Économie

Comment Jean Kacou Diagou et les assureurs de la Cima ont arraché un délai au régulateur

Alors que la première phase de la réglementation sur les fonds propres pour les sociétés d’assurance de la zone Cima est passée difficilement, le régulateur vient d’octroyer un délai supplémentaire pour la mise en oeuvre de la seconde phase – de 3 milliards à 5 milliards de F CFA – sur fond de Covid-19.

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Mis à jour le 19 janvier 2021 à 14:13

Siège de la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (CIMA), à Libreville © Cima

Les tractations des assureurs auront fini par payer. Au dernier jour de 2020, le conseil des ministres de la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (Cima) a finalement consenti à assouplir le calendrier de mise en œuvre du relèvement du capital minimum pour les compagnies de la zone, dans le contexte de la crise du Covid-19.

« Les discussions ont été menées depuis quatre-cinq mois entre la Fanaf [la Fédération des sociétés d’assurances de droit national africaines] et les ministères de tutelle. Nous souhaitions ce report, mais il n’était pas garanti. Nous avions demandé un report plus important, mais celui approuvé par la tutelle permet à tous de mieux se préparer », confie à JA Jean Kakou Diagou, le président-fondateur de NSIA, le groupe panafricain d’assurance présent au travers une vingtaine de filiales en Afrique subsaharienne.

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« Nous aurions aimé obtenir une suspension de la deuxième phase d’augmentation pour l’ensemble des compagnies assujetties à cette mesure », confirme Mamadou Faye, administrateur-directeur général de la Sénégalaise de l’assurance vie (SEN Assurance vie), qui ne cache toutefois pas son « sentiment de satisfaction » à l’énoncé de cet assouplissement.

Covid-19 : des opportunités d’investissement en berne

En question : « le report de trois ans, échéant au 31 décembre 2024, de la seconde phase d’augmentation de capital à 5 milliards de F CFA » (et du fonds d’établissement à 3 milliards) pour les sociétés d’assurance non-vie ; ainsi que la suspension, sine die, de cette seconde phase pour les sociétés d’assurance vie, « assortie d’une réévaluation régulière de la situation », rapporte le communiqué du conseil des ministres de la Cima, signé par son président, Joao Alage Mamadu Fadia.

Il est à craindre que les effets de la crise soient plus importants en 2021 qu’en 2020

Pour rappel, cette réforme a déjà porté le minimum de fonds propres requis de 1 milliard à 3 milliards de F CFA, et projetait la mise en place d’un nouveau seuil à 5 milliards avant la fin de 2021.

Le conseil, qui se « félicite du bilan de la première phase de la réforme sur le capital social », rappelle qu’il avait une première fois déjà reconnu les « contraintes subies par le secteur financier et économique qui ont eu pour conséquence d’allonger sur une année supplémentaire la finalisation de la première phase » – après avoir dans un premier temps tenu bon malgré les protestations des professionnels du secteur,  il avait fini par assouplir sa position et d’accepter de reporter au 31 décembre 2019 l’application du nouveau seuil.

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Cette fois, l’exécutif du régulateur régional évoque « l’impact de la pandémie du Covid-19 sur l’activité et les opportunités d’investissement » pour lâcher du lest.

« Tous les acteurs n’étaient pas prêts »

« La crise du Covid-19 a faussé les business plans de la plupart des sociétés, avec différents retards subis », confirme Jean Kakou Diagou. Il poursuit : « Nous ne sommes pas certains que la tempête soit passée. Il y a souvent un décalage de six mois à un an entre l’avènement d’une crise économique et la perception de l’ensemble de ses conséquences pour le secteur de l’assurance. Il est à craindre que les effets de la crise soient plus importants en 2021 qu’en 2020 (annulations de contrats, non renouvellement ou réduction des garanties couvertes, baisse des primes…) ».

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Nous avons toujours estimé que cinq milliards, c’était énorme au regard de la taille des sociétés

De fait, tous les acteurs n’étaient pas encore prêts à franchir le nouveau seuil. « Les compagnies étaient en train de s’organiser comme pour la première phase, tout en poursuivant les discussions avec l’autorité de tutelle », explique le dirigeant de SEN Assurance vie (2 milliards de F CFA de chiffre d’affaires en 2019), par ailleurs vice-président de la Fanaf.

« Un débat technique, professionnel a été instauré tout au long du processus. Nous avons toujours estimé que cinq milliards, c’était énorme au regard de la taille des sociétés, » précise-t-il.

Bouffée d’oxygène

Pour d’autres, comme le géant Allianz, fort de son solide réseau mondial et de ses quelque 660 millions d’euros de revenus en Afrique en 2019), le calendrier n’était pas vécu avec anxiété. La première phase d’augmentation de capital ayant été bouclée pour chacune des sociétés du groupe « parfois même avant la date butoir » et la deuxième phase ayant été anticipée.

L’assureur relève toutefois « l’autre décision intéressante du conseil des ministres de la Cima : celle de mener plus en profondeur la réflexion sur l’agrément unique », explique Omar Saied, regional legal counsel d’Allianz Africa, interrogé par JA.

À bien des égards, la décision du régulateur est donc vécue comme une bouffée d’oxygène pour la plupart des acteurs des assurances interrogés, qui disposent d’un délai supplémentaire pour absorber le choc de la crise et se mettre en conformité.

Fusions, refontes de capital et recours à l’endettement

Censée renforcer le secteur et permettre l’émergence d’acteurs plus solides, tant la filière est fragmentée dans la zone, cette réforme avait suscité – jusqu’à la veille de sa mise en œuvre – protestations et réactions en chaîne.

Des protestations d’une part, parmi les « petits assureurs », ou les groupes d’assurances multi-implantés, pour lesquels le coût de cette réforme était lourd à supporter. Et un repli de certains assureurs internationaux de certains pays de la zone, jugés moins rentables.

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« La première phase, qui s’est finalement bien passée, a été assez traumatisante », ponctue Mamadou Faye. « Il y a eu des fusions, certains ont perdu le contrôle de leur entreprise avec l’arrivée de nouveaux actionnaires et d’autres ont eu recours à l’endettement ».

Rasséréné, il en appelle à : « l’accompagnement des autorités de tutelle des différents pays membres de la Cima par une plus grande ouverture sur des produits rendus obligatoires, une fiscalité plus souple, une réglementation mieux adaptée de la part du régulateur respectant la tryptique : concertation, proportionnalité et progressivité. »