Économie

Afriland : Paul Kammogne Fokam se retire de Guinée équatoriale

Malabo vient de racheter les parts d’Afriland First Group et de sa filiale camerounaise au sein de la première banque du pays. Une opération à 44,7 millions d’euros qui permet à l’État de devenir l’actionnaire majoritaire de la CCEI Bank GE.

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Mis à jour le 20 janvier 2021 à 10:01

Paul Kammogne Fokam, 72 ans, est le patron d’Afriland First Bank depuis près de trente ans. © Maboup

Pour Afriland First Group (AFG), la Guinée équatoriale, c’est fini. Le 9 janvier, Agapito Teodosio Nguema Obiang Ona Mba a officiellement été désigné à la tête de la CCEI Bank Guinée équatoriale, à l’issue d’un conseil d’administration extraordinaire.

La promotion de cet ancien cadre de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), ex-numéro deux de la filiale locale de Société générale, vient mettre un terme au long règne du Camerounais Joseph Célestin Tindjou Djameni.

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Ce dernier, proche de Paul Kammogne Fokam, le fondateur d’AFG, porta l’établissement sur les fonts baptismaux en 1994, pour en faire la première banque équato-guinéenne, avec – au faîte de sa splendeur – 70 % de parts de marché durant pratiquement deux décennies.

La réunion a également acté le retrait définitif d’Afriland First Group (AFG) du pays.

En effet, dès le 14 juillet 2020, l’État équato-guinéen avait paraphé une double convention d’acquisition des participations du holding – fondé par Paul Fokam et installé en Suisse – et de sa filiale camerounaise, Afriland First Bank (AFB).

Une décision mûrement réfléchie

Malabo dégaine ainsi 29,35 milliards de F CFA (44,7 millions d’euros) pour récupérer les 66 % des parts – environ 66 000 actions – des deux entités, devenant de ce fait l’actionnaire de référence de CCEI Bank GE avec 76 % du capital.

Holding de la famille présidentielle équato-guinéenne, le groupe Abayak conserve ses 9 %, le reliquat (15 %) restant aux mains d’acteurs privés locaux.

Le processus a pris corps dès le 13 septembre 2018, lorsque le conseil d’administration d’AFB a autorisé la cession des 13,87 % du capital de CCEI Bank GE qu’il détenait dans. Huit mois plus tard, les administrateurs du holding emboîtaient le pas de la filiale, autorisant la cession des parts détenues par la structure enregistrée en Suisse (52,13 %).

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Le groupe bancaire camerounais a longtemps mûri sa décision. En annonçant son désengagement du marché zambien il y a quatre ans, Jeune Afrique, citant une source interne, s’était déjà fait l’écho d’un possible retrait d’un pays d’Afrique centrale, en pointant la filiale équato-guinéenne.

Boulimie infrastructurelle

À l’appui de cette supposition, Jeune Afrique pointait les difficultés de la filiale équato-guinéenne et révélait alors que ses revenus avaient été divisés par deux en 2015.

Un recul consécutif à la chute, un an auparavant, des prix des matières premières ayant entrainé la sévère crise économique qui frappa les pays pétroliers de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) dont fait partie la Guinée équatoriale. Le total de bilan de CCEI Bank Guinée équatoriale était passé de 2,7 milliards d’euros en 2014 à 1,27 milliards d’euros l’année suivante.

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Sur les cinq derniers exercices, il a baissé de 13,5 %, tandis que le bénéfice de la banque dégringolait de 81,5 % et que son produit net bancaire plongeait de 60 %.

La situation de la banque était telle que Malabo a dû, il y a deux ans, recourir à une titrisation d’une partie de sa dette à l’égard de CCEI Bank, à hauteur de 291 milliards de F CFA, pour lui redonner un peu d’oxygène.

En cause, une exposition marquée auprès de l’État et d’entreprises, notamment du BTP, venues profiter de la boulimie infrastructurelle à la suite du boom pétrolier, et subitement devenues exsangues du fait du retournement de la conjoncture.

Cependant, l’opération de titrisation fut annulée après l’audit d’un cabinet londonien commis par l’État.

Une forme de défiance s’est progressivement installée

Reconfiguration continentale

Outre la baisse des résultats, ce retrait pourrait aussi s’expliquer par des considérations politiques. « Une forme de défiance s’est progressivement installée entre Teodoro Obiang Nguema et Paul Fokam. Le président s’étant rendu compte de l’absence de transparence sur des transferts entre CCEI Bank GE et la filiale camerounaise du groupe, portant sur des montants conséquents », glisse un connaisseur de l’environnement bancaire régional. La colère du dirigeant équato-guinéen fut telle que l’éventualité d’une « expropriation sans compensation » fut un temps envisagée.

Il s’agit du deuxième désengagement en cinq ans

« Les probables réactions du gouvernement camerounais et de la banque centrale régionale ont amené les autorités équato-guinéennes à écarter cette piste », ajoute un autre familier du dossier.

Contacté, AFG n’a pas souhaité donner suite aux sollicitations de Jeune Afrique.

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Avec ce deuxième désengagement en cinq ans, le magnat camerounais poursuit la reconfiguration continentale de son groupe. Outre le Cameroun, la RDC, le Congo, São Tomé-et-Prìncipe, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Bénin, le Liberia, le Sud-Soudan, il a acquis une licence bancaire en Ouganda en septembre 2019.

Ce pays ne figurait pas parmi les cibles à l’horizon 2022 que le groupe avait évoqué il y a trois ans (Afrique du Sud, Nigeria, Niger, Tchad, Sierra Leone et Kenya).

Paiement à problèmes

Le 8 décembre dernier, Rodolphe Gautier, associé au sein du cabinet suisse Walder Wyss qui représente les intérêts d’Afriland First Group (AFG), a adressé des lettres de mise en demeure à l’État équato-guinéen et à la CCEI Bank GE. L’avocat ordonne à l’établissement de ne pas transférer les 66 000 actions de son client et de sa filiale camerounaise tant que Malabo n’a pas intégralement versé les 44,7 millions d’euros.

Rodolphe Gautier pourfend notamment les « multiples immixtions » et la « manœuvre douteuse » de Valentin Ela Maye Mba, le ministre des Finances, de l’Économie et du Plan, visant à s’accaparer les actions de son client.

L’inquiétude du groupe fondé par Paul Kammogne Fokam provient de ce que, alors qu’il n’a reçu aucun centime depuis la conclusion de la transaction en juillet 2020, l’argentier équato-guinéen et Baltasar Engonga Edjo’o avaient convoqué des assemblées générales extraordinaires pour les 13 et 18 novembre, afin de valider entre autres le nouveau tour de table et la nouvelle composition du conseil d’administration.

Pilier du régime, ministre d’État chargé de l’Intégration régionale, Baltasar Engonga fut l’inamovible président du conseil d’administration de CCEI Bank GE, avant d’en devenir l’administrateur ad hoc après la conclusion de l’opération.

Selon des indiscrétions, Malabo aurait déjà versé la moitié de la somme. Subsiste toutefois un hic : AFG ne dispose pas de compte en banque en zone Beac, permettant à la Banque centrale d’autoriser le transfert, conformément à la réglementation des changes…