Politique

Côte d’Ivoire : Maurice Kakou Guikahué peut-il être libéré ?

En détention depuis début novembre à la Maca, le numéro deux du PDCI a été hospitalisé à Abidjan. À l’approche des traditionnelles grâces présidentielles de fin d’année, son parti espère un geste.

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Mis à jour le 18 décembre 2020 à 13:15

Maurice Kakou Guikahué, secrétaire exécutif en chef du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), en 2015. © ISSOUF SANOGO/AFP

Le destin joue parfois de mauvais tours. Le 11 décembre, c’est dans son institut de cardiologie, au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Treichville, que Maurice Kakou Guikahué, 69 ans, a été transféré en urgence à la demande de son médecin personnel. Incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), il s’est senti mal quelques heures plus tôt lors de la promenade. « Il était vraiment fatigué. Nous n’avons pas pu échanger comme nous le faisons d’habitude », confie l’un de ses visiteurs réguliers qui l’a vu le jour même.

Toujours hospitalisé ce 18 décembre, le professeur de cardiologie devenu secrétaire exécutif en chef du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) espérait recevoir la visite d’Henri Konan Bédié, mais celui-ci n’avait pas encore reçu l’autorisation de venir à son chevet. L’état de santé de Guikahué est encore incertain.

Voilà bientôt deux mois que les deux têtes pensantes du premier parti d’opposition ne se sont plus revues. Le 3 novembre, ils sont chez Bédié dans le quartier cossu de Cocody ambassades, avec d’autres responsables du PDCI, quand plusieurs dizaines de policiers et gendarmes font brutalement irruption. La veille, les principales figures de l’opposition ivoirienne ont annoncé la création d’un Conseil national de transition (CNT), présidé par Bédié, en réaction à la réélection contestée d’Alassane Ouattara à un troisième mandat. Les autorités, qui n’entendent pas laisser prospérer une institution parallèle, comptent bien tuer l’initiative dans l’œuf.

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Une vingtaine de cadres du PDCI, dont des membres de la famille du « Sphinx de Daoukro » et certains de ses proches collaborateurs, sont embarqués. Maurice Kakou Guikahué en fait partie. « Il a demandé ce qui se passait et a tenté d’obtenir des explications, se souvient un témoin de la scène. Il a été un peu bousculé par les policiers, puis il a été emmené avec tous les autres dans un fourgon. »

Diversion pour calmer la rue

Direction la préfecture de police d’Abidjan. Le numéro deux du PDCI y passe quelques heures. Puis il est ramené vers son domicile. « Quand ils sont arrivés devant chez lui, les policiers qui l’escortaient ont reçu – ou fait semblant de recevoir – un coup de téléphone leur ordonnant de le ramener à la préfecture. Tout ceci n’était qu’une diversion visant à faire croire qu’il avait été libéré pour calmer la rue et les réseaux sociaux », assure un membre du parti.

L’ex-ministre de la Santé partage sa cellule avec un codétenu dans le bâtiment réservé aux personnalités.

Retour à la préfecture de police. Il passe 48 heures entre un bureau et la salle de conférence, dans laquelle sont détenus les autres cadres arrêtés chez Bédié. Guikahué est ensuite conduit dans les locaux de la Direction de la surveillance du territoire (DST). Il y est questionné toute la nuit, de 20h à 8h du matin. Le 6 novembre, à l’issue de cet interrogatoire, il est présenté à un juge d’instruction. Accusé de sédition, d’atteinte à l’autorité de l’État et de nombreux autres chefs d’inculpation, il est placé sous mandat de dépôt à la Maca dans la foulée.

L’ex-ministre de la Santé à la carrure imposante y partage une cellule avec un codétenu dans le bâtiment dit des « assimilés », réservé aux personnalités. Il y dispose d’un lit, d’un point d’eau, mais pas d’air climatisé. Il a obtenu le droit de se faire livrer ses propres repas, apportés quotidiennement par ses chauffeurs. Chaque matin, avant son hospitalisation, il avait coutume de faire un peu d’exercice avant de s’entretenir avec ses visiteurs – avocats, membres du PDCI ou proches venus prendre de ses nouvelles. Son épouse, une sage-femme qui réside à Nice, dans le sud de la France, a préféré ne pas venir à Abidjan. Pour faire passer des messages à son mari, elle passe par sa sœur, qui lui rend régulièrement visite.

Rôle incontournable

Depuis la reprise du dialogue avec Alassane Ouattara, le 11 novembre, à l’hôtel du Golf, Henri Konan Bédié a fait de la libération de son bras droit l’une des conditions à la poursuite des discussions avec le pouvoir. Désigné secrétaire exécutif du parti en 2013, le natif et député de la sous-préfecture de Gagnoa fait figure de bon soldat qu’il faut désormais sauver. Un Monsieur Loyal, fidèle au parti et à son président.

Sa grande force, c’est sa connaissance intime de Bédié. Ils fonctionnent en parfait tandem. Bédié dirige, lui exécute. »

En 2018, il fait partie de ceux qui s’opposent à toute intégration du PDCI au Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Peu disert, précis et méticuleux, celui qui fut un des derniers médecins de Félix Houphouët-Boigny est un apparatchik qui connaît le parti par cœur. Et qui applique à la lettre les directives de son patron. « Sa grande force, c’est sa connaissance intime de Bédié, explique un cadre du PDCI. Ils fonctionnent en parfait tandem. Bédié dirige, lui exécute. »

Un rôle incontournable qui fait parfois grincer quelques dents. « Beaucoup estiment qu’il est un peu coupé du reste du parti et qu’il agit trop souvent pour le compte de Bédié ou selon son propre agenda, sans travailler en équipe », critique un membre du bureau politique, qui dénonce un fonctionnement « opaque ». Ainsi, quand l’appel à la désobéissance civile a été lancé par Bédié en septembre, ou que la création du CNT a été annoncée après la présidentielle, la plupart – voire la quasi-totalité – des dirigeants du PDCI n’en étaient pas informés. « Lui l’était forcément. Ne serait-ce pas lui qui a poussé le président à prendre ces décisions ? », s’interroge notre source.

L’espoir d’une grâce

Pour autant, pas question de se désolidariser du secrétaire exécutif en chef. « Comme dans toute formation, il y a des rivalités. Mais personne n’est satisfait de sa détention et tout le monde est mobilisé pour le faire libérer dès que possible », affirme une figure du PDCI. La nomenklatura du parti se cotise depuis son arrestation et celle des autres personnalités pour payer les frais d’avocats et soutenir leurs familles.

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Fin novembre, quelques jours après la rencontre entre Ouattara et Bédié, Guikahué et les autres responsables du PDCI détenus à la Maca s’attendaient à être libérés. Mais le 26, seuls Seri Bi N’Guessan, Bernard Bassy-Koffi et Valérie Yapo sont informés qu’ils vont quitter la prison dans la soirée. Maurice Kakou Guikahué et Narcisse N’Dri, le directeur de cabinet de Bédié, apprennent, eux, qu’ils sont maintenus en détention. « Ce jour-là, il a pris un coup au moral. Ce n’est jamais facile d’être en prison. Mais c’est un combattant », décrit l’un de ses confidents.

Selon ses proches, ce fervent catholique, qui a fait cotiser ses codétenus pour financer un piano de messe à la Maca, trouve dans sa foi les ressources pour tenir bon. « Très souvent, quand nous faisions les cent pas, il nous citait des enseignements de la Bible », raconte un ancien camarade de détention.

Officiellement suspendues, les tractations entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié se poursuivent en coulisses. Les deux rivaux se parlent parfois au téléphone et continuent à s’envoyer des émissaires. L’ancien président de 86 ans, qui a appelé à l’organisation d’un grand dialogue national le 10 décembre, estime avoir fait un pas en enterrant le CNT.

Autour de lui, certains espéraient un geste du chef de l’État à l’occasion de son investiture, le 14 décembre. Il n’en a rien été, Alassane Ouattara affirmant qu’il n’y aurait aucune impunité pour ceux qui ont contesté les institutions. Ils espèrent désormais que le chef de l’État fera un geste à l’occasion des fêtes de fin d’année et des grâces traditionnellement annoncées à cette période.