Politique

Algérie : Ali Ghediri, le général qui tenait tête à Ahmed Gaïd Salah

Les juges ont décidé de ne retenir que le chef d’inculpation d’« atteinte à l’armée » à l’encontre de ce général à la retraite qui ne cesse de clamer son innocence. La chambre d’accusation devrait statuer sur son cas dans les jours prochains.

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Mis à jour le 25 décembre 2020 à 11:58

Directeur des ressources humaines au ministère de la Défense avant de prendre sa retraite en 2015, Ali Ghediri entretenait des relations plutôt tendues avec Gaïd Salah. © Louiza Ammi pour JA

La prédiction de cet avocat connu sur la place d’Alger était donc juste lorsqu’en décembre 2018, dans son bureau situé non loin du siège de l’Assemblée nationale, il évoquait le cas de Ali Ghediri. Le général à la retraite s’apprêtait à annoncer sa candidature à l’élection présidentielle d’avril 2019, à laquelle le président Bouteflika voulait lui aussi participer. L’avocat se penchait sur les relations entre Ahmed Gaïd Salah, l’ancien ministre de la Défense et chef d’état-major de l’armée, et Ali Ghediri. « Gaïd Salah finira par le mettre en prison, confiait-il. Ce n’est qu’une question de temps. »

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Après ces confidences, deux années sont passées. L’eau a coulé sous les ponts. La révolution de 22 février 2019 a chassé Bouteflika du pouvoir et balayé son clan, dont les figures de proue purgent de lourdes peines de réclusion. Un nouveau président, Abdelmadjid Tebboune, occupe le palais d’El Mouradia. Le puissant général Gaïd Salah, devenu l’homme fort du régime, est décédé d’une crise cardiaque le 23 décembre 2019.

Espoir

Quant au général Ali Ghediri, il est en détention provisoire à la prison d’El Harrach depuis le 13 juin 2019 pour les chefs d’inculpation de « démoralisation de l’armée » et « réunion de documents et d’informations à la disposition d’agents étrangers ».

Le 18 décembre dernier, la Cour suprême a rendu une décision qui redonne de l’espoir aux avocats du général Ghediri en laissant entrevoir la possibilité que ses ennuis judiciaires prennent fin. Les juges ont décidé de requalifier les faits pour ne retenir que le chef d’inculpation d’ »atteinte à l’armée ».

La chambre d’accusation devrait statuer sur son cas dans les jours prochains. Pour Khaled Bourayou, l’un des avocats d’Ali Ghediri, le jugement de ce général à la retraite qui ne cesse de clamer son innocence devrait déboucher sur un « non-lieu ».

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Le cas du général Ghediri, comme celui de l’autre général à la retraite Hocine Benhadid notamment, constitue un legs d’Ahmed Gaïd Salah, qui s’était imposé comme le véritable décideur du pays après la démission forcée de Bouteflika. Ces deux affaires illustrent l’intrusion de Gaïd Salah aussi bien en politique que dans l’appareil judiciaire, qu’il avait instrumentalisé pour régler des comptes avec ceux qui osent le critiquer ou remettre en question sa toute puissance.

Général à la retraite connu pour son franc parler, Benhadid a été poursuivi en justice sur ordre de Gaïd Salah aux motifs d’atteinte au moral de l’armée et à la sécurité de l’État. Le 2 janvier 2020, peu de temps après la disparition de l’ancien vice-ministre de la Défense, il a été libéré avant d’être réhabilité par le successeur de Gaïd Salah, Said Chengriha, actuel chef d’état-major de l’armée. Hocine Benhadid a donc chèrement payé ses critiques et prises de position à l’égard de Gaïd Salah, qu’il avait accusé d’être à la solde de puissances étrangères.

Gaïd Salah aussi intraitable qu’impitoyable

Il y a des similitudes dans les affaires de Benhadid et Ghediri, aussi bien au niveau des chefs d’inculpation que du traitement que Gaïd Salah a réservé à ces deux généraux à la retraite. Dans un cas comme dans l’autre, les deux hommes ont été victimes de la vindicte d’un homme puissant qui ne souffrait pas la contradiction et qui pouvait se montrer aussi intraitable qu’impitoyable avec ses détracteurs.

Un personnage vindicatif au caractère impétueux et volcanique

Directeur des ressources humaines au ministère de la Défense avant de prendre sa retraite en 2015, Ali Ghediri entretenait des relations plutôt tendues avec Gaïd Salah. Vindicatif, ce personnage au caractère impétueux et volcanique voyait le général bardé de diplômes comme une sorte d’adversaire. C’était d’autant plus vrai qu’à cette époque, le président Bouteflika considérait d’un bon œil Ghediri, avec lequel il avait tissé des liens.

Inconnu du grand public, animé d’une ambition politique qu’il a longtemps tue, Ghediri sort de son silence fin 2018 en demandant au général Gaïd Salah d’empêcher le président Bouteflika de briguer un cinquième mandat.

Violence inouïe

Las ! La réplique du patron de l’armée a été d’une violence inouïe à l’égard de Ghediri, qu’il n’avait pas nommé mais qui laissait clairement penser que celui-ci allait subir les foudres de Gaïd.

Narcissisme maladif, inconscience, ambition aveugle, individu aigri et sans envergure, moyens déloyaux… Les propos d’Ahmed Gaïd Salah à l’égard de Ghediri disent à quel point il ne peut tolérer la critique. C’est d’autant plus frappant que ses mots sont assortis de la menace de faire appliquer la loi de 2016 sur l’obligation de réserve faite aux officiers à la retraite sous peine d’être arrêté et jeté en prison. Cette loi avait été initiée par Gaïd Salah en personne afin d’empêcher les anciens généraux de s’exprimer publiquement sur des questions politiques ou sécuritaires et de faire taire ainsi des voix qui pourraient remettre en question sa mainmise sur l’armée et l’appareil sécuritaire.

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L’annonce de la candidature d’Ali Ghediri à la présidentielle d’avril 2019 n’a fait qu’exacerber le courroux de Gaïd Salah. Goûtant très peu l’entrée dans la course de Ghediri, le vice-ministre de la Défense multiplie les mises en garde et les menaces à peine voilées, non sans instruire publiquement le procès de Ghediri, dont il se garde bien de citer le nom.

Les amis et les soutiens du candidat le mettent en garde sur le risque de se retrouver en prison un jour ou l’autre tant la vindicte de Gaïd peut être sans limites. Le cas de Hocine Benhadid, jeté en cellule à deux reprises, en septembre 2015 puis en mai 2019, est suffisamment éloquent.

Dérives, manquements et incohérences

La prédiction s’avère vraie le jeudi 13 juin 2019. Ali Ghediri est placé sous mandat de dépôt à la prison d’El Harrach. Selon les avocats du général, le dossier du prévenu est vide et les charges retenues contre lui sont d’une telle inconsistance que leur client ne doit même pas passer une nuit dans une cellule de cette prison qui accueille encore aujourd’hui plusieurs anciens ministres ainsi que des oligarques qui appartenaient à l’ancien clan présidentiel.

Pour les avocats de la Défense, le prochain procès du général Ali Ghediri sera non seulement l’occasion de défendre l’innocence et l’honneur de leur client, mais également de mettre en lumière les dérives, les manquements et les incohérences de l’appareil judiciaire qui a été mis au service de l’ancien patron de l’armée pour qu’il poursuive de sa vindicte les officiers qui osaient lui tenir tête ou avec lesquels il entendait solder des différends personnels.