ne faut pas oublier que, quand Mahamane Ousmane était dans l’opposition ces cinq dernières années, Albadé Abouba était ministre d’État, au côté de Mohamed Bazoum, et Seini Oumarou était Haut-représentant de Mahamadou Issoufou. »

Jusqu’en 2031 ?

« Avec le PNDS derrière lui, Bazoum est le favori de ce jeu des alliances car il peut commencer à offrir des postes. Ousmane peut lui-même faire des promesses mais il a moins de marge. D’autant que celui envers qui il est redevable est avant tout Hama Amadou », analyse notre politologue.

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Parmi les arguments repris fréquemment par le challenger de l’opposition : son âge. À 70 ans, Ousmane affirme qu’il pourrait se contenter d’un seul mandat, se retirant en 2026, tandis que Mohamed Bazoum, 61 ans, tenterait selon lui forcément la passe de deux, verrouillant le fauteuil présidentiel jusqu’en 2031. « On va mesurer à quel point Bazoum, que l’on disait trop clivant, a appris de Mahamadou Issoufou, qui était, lui, l’homme de la synthèse », conclut un diplomate à Niamey.