Le football algérien cultive le paradoxe. Sa sélection nationale, auréolée d’un titre continental conquis sur les terres hostiles d’Égypte en 2019, est la meilleure d’Afrique. Certains de ses joueurs, certes presque tous binationaux, évoluent dans de très bons clubs européens et Djamel Belmadi, le sélectionneur, est régulièrement courtisé.
Mais au niveau local, le tableau est beaucoup moins reluisant. Alors que l’Algérie a disputé en novembre face au Zimbabwe (qualifications pour la CAN 2022) ses deux derniers matches avant l’élection pour la présidence de l’instance en mars, Kheireddine Zetchi, qui a assuré ne pas briguer de nouveau mandat, a récemment laissé planer le doute en annonçant sa candidature à un poste au conseil de la Fifa.
La sélection, produit phare
Sous l’ère Mohamed Raouraoua, le prédécesseur de Zetchi, l’Algérie s’était notamment qualifiée pour les Coupes du monde 2010 et 2014, avec cette année-là un huitième de finale historique au Brésil face à l’Allemagne (1-2). Zetchi n’a pas vu la Russie en 2018, mais son mandat est marqué par la victoire de la sélection lors de la CAN 2019, 29 ans après le premier sacre obtenu à Alger. « C’est le vrai point positif de son bilan. Il a choisi, après les échecs Alcaraz et Madjer, Djamel Belmadi comme sélectionneur, même si ce n’était pas son premier choix. Il le laisse travailler, lui donne les moyens nécessaires », admet Yazid Ouahib, chef des sports au quotidien El Watan.
Le titre obtenu au Caire a fait de l’Algérie une sélection attractive, désormais très plébiscitée. « Le match contre la Colombie (3-0) à Lille, en novembre 2019, a été un succès, avec 40 000 billets vendus en quelques heures », rappelle ainsi un proche de la FAF. Financièrement, l’instance se porte bien, ce qui était déjà le cas quand Raouraoua la dirigeait. Le contrat signé jusqu’à 2022 avec l’équipementier allemand Puma rapporte un peu plus de 1,9 million d’euros par an. « Raouraoua avait déjà bien rempli les caisses et fait construire le centre technique de Sidi Moussa. Zetchi a hérité d’une situation financière saine, et la CAN 2019 a rapporté de l’argent », poursuit Ouahib.
Un professionnalisme qui ne décolle pas
Décidée en 2010 par Mohamed Raouraoua, le professionnalisation du football algérien est un échec à placer dans la colonne « débit » du bilan de Zetchi. « C’est même une catastrophe. La grande majorité des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 sont lourdement endettés, parce qu’ils versent des salaires très élevés aux joueurs. Il y a aussi une très forte inégalité : les clubs, comme le MC Alger, le CS Constantine, qui sont dirigés par la Sonatrach ou une de ses filiales, ou le CR Belouizdad [situé à Alger, qui appartient à la Holding Madar, société nationale de tabac] n’ont pas de problèmes. Il y a une forme de favoritisme régional qui pénalise beaucoup de clubs, et ce n’est pas normal », s’énerve Chérif Mellal, le président de la JS Kabylie. « Zetchi ne fait rien pour améliorer la situation du foot local, parce qu’il est obsédé par la sélection, poursuit-il. Quant à la Ligue de football professionnel (LFP), elle est soumise à la fédération. Comment lui accorder le moindre crédit ? »
Moins virulent, Yazid Ouahib n’en est pas moins critique. « Zetchi n’a pas les armes pour changer les choses. En a-t-il la volonté ? Je ne sais pas, affirme-t-il. Rien n’a été fait pour développer le merchandising, les droits télé, la politique d’abonnements. Les recettes des matches, même joués dans des stades pleins, sont ridiculement basses. » L’ancien international et sélectionneur Ali Fergani dresse quant à lui un constat plus nuancé : « Raouraoua n’avait quasiment rien fait pour le foot local. Zetchi a attendu plus de deux ans pour agir. Il a créé une Direction de contrôle de gestion et de finances (DCGF), par exemple. Je pense qu’il avait un peu les poings liés, mais que depuis début 2019 [quand le Hirak a débuté, NLDR], il a un peu plus de marge de manœuvre. Ainsi, il se dit que Rabah Madjer lui avait été imposé comme sélectionneur ». Sous-entendu : imposé par l’ancien pouvoir…
Formation en berne
Avec son frère Hassen, Kheireddine Zetchi a fondé le Paradou Athletic Club, dont la vocation principale est la formation des joueurs. Une réussite indéniable, dont les têtes d’affiche Ramy Bensebaini (Borussia Mönchengladbach) et Youcef Atal (OGC Nice) sont même devenus internationaux.
Zetchi a tout intérêt à ce que le Paradou, dont il n’est plus président mais qui est dirigé par son frère, reste leader sur le dossier de la formation »
« On pensait qu’il ferait avancer les choses, avec ce qu’il a fait au Paradou. Mais au final, le dossier de la formation est un échec. Pourquoi ? En partie parce qu’il a tout intérêt à ce que le Paradou, dont il n’est plus président mais qui est dirigé par son frère, reste leader sur le dossier de la formation en Algérie. Il n’avait rien à gagner à ce que d’autres clubs soient compétents dans ce domaine », reprend Mellal.
Une critique de nouveau contrebalancée par Ali Fergani, qui pointe plutôt la posture des clubs et de l’État. « Les clubs préfèrent dépenser leur argent dans des transferts onéreux et verser des salaires parfois indécents aux joueurs. Quant à l’État, il ne met pas à la disposition des clubs les terrains nécessaires pour que ces derniers construisent un centre d’entraînement et des structures pour la formation des jeunes. Alors que cela faisait partie des conditions lors de la mise en place du professionnalisme. Je pense que Zetchi n’a pas assez pesé pour aider les clubs à obtenir ces terrains. »
Corruption
Profondément ancrée dans les pratiques du football algérien, la corruption est toujours présente. « Je crois qu’il n’a tout simplement pas les armes pour lutter. Et peut-être pas la volonté de le faire, affirme-t-il. C’est un problème d’une telle ampleur qu’un président de fédération ne peut pas le résoudre à lui tout seul », constate amèrement Yazid Ouahib.
« Il y a eu des enregistrements qui ont révélé des conversations entre un agent supposé proche du président de la FAF et un dirigeant de l’ES Sétif dans lesquels il était question de matches arrangés. Zetchi a mis du temps à réagir, alors que le ministère des Sports s’était ému de l’affaire », critique un dirigeant ayant souhaité conserver l’anonymat. Pour ce dernier, ce statu quo arrange beaucoup de monde. « Les matches arrangés, les transferts surévalués, les salaires, … Ils sont nombreux à en tirer profit, à tous les niveaux. Pourquoi tuer la poule aux œufs d’or ? »