Sans surprise, la décision de la Cour constitutionnelle passe mal dans les rangs du parti Kwa Na Kwa (KNK). François Bozizé, qui se trouve actuellement dans son fief de Bossangoa, dans l’Ouham, n’a pour l’instant pas officiellement réagi. Mais au sein de son parti, l’annonce de l’invalidation de sa candidature a fait l’effet d’une douche froide.
Et la colère est d’autant plus grande que l’ex-chef de l’État, chassé du pouvoir en mars 2013 par les rebelles de l’ex-Séléka, a longtemps affiché sa confiance dans sa capacité à mener cette bataille électorale grâce à laquelle il espérait reprendre place dans « son » fauteuil présidentiel.
« J’ai tous les justificatifs qui peuvent me permettre de me présenter normalement », lâchait-il le 9 novembre dernier, après avoir déposé son dossier de candidature à la Cour constitutionnelle, escorté par une foule de supporters. Sauf que, jeudi 3 décembre, la plus haute instance judiciaire du pays a invalidé sa candidature, invoquant notamment le mandat d’arrêt international émis en mars 2014 par le tribunal de grande instance de Bangui pour « assassinats, enlèvements, détentions arbitraires, tortures ».
Colère et craintes de violences
La Cour constitutionnelle centrafricaine a également évincé, outre François Bozizé, quatre autres candidats dont Armel Sayo, responsable du groupe armé Révolution justice. Seuls 17 candidats, dont le président sortant Faustin Archange Touadéra, sont retenus pour cette présidentielle.
Ce n’est pas de la démocratie, c’est une honte !
« Faustin Archange Touadéra a peur d’affronter François Bozizé, c’est pour ça qu’il fait tout pour l’écarter, s’emporte ainsi un militant influent du parti de l’ancien président centrafricain. Ils veulent pousser les gens dans la rue pour, ensuite, tout mettre sur le dos de François Bozizé. Ce n’est pas de la démocratie, c’est une honte ! »
Malgré la colère, et les craintes de violences qu’elle suscite, Jean-Francis Bozizé, le fils de l’ancien président, se veut rassurant. « On prête beaucoup de choses à François Bozizé depuis son retour, mais il mène ses activités politiques tranquillement, sans déranger », affirme-t-il à Jeune Afrique. Pour le reste, il se refuse à commenter la décision. « La Cour constitutionnelle est inattaquable et, donc, il n’y a plus de voie de recours », lâche-t-il, résigné.
Un discours qui fait écho au communiqué signé par le porte-parole du KNK, Christian Guenebem, diffusé dès l’annonce de la Cour constitutionnelle. Le parti de Bozizé s’y dit certes « circonspect » face à la décision de la Cour, mais il appelle ses militants « au calme et à la retenue » et à ne pas « céder aux provocations ».
Le KNK affirme par ailleurs que la résidence de Jean-Francis Bozizé a été perquisitionnée dans la nuit du 3 au 4 décembre. Ce qui n’a pas contribué à calmer les esprits dans le camp de l’ancien président centrafricain. Dimanche, le KNK a également indiqué que François Bozizé avait adressé une lettre aux présidents de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), dans laquelle il dénonce la décision de la Cour constitutionnelle qu’il estime « prise sous pression » et se dit victime d’« acharnement ». François Bozizé y aurait par ailleurs, à en croire son parti, mis en garde contre le « climat de vives tensions politiques » qui « risquent de dégénérer en violences incontrôlées », tout en affirmant son intention de « n’inscrire sa lutte et la campagne du KNK que dans un cadre exclusivement politique ».
Nouvelles alliances
L’éviction de l’ancien président de la course à la présidence pourrait ressusciter des alliances politiques entre le KNK et certains partis politiques de l’opposition. Dimanche, la COD 20-20, une coalition de l’opposition, a d’ailleurs tenu une réunion à l’issue de laquelle ses membres ont fustigé « l’attitude » du régime de Bangui, exprimant leur « solidarité » avec François Bozizé.
À qui profitera alors l’éviction de François Bozizé ? En première ligne pour tenter de capter le soutien éventuel de Bozizé, l’Union pour le renouveau centrafricain (URCA) d’Anicet-Georges Dologuélé. L’URCA avait déjà bénéficié de consignes de vote du KNK lors de la présidentielle de 2015-2016. Le parti était alors arrivé en tête au premier tour. Mais le retour de Bozizé à Bangui, le 16 décembre 2019, et sa volonté de briguer la magistrature suprême avait réduit les chances de voir une telle alliance se renouer. Et les candidatures individuelles pour la présidentielle qui se sont fait jour au sein de la coalition COD 20-20 risquent en outre de compliquer la tâche d’Anicet-Georges Dologuélé.
Au sein du KNK, certains évoquent aussi un éventuel soutien à Sylvain Patassé. Le parti de Bozizé l’avait déjà sollicité pour une alliance politique. Si, officiellement, rien n’est entamé pour sceller une alliance, des cadres du parti de Patassé envisageraient de retisser ces liens avec le KNK.
Les autres prétendants au soutien de Bozizé sur leur candidature sont nombreux : Karim Meckassoua, Alexandre-Ferdinand Nguendet ou encore Jean-Serge Bokassa, pour ne citer qu’eux.
Législatives en ligne de mire
Mais pour l’heure, « il est trop tôt pour s’exprimer », insiste Jean-Eudes Teya, secrétaire général du KNK. « L’alliance électorale est une des possibilités, tout comme l’absence d’alliance en est une », martèle de son côté le directeur de campagne de Bozizé, Christian Guenebem. Pour lui, la ligne est claire : « Le KNK va poursuivre la campagne pour les législatives et attendre de voir ce qu’il va se passer pour la présidentielle. »
Au moins 100 candidats aux législatives ont été investis par François Bozizé lui-même, et le KNK espère bien revenir en force au sein de la future Assemblée, et peser sur l’après élection. Christian Guenebem laisse d’ailleurs planer le doute sur le futur positionnement de son parti : « Pourquoi, forcément, soutenir un candidat ? Ne pouvons-nous pas simplement travailler pour les législatives et attendre de voir si nous voulons composer une majorité avec le vainqueur des élections ou bien être dans l’opposition ? »