Jeune Afrique : Quels sont aujourd’hui les moyens auxquels peuvent avoir recours les pays africains pour obtenir le vaccin contre le Covid-19 ?
John N. Nkengasong : L’Afrique compte actuellement sur trois mécanismes. D’abord, le Covax, coordonné par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en collaboration avec l’Alliance du vaccin (Gavi) et la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (Cepi), qui a pour but de vacciner 20 % des personnes les plus vulnérables dans 92 pays à faible revenu, dont la plupart sur le continent. Toutefois, notre objectif est de vacciner au moins 60 % de la population africaine pour atteindre l’immunité collective et ralentir la propagation du Covid-19.
Pour combler cet écart de 40 %, l’Union africaine a lancé sa propre initiative. L’équipe spéciale pour l’acquisition de vaccin en Afrique (African Vaccine Acquisition Task Team, AVATT) vient d’acquérir 270 millions de doses, dont 50 millions seront disponibles en avril et juin. Enfin, certains pays comme le Maroc et l’Égypte ont opté pour des essais cliniques sur leur sol, après avoir négocié avec des laboratoires pharmaceutiques étrangers.
Peut-on parler d’un accaparement des doses par les pays « riches » au détriment des pays à plus faible revenu ?
Effectivement, beaucoup de pays riches ont acheté beaucoup plus de doses – parfois trois à cinq fois plus – que ce dont ils ont besoin. Cela pose un gros problème pour les Africains. Il est temps de revoir la politique vaccinale à l’échelle internationale, maintenant que l’on sait que plusieurs vaccins sont efficaces.
Prônez-vous l’abandon de la propriété intellectuelle ?
Oui. Le vaccin contre le Covid-19 doit être vu comme un outil qui bénéficiera à l’ensemble de l’humanité. Si tout le monde en prend conscience, l’Afrique sera gagnante, y compris lorsqu’il s’agira de produire localement.
Justement, comment encourager les pays africains à produire leurs propres vaccins ?
Les pays africains doivent investir dans le développement de leur propre capacité à développer les instruments nécessaires (fabrication de vaccins, diagnostics, médicaments…), essentiels pour garantir la sécurité sanitaire de leur population. Cela permettra de réduire considérablement la dépendance vis-à-vis d’autres pays.
La pandémie actuelle est certes sans précédent, mais pas inattendue. Elle a mis en évidence de graves limites en Afrique – dont la démographie évolue rapidement -, qui ne possède pas suffisamment d’institutions de santé publique spécialisées, manque de personnel de santé et de système de surveillance, ne fabrique aucun diagnostic et dépend encore de l’importation de plus de 99 % de ses vaccins et thérapies. Chaque année, les maladies infectieuses coûtent la vie à plus de 227 millions de personnes et produisent un bilan économique annuel de plus de 600 milliards de dollars.
Tous ces vaccins sont très efficaces et de bonne qualité. »
Les pays africains se tournent vers des pays comme la Chine et la Russie pour obtenir des doses plus rapidement. Peut-on parler d’une « guerre d’influence » ?
Les États africains sont libres de se tourner vers les pays qu’ils souhaitent pour obtenir les doses qui tardent à arriver. De son côté, la Chine a conscience qu’elle ne pourra pas gagner seule la bataille contre le Covid-19, d’où la recherche de partenariats. L’Afrique est ouverte à tous les partenariats avec les pays qui pourraient nous venir en aide. Et cela ne passe pas toujours par l’État, mais aussi par des fondations comme ce fut le cas avec celle du milliardaire Jack Ma, qui a fait des dons de kits de dépistage et de masques au continent africain.
Faut-il s’inquiéter de l’efficacité de ces vaccins ?
Tous ces vaccins sont très efficaces et de bonne qualité. Les résultats intermédiaires des essais vaccinaux Oxford/AstraZeneca ont montré que le vaccin protège contre la maladie symptomatique dans 70 % des cas. Les fabricants des vaccins russes ont pour leur part indiqué que leur Spoutnik V est efficace à environ 91 % et ont promis de partager les résultats avec nous.
L’Afrique a-t-elle actuellement les moyens de lancer des campagnes de vaccination de masse ?
Les pays africains ont tous la capacité de mettre en place ces campagnes. Toutefois, ils devront remplir quatre conditions : augmenter la capacité de stockage des vaccins, former suffisamment d’agents sanitaires, mettre en place une base de données pour le suivi, et bénéficier de suffisamment de financements. La plupart des pays sont en pleine préparation et l’Africa CDC a déjà élaboré des stratégies de vaccination.