Politique

Rachida Dati : « Le Maroc ne tournera jamais le dos à l’Algérie, et vice-versa »

Née de père marocain et de mère algérienne, l’ancienne garde des Sceaux et maire du 7e arrondissement de Paris estime que les liens entre les deux pays sont indéfectibles.

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Mis à jour le 10 décembre 2020 à 14:29

Rachida Dati, maire du 7e arrondissement, à Paris. © LP/Olivier Arandel/MAX PPP

Réélue maire du 7e arrondissement de Paris pour la troisième fois, Rachida Dati reste une figure singulière de l’échiquier politique français. Volontiers étrillée ou admirée, l’ancienne garde des Sceaux revient sur son parcours. Celui d’une transfuge de classe qui assume tout. Et confirme que sa trajectoire politique est loin d’être finie. À 18 mois de l’élection présidentielle, Rachida Dati n’exclut pas, entre les lignes, de se positionner en 2022, comme candidate. Un challenge pour cette élue, traître pour les uns, opportuniste pour les autres.

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Si elle s’est imposée, au fil des années, comme une personnalité politique incontournable, Rachida Dati ne perd pas de vue son statut d’outsider. En tant que femme d’extraction populaire et héritière de l’immigration maghrébine, le baptême est perpétuel dans les cercles de l’élite. Dans son livre « La confiscation du pouvoir », publié aux prémisses de la campagne des municipales à Paris, elle confiait ne pas connaître « la zone de confort ». D’autant qu’en sociologie électorale, Rachida Dati n’entre dans aucune case…

Jeune Afrique : La France est traversée par une série de crises, sanitaire, terroriste et politique avec la loi sécurité globale. Quel regard portez-vous sur la société française qui semble au bord de l’implosion ?

Rachida Dati : Les inégalités et les fractures en France se sont fortement aggravées. Chacun se replie sur sa condition, son identité, son histoire, son territoire. On a le sentiment que ce qui a toujours fait la force de la France, permettre une communauté de destin, est en train de disparaître.

L’idée dont certains se gargarisent du « vivre-ensemble » correspond au fond à une juxtaposition de communautés

L’idée dont certains se gargarisent du « vivre-ensemble » correspond au fond à une juxtaposition de communautés. J’ai toujours préféré l’idée d’une communauté de destin. Derrière, il y a l’idée que le même destin est possible pour chacun en France.

Si j’en suis là aujourd’hui, c’est grâce à cet idéal français. La France n’est pas une page blanche. Elle est une synthèse. Elle s’est enrichie, son identité et ses valeurs se sont enrichies. Mais les valeurs fondamentales doivent perdurer : l’universalisme, la défense de la liberté sous toutes ses formes, qui veulent dire aussi la reconnaissance du mérite, le droit à l’éducation et à l’ascension sociale par le travail…

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Or, depuis quelques années, nous sommes dans un repli. Quand je vois l’état de l’école aujourd’hui, dans certains territoires, je n’ai pas peur de dire que ceux qui réussissent sont des rescapés.

Justement, votre trajectoire illustre un certain récit républicain…

À ma naissance, je n’étais ni une héritière ni une privilégiée. Tout ce que j’ai construit ne repose que sur deux choses : l’école et le travail. Aujourd’hui, ces deux institutions sont très affaiblies. Les Français n’ont plus de perspectives. Et tout cela alimente des dérives comme la délinquance ou la radicalisation.

Je n’excuse rien. Mais cela a constitué un terreau et une cible pour ceux qui veulent s’attaquer à la République et à notre mode de vie. Et à cette dislocation sociale s’est ajoutée la crise sanitaire, sociale et économique qui révèle encore plus les inégalités avec un taux de pauvreté inédit en France, notamment des jeunes. Le Secours catholique et la Fondation Abbé Pierre ont d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme.

Vous êtes une personnalité de droite assumée. Cet engagement est-il une réaction aux échecs de la gauche dans son rapport aux minorités et aux quartiers populaires ?

La gauche a une énorme responsabilité dans cette dislocation silencieuse qu’on a tue pendant de nombreuses années et qui a abouti à la déflagration récente. Sous couvert de discours de tolérance et de droit à différence, on a victimisé les nouveaux arrivants et leurs enfants, on a instrumentalisé l’histoire de leur pays d’origine et finalement on les a dissuadés de s’intégrer.

On pointe beaucoup la responsabilité des Français de confession musulmane, mais on ne parle pas assez de la responsabilité des élus qui les ont ghettoïsés

Peu à peu, on a isolé des territoires de la République. On les a enclavés dans leur quartier. On les a mis sous la coupe des « grands frères ». Cela revenait à dire : « gérez-vous entre vous et ne sortez pas d’ici ». Le séparatisme s’est nourri de cette communautarisation qui finalement ne faisait pas de bruit. Et cette relégation en a arrangé beaucoup pendant longtemps. On pointe beaucoup la responsabilité des Français de confession musulmane mais on ne parle pas assez de la responsabilité des élus qui les ont ghettoïsés.

Finalement, vous décrivez la radicalisation comme le fruit d’un continuum des politiques publiques manquées à l’égard des quartiers populaires…

Bien sûr ! On a commencé par un communautarisme identitaire conforté par la gauche. Et puis, on n’a pas vu l’impact et l’influence d’événements internationaux sur ces territoires abandonnés. Et quand on a eu les premiers foulards de Creil en 1989, aucune décision politique n’a été prise. Lionel Jospin a demandé au conseil d’État de prendre une décision juridique alors qu’il aurait fallu une décision politique.

Quand vous étiez Garde des sceaux, vous avez lancé un programme de lutte contre la radicalisation en prison. Ce qui vous a valu d’être accusée de stigmatiser les Français de confession musulmane…

Lorsque j’ai lancé ce programme, je m’étais inspirée de ce qui faisait dans les prisons en Angleterre pour lutter contre la radicalisation et le communautarisme. Ce programme consistait à ne plus regrouper les détenus par communautés ou par religion.

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L’administration pénitentiaire nous alertait depuis des années sur ces processus de radication en prison et les effets délétères de ces regroupements ethniques. Je n’ai aucun regret d’avoir mis en place ce programme malgré les contestations importantes à l’époque.

D’aucuns s’inquiètent du tournant sécuritaire à la suite des récentes attaques terroristes, dont l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre. Qu’en pensez-vous ?

La décapitation de Samuel Paty est un signal grave et la traduction d’un terrorisme déterminé. Il faut adapter notre arsenal juridique avec de la fermeté et de la répression sans compromettre nos libertés et sans remettre en cause la liberté de culte.

Hommage à l'enseignant Samuel Paty à Moulins, France, le 2 novembre 2020. © Reynaud Fanny/ABACA

Hommage à l'enseignant Samuel Paty à Moulins, France, le 2 novembre 2020. © Reynaud Fanny/ABACA

Le chercheur Olivier Roy n’inscrit pas Abdoullakh Anzorov (l’assassin de Samuel Paty) dans la filiation des tueurs du Bataclan. Selon lui, son acte est moins idéologique que destiné à frapper les esprits et avoir un fort impact médiatique…

Les chercheurs sont dans leur rôle. Mais en tant que responsables politiques, il faut savoir prendre ses responsabilités vis-à-vis des citoyens pour les protéger et pour prévenir les attentats.

Dans votre livre, vous racontez votre attachement naturel à l’histoire de France dont vous faites partie. En même temps, votre lien au Maghreb, à travers vos parents, est très présent. Le Maroc et l’Algérie sont deux composantes de votre identité et à la fois, on le sent bien, ce sont deux liens différents…

Mon père était marocain. Maman était algérienne. Mon père était parti travailler dans les années 1950 en Algérie où il a rencontré maman. Ils se sont mariés en Algérie avant de revenir au Maroc, puis s’installer en France en 1963. Je suis profondément attachée à ces deux pays.

Je me sens pleinement française, mais nourrie par mes origines et la culture de mes parents

Je me rends très régulièrement au Maroc où sont enterrés mes parents. Je me sens pleinement française mais tellement nourrie par mes origines et la culture de mes parents. Je n’ai jamais vu ces différentes cultures comme une opposition mais comme un enrichissement personnel qui s’est fait naturellement.

Comment voyez-vous l’évolution des relations entre le Maroc et l’Algérie ?

Le Maroc est un grand pays qui a connu d’importantes avancées grâce au roi du Maroc, notamment sur le droit des femmes, l’accès à l’éducation, la formation des jeunes, etc. Mais aussi en matière de politique industrielle, qui est très innovante. Les Marocains ont fortement développé les énergies renouvelables. Ils ont la plus grande centrale solaire au monde. Le Maroc est un moteur politique et économique pour l’ensemble de l’Afrique.

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L’Algérie est un grand pays doté de nombreux atouts : ses ressources naturelles mais aussi et surtout sa jeunesse. Je forme un vœu depuis toujours : que ces deux grands pays concrétisent un rêve tant attendu par les Africains, le Grand Maghreb Uni, qui serait une vraie puissance face à l’Union européenne.

Les dernières tensions entre Rabat et Paris concernant les caricatures, le souhait d’Emmanuel Macron de jouer le rapprochement avec Alger, cela montre que les lignes bougent. N’auriez-vous pas envie de pousser davantage pour une diplomatie informelle dans ce triangle ?

Le Maroc et l’Algérie n’ont pas besoin de diplomatie informelle pour se parler. Ces deux pays se connaissent bien. Ils ne sont sous la tutelle de personne. Je suis convaincue que le Maroc ne tournera jamais le dos à l’Algérie et l’Algérie ne tournera jamais le dos au Maroc.

Revenons au plan national. Nous sommes à 18 mois de la présidentielle, les Républicains sont clairement en panne de leader. Il y a, donc, un espace propice à des candidatures comme la vôtre. Les élections présidentielles, est-ce que vous y pensez ?

Il est important que la droite soit incarnée.

Les Français attendent une alternative à Emmanuel Macron, qui a profondément fracturé notre pays

Vous pensez, donc, à vous présenter en 2022?

En ce qui concerne 2022, tout est ouvert. Les Français attendent une alternative à Emmanuel Macron, qui a profondément fracturé notre pays en opposant les Français les uns aux autres. Il compte sur les circonstances et l’état du pays pour favoriser une réélection : entre la conjonction d’une forte abstention et la montée des extrêmes. Les Français ne veulent pas d’un nouveau duel Macron vs. Le Pen. Cela ne leur offre aucun espoir, aucune perspective.

Je suis convaincue que la France est à droite par ses valeurs et ses aspirations. Toutes les élections intermédiaires ont été gagnées par la droite. À chaque fois, la République en Marche a disparu du paysage. Nous sommes forts de nos élus locaux qui sont ancrés dans la réalité du pays et au service des Français. Une alternative doit être proposée. À nous de l’incarner.

Les Républicains sont-ils prêts à vous désigner candidate du parti aux présidentielles, compte tenu de votre profil, femme et issue de l’immigration maghrébine ? Une primaire vous serait-elle favorable ?

Cette question pourrait être posée à n’importe quel parti politique et à n’importe quelle sphère de pouvoir. Mais les Français ne pensent pas selon ces critères.

Parfois, ce n’est plus un plafond de verre que l’on a au-dessus de nos têtes mais un bunker

Autrement, je n’aurais jamais été élue à la mairie du 7e arrondissement de Paris et je n’aurais jamais reçu un tel accueil populaire lors de l’élection présidentielle de 2007.

Votre trajectoire illustre le rapport de l’élite française aux minorités. Diriez-vous qu’il y a eu des avancées en termes de « diversité », terme, déjà, en soi problématique…

Oui. Il y a eu des progrès grâce à l’école, notamment. Mais l’ascension se fait plus difficilement pour les postes à hautes responsabilités. Parfois, ce n’est plus un plafond de verre que l’on a au-dessus de nos têtes mais un bunker.

Justement, qu’avez-vous appris de cette élite française ? Elle est particulière cette caste française du pouvoir…

Il y a un plafond de verre : les enfants d’ouvriers, d’agriculteurs, de familles monoparentales, les étudiants obligés de travailler pour payer leurs études, parfois même faire vivre leurs familles. Pour toutes ces catégories, il est extrêmement difficile de sortir de sa condition.

L’enjeu c’est de permettre à chacun, quelle que soit sa condition, de pouvoir accéder aux postes à responsabilité. Aujourd’hui, c’est compliqué. Il suffit de regarder les sphères de pouvoir politiques et économiques.

Beaucoup de gens, de tous bords, ne vous pardonnent pas votre engagement au service d’une droite décomplexée. Est-ce un biais raciste ou de la simple rivalité, selon vous des sphères de pouvoir politique mais aussi médiatique?

Toute ma vie, j’ai eu des procès en légitimité. J’ai été auditeur, j’ai été directrice financière, j’ai dirigé une entreprise. J’ai été magistrate. J’ai été ministre de la Justice. J’ai été députée européen. Je suis maire du 7e arrondissement de Paris. Je suis présidente du premier groupe d’opposition à Paris. Dois-je encore me justifier ?

Ce qui bat dans les quartiers populaires, c’est l’abstention et le désespoir

Concernant l’engagement politique, que dites-vous aux Français des couches populaires et issus des minorités ? Leur conseillez-vous d’aller en politique ?

J’ai vu tellement de gens qui ne votent plus parce qu’ils ont été écœurés. J’ai toujours été dans l’action sur la lutte contre les inégalités, les violences faites aux femmes, pour l’insertion des jeunes, pour protéger les plus fragiles, pour lutter contre la radicalisation.

Je crois à la politique qui change les choses. Je crois à l’action publique. Je n’en serais pas là si je n’y croyais pas. Donc oui, c’est important que les Français s’engagent.

Est-ce difficile quand on s’appelle Rachida Dati de se positionner à droite, là où historiquement les quartiers et les minorités ont le cœur qui bat à gauche ?

Si vous me parlez des quartiers populaires, c’est un leurre de croire que leur cœur bat à gauche. Ce qui bat là-bas, c’est l’abstention et le désespoir. Mon engagement à droite s’est fait sur des valeurs qui ont conditionné ma vie et mon parcours : la volonté, le travail et la reconnaissance du mérite.