[Série] Agnès Ntoumba, des bio-insecticides contre le paludisme (1/5)

« Ces Africaines qui bousculent la science » (1/5). Spécialisée dans l’utilisation des plantes endémiques, cette doctorante camerounaise rêve de développer une alternative aux insecticides chimiques.

La biologiste camerounaise Agnès Ntouba. © Montage Jeune Afrique / Photo DR

La biologiste camerounaise Agnès Ntouba. © Montage Jeune Afrique / Photo DR

Publié le 14 décembre 2020 Lecture : 4 minutes.

« Ces Africaines qui bousculent la science » : Agnès Ntouba, Zara Randriamanakoto, Faouziath Sanoussi, Dominique Voumbo Matoumona et Nadège Taty. © Photomontage : Jeune Afrique
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Ces Africaines qui bousculent la science

La pandémie de coronavirus a souligné la nécessité de mener des programmes de recherche sur le continent. Et parce que de plus en plus de femmes africaines se lancent dans des carrières scientifiques, Jeune Afrique a voulu mettre en avant cinq d’entre elles, parmi les lauréates du prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science en Afrique.

Sommaire

La lutte contre le paludisme est son cheval de bataille. Dans le laboratoire de biologie et de physiologie des organismes animaux de l’Université de Douala, au Cameroun, Agnès Antoinette Ntoumba, 41 ans, teste et développe des insecticides bio contre les larves de moustiques Anopheles gambiae (principaux vecteurs de la maladie), à partir de nanoparticules d’argent produites par des plantes locales : feuilles de goyave, de moringa, de citron ou de citronnelle.

Une première au Cameroun, qui lui a valu d’être récompensée par le Prix Jeunes Talents Afrique subsaharienne L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science. « Les plantes sont déjà utilisées dans le développement d’insecticides. Mais notre apport c’est l’utilisation des nanoparticules, désormais répandues dans tout le monde de la science. Les métabolismes secondaires présents dans la plante, associés aux nitrates d’argent, vont donner des nanoparticules d’argent, qui vont optimiser l’efficacité de la formule insecticide destinée à éradiquer les larves de moustiques », explique cette spécialiste en parasitologie et entomologie.

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« Nous sommes en train de démontrer que ces nanoparticules de plantes sélectionnées, utilisées dans les gîtes larvaires des moustiques, aux abords des maisons, n’agissent pas contre les organismes non ciblés, têtards par exemple. Préserver l’environnement et les écosystèmes est capital. »

Du ministère à l’université

En raison des nombreux cas de résistance observés après l’utilisation d’insecticides issus de la chimie industrielle, elle est convaincue qu’il est urgent d’explorer de nouveaux axes de recherche via la synthèse verte – c’est-à-dire la chimie du végétal – afin de mettre à profit le potentiel africain tout en produisant plus rapidement des insecticides moins coûteux et plus respectueux de l’environnement. Selon le rapport 2019 de l’OMS sur le paludisme dans le monde, il y a eu 2,47 millions de cas de paludisme au Cameroun en 2018 (16,38 % des cas en Afrique) et plus de 3 200 décès (4,4 % des décès en Afrique).

J’ai un petit salaire mais c’est ce qui me permet de continuer

Agnès Ntoumba, doctorante chercheuse et mère de deux collégiennes, est rompue aux longues journées. Grande travailleuse, il lui arrive de quitter l’emploi qu’elle occupe par ailleurs au ministère camerounais des Finances pour se rendre au « labo » pour faire des tests et des relevés jusque 23 heures ou minuit.

« J’ai un petit salaire, mais c’est ce qui me permet de continuer. Je passe beaucoup de temps dans les transports pour aller du ministère à l’université, mais c’est parce que j’aime ce que je fais et que j’ai la chance d’avoir un mari qui m’accompagne énormément. Il est lui-même professeur de chimie à l’université. Nous gérons ensemble les enfants et l’organisation de la maison. » Les 10 000 euros de la bourse L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science lui permettront d’acquérir des fournitures et du matériel informatique pour ses recherches.

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Pas d’a priori

Première d’une fratrie de quatre enfants, Agnès Ntoumba a grandi à Yaoundé, entre une mère fonctionnaire et un père professeur de physiologie animale. « C’est lui qui m’a donné le goût des sciences. En tant qu’intellectuel, il n’avait pas d’a priori, il ne faisait pas de différence entre une fille et un garçon, se souvient-elle. Pour lui, tout le monde devait aller à l’école et ramener des résultats. Tu ne pouvais pas dire que tu ne comprenais pas les mathématiques parce que tu étais une fille. Au contraire, il me poussait à aller le plus loin possible. Il disait que, parfois, être une femme me fermerait les portes et qu’il fallait que je sois parmi les meilleures pour que celles-ci s’ouvrent. »

Je n’ai pas besoin d’aller en Europe pour faire de la recherche. C’est au Cameroun que les choses doivent avancer

D’autres figures importantes ont jalonné et inspiré son parcours. Parmi elles : Rose Gana Fomban Leke, 73 ans aujourd’hui, professeur émérite d’immunologie et de parasitologie à l’Université de Yaoundé et créatrice du Higher Women Consortium, destiné à faire du mentorat et à accompagner les jeunes chercheuses. Agnès Ntoumba fut sa première « protégée ».

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Il y a aussi Dora Mbanya, directrice du Centre national de transfusion à Yaoundé, elle aussi membre du consortium. « On y partage des expériences en tant que femme, mère, scientifique. Quand on voit tout ce qu’a pu faire Rose Leke, qui elle aussi a des enfants, ça nous pousse. Je me suis dit : moi aussi, je peux le faire ».

Tests encourageants

Après des résultats et des phases de tests très encourageants, Agnès Ntoumba sait qu’elle devra bientôt passer à la vitesse supérieure et commencer la fabrication de ses insecticides. Il faudra pour cela des moyens plus importants, du matériel, revoir les concentrations, faire des essais à grande échelle. L’objectif serait de produire une capsule, type comprimé effervescent, à dissoudre dans l’eau. Son rêve serait que ses recherches soient reprises dans un projet plus vaste pour aider le Cameroun dans sa lutte contre le paludisme et contre d’autres maladies induites par les moustiques, comme la fièvre jaune.

Mais de là à lancer sa propre entreprise pour commercialiser ses découvertes, il y a un pas qu’elle n’entend pas franchir. « C’est dans un labo et sur le terrain, en faisant de la recherche, que je me sens bien. Mon seul regret , c’est que la recherche ne soit pas valorisée dans mon pays, le Cameroun, et que les laboratoires ne soient pas équipés. Je n’ai pas besoin d’aller en Europe pour faire de la recherche. C’est ici que les choses doivent avancer. »

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