Économie

[Analyse] RDC : communication à quitte ou double pour Dan Gertler

L’opération de communication menée par l’homme d’affaires israélien, très actif en RDC, a toutes les chances de se retourner contre lui dans un contexte de rupture de l’alliance entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila.

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Mis à jour le 11 décembre 2020 à 16:38
Christophe Le Bec

Par Christophe Le Bec

Christophe Le Bec est journaliste économique. Il couvre l'actualité des secteurs pétrolier, minier et industriels (automobile et aéronautique). Il s'intéresse aux questions de transparence et de gouvernance, ainsi qu'aux organisations patronales et syndicales. Il lui arrive aussi d'écrire sur des sujets religieux et sur la Guinée.

Dan Gertler est accusé entre autres d’avoir engrangé 1,36 milliard de bénéfices indus. © Simon Dawson/Bloomberg via Getty Images

« Ce message vidéo surprenant et maladroit a fait finalement plus de mal que de bien à Dan Gertler. » Telle est la lecture que Jean-Claude Mputu, de la plateforme citoyenne Le Congo n’est pas à vendre (CNPAV), fait de l’opération de communication menée il y a un mois par l’entrepreneur israélien Dan Gertler. Et il n’est pas le seul.

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D’ordinaire extrêmement discret, le controversé homme d’affaires, proche de l’ex-président Joseph Kabila, a surpris tout le monde mi-novembre en conviant les journalistes à une conférence de presse à Kinshasa. Finalement, en lieu et place d’une rencontre en chair et en os, les participants à cet évènement inédit ont dû se contenter d’une vidéo préenregistrée en anglais dans laquelle Dan Gertler annonce, avec grandiloquence, que pour lui est venu le moment de « partager avec ses frères congolais » les fruits de ses investissements et de son travail dans le secteur extractif de RDC. Sans toutefois donner les détails – encore inconnus près d’un mois plus tard – du modus operandi de ce qu’il présente comme une opération historique de justice sociale.

S’attirer les faveurs des Congolais

Accusé par ses nombreux détracteurs – dont les organisations de transparence économique Africa Panel Progress et Global Witness – d’avoir joué de ses relations présidentielles depuis le début des années 2000 pour obtenir des permis miniers à bas coûts, revendus au prix du marché, engrangeant pas moins de 1,36 milliard de dollars de bénéfices indus selon eux, Dan Gertler est pour cette raison sous sanctions américaines depuis décembre 2018.

La donne politico-économique lui est clairement moins favorable qu’au temps où Joseph Kabila régnait sans partage

En dépit de toutes ses tentatives pour faire lever les mesures de Washington à son encontre, notamment par l’entremise d’ex-diplomates acquis à sa cause, elles ont été maintenues. Tous ses biens et comptes bancaires sur le territoire américain restent saisis. Il lui est toujours interdit d’utiliser le dollar et il est défendu aux ressortissants des États-Unis d’effectuer quelque transaction que ce soit avec lui.

Si l’homme d’affaire tente, par des actions de communication, de s’attirer les faveurs des Congolais, en particulier des chefs d’entreprises et responsables politiques, c’est qu’outre ses problèmes américains, qui l’empêchent de diversifier géographiquement ses activités, concentrées dans les mines et le pétrole entre le Kasaï et le lac Albert, la donne politico-économique en RDC lui est clairement moins favorable qu’au temps jadis, quand Joseph Kabila régnait sans partage.

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Il va s’avérer pour lui beaucoup plus compliqué de conserver ses actifs et contrats fructueux liés aux filières cuivre, cobalt, diamant et pétrole, détenus via une cinquantaine de sociétés immatriculées dans des paradis fiscaux et dénombrées depuis 2013 par Global Witness.

Faire diversion

L’attelage formé entre Félix Tshisekedi et son prédécesseur bat de l’aile ces dernières semaines. Si bien que leur pacte de non-agression dans le secteur minier, qui restait jusque-là encore une chasse gardée de l’ancien régime, administrée par Albert Yuma Mulimbi, fidèle de Joseph Kabila, pourrait être remis en question. Même si Yuma est resté président du conseil d’administration de la Gécamines, Sama Lukonde, proche du nouveau président, en est devenu directeur général.

C’est à la demande de ce dernier que plusieurs contrats ont été rendus publics, en particulier celui de la cession en 2017 par la Gécamines à Dan Gertler de ses droits à percevoir des royalties dues à la RDC par le projet Metalkol, mené près de Kolwezi par le kazakh ERG. Selon la plateforme citoyenne CNPAV, la fameuse vraie-fausse conférence de presse de novembre visait justement à faire diversion au moment des révélations de ce nouvel accaparement des richesses congolaises.

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« A Kolwezi, Lubumbashi ou Kinshasa, mes interlocuteurs de tous les bords politiques, même dans les cercles pro-Kabila, se sont demandés pourquoi Dan avait fait cette sortie, attirant sur lui la lumière et attisant les récriminations des classes populaires, au lieu de continuer à nouer des liens discrets mais solides avec les classes dirigeantes du pays comme il l’a toujours fait », souligne le politologue et activiste Jean-Claude Mputu.

Tshisekedi peut s’appuyer sur le ressentiment populaire contre Gertler pour marquer une rupture avec l’ancien régime

La plateforme CNPAV, qui a fait une visio-conférence à ce sujet le 7 décembre, veut désormais mettre une pression maximale sur le président Félix Tshisekedi et son entourage pour qu’ils lâchent Dan Gertler.

Campagne de communication au ton complotiste

« Le nouveau président ne s’est exprimé qu’une fois sur l’homme d’affaires israélien, disant seulement qu’il ne voyait pas pourquoi il l’empêcherait de faire des affaires en RDC. Dans le contexte politique actuel délicat pour lui, le président doit comprendre qu’il peut s’appuyer sur le ressentiment populaire à l’encontre de Dan Gertler pour marquer une rupture avec l’ancien régime. Ce qui signifie, par exemple, permettre à l’Inspection générale des Finances (IGF) d’examiner les contrats signés avec l’entrepreneur israélien, et permettre un audit interne de la Gécamines sur les transactions effectuées avec lui, en faisant fi de l’opposition d’Albert Yuma à ce sujet », fait valoir Jean-Claude Mputu.

La campagne décrit les ONG comme des organisations criminelles cherchant à déstabiliser la RDC

Dan Gertler n’en est pas à sa première tentative de communication à destination des Congolais ces derniers mois. Début juillet, l’homme d’affaires installé à Ramat Gan, près de Tel Aviv, avait lancé, en parallèle d’une action en justice en France contre les ONG, une campagne de communication sur les réseaux sociaux, au ton complotiste. Une série de courtes vidéos en français avait été réalisée décrivant Global Witness et la  Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) comme des organisations criminelles, agents de l’étranger liés à George Soros et aux Émirats arabes unis, cherchant à travers leurs accusations envers Dan Gertler, à déstabiliser la RDC en empêchant ou freinant les investissements dans le secteur minier.

Par la suite, son avocat, le Français Éric Moutet, avait fait la tournée des médias locaux à Kinshasa pour promouvoir le point de vue de Gertler. Là encore, le retour en capital sympathie de cette campagne sur internet et dans les médias avait été plus que mitigé, n’étant relayé essentiellement que dans les milieux pro-Kabila de la toile.