Secrétaire générale de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) et seule femme à avoir brigué la magistrature suprême au Togo, en 2010, Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson a été arrêtée samedi 28 novembre à son domicile d’Agbalépedo, à Lomé, dans le cadre d’une enquête ouverte pour atteinte à la sécurité intérieure de l’État.
À 16 heures, une perquisition et son arrestation par l’Unité spéciale d’intervention de la gendarmerie (USIG), arrivée sur les lieux dans des jeeps et des 4×4, ont été signifiées à la coordinatrice de la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), ancienne porte-parole du candidat Agbéyomé Kodjo lors de la présidentielle du 22 février. « Aux environs de 19 h, elle nous a confirmé par téléphone être gardée à vue au Scric [Service central de recherches et d’investigations criminelles] pour les besoins d’une enquête en cours et nous a indiqué qu’elle serait interrogée le lendemain », confie son entourage.
Cette défenseuse des droits humains de 61 ans, fondatrice du groupe d’action et de réflexion Femmes, Démocratie et Développement (GF2D) a passé les nuits du 28 et 29 novembre dans les locaux de la gendarmerie.
Modèle de fermeté
Réputée intransigeante, Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson s’impose face aux hommes de l’opposition depuis 1989. Membre fondateur de la CDPA, dont elle est devenue la secrétaire générale en 2012, elle a milité dans tous les regroupements de son camp – Combat pour l’alternance politique au Togo (CAP 2015), coalition Arc-En-Ciel, Coalition des 14 puis DMK – et en a parfois pris les commandes en qualité de coordinatrice.
Titulaire d’un doctorat en droit, elle s’est révélée aux Togolais lors de la Conférence nationale souveraine en août 1991. En sa qualité de rapporteur général du bureau provisoire dirigé par l’ancien archevêque émérite de Lomé, Monseigneur Fanoko Kpodzro, elle portait les messages devant l’assemblée. Sa célèbre formule « le président me charge de dire », prononcée d’un ton ferme à chaque début de phrase, lui vaut alors le surnom de « dame de fer ».
C’est sa fermeté qui a conduit la coalition des 14 à boycotter les législatives de 2018
Figure de proue des femmes de l’opposition, elle n’hésitera pas à décocher des flèches lors de la résolution de la crise politique de 2018 contre la Cedeao et le régime de Faure Gnassingbé pour n’avoir pas pris de position sur la candidature de ce dernier à la présidentielle de 2020.
Si l’opposante sait aussi se montrer conciliante, c’est sa fermeté, approuvée par l’Alliance nationale pour le changement (ANC) et le Parti national panafricain (PNP), qui a conduit la coalition des 14 à boycotter les législatives en décembre 2018.
Pour se justifier devant la déception des militants et supporteurs, elle avait alors déclaré que la « finalité de la lutte est d’aboutir à l’alternance », soulignant qu’« être au Parlement n’est pas une fin en soi ». Mais les réformes constitutionnelles et institutionnelles ont bel et bien été actées par le nouveau parlement issu des législatives, conformément à la feuille de route de la Cedeao. Et la coalition a fini par voler en éclats.
« Plan de déstabilisation »
En avril dernier, Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson avait déjà été inculpée pour atteinte à la sûreté intérieure de l’État, troubles aggravés à l’ordre public et diffusions de fausses informations en tant que complice d’Agbéyomé Kodjo, autoproclamé président élu de la présidentielle et aujourd’hui en fuite.
C’est pour des faits similaires qu’elle a été arrêtée le 28 novembre, selon le procureur de la république, Essolissam Poyodi, qui a ouvert une enquête suite à « des renseignements faisant état depuis quelques temps d’un plan de déstabilisation des institutions de la République par la DMK ».
Les investigations confiées au Scric visent « à déterminer la responsabilité » de la coordinatrice et de Gérard Djossou, président de la commission des affaires sociales chargé des droits de l’Homme de ce regroupement de partis d’opposition. Celui-ci avait été interpellé la veille, le 27 novembre, par des hommes en civil alors qu’il rentrait d’une réunion.
Le régime en place gagnerait plutôt à laisser tomber les représailles. C’est une fuite en avant
« La perquisition immédiate effectuée au domicile du sieur Djossou Gerard a permis la découverte et la saisie des documents compromettants intéressant l’enquête », souligne le procureur qui détaille que « lesdits documents révèlent la projection d’actions violentes visant à porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État, qui devaient être mises en œuvre à partir des manifestations publiques du samedi 28 novembre ». Des rassemblements qui ont d’ailleurs été interdits par le ministre de l’Administration territoriale, Payadowa Boukpessi.
« Accusations grotesques »
« L’enquête ayant révélé également que madame Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson était en possession d’autres documents en lien avec le plan de déstabilisation du pays projeté, son interpellation dans l’après-midi de ce samedi 28 novembre 2020 a été rendue nécessaire », ajoute Essolissam Poyodi.
Pour la DMK et la CDPA, les faits avancés par le procureur de la république relève d’un « montage et d’accusations grotesques ». De ce fait, ils demandent la libération immédiate de Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson et de Djossou Gerard, qui fut le représentant d’Agbéyomé Kodjo à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni).
« Nous trouvons dommage ces intimidations, elles ne règleront rien. Le régime en place gagnerait plutôt à laisser tomber les représailles parce que c’est une fuite en avant. Ces méthodes ne pourront pas faire renoncer la DMK à la lutte pour l’alternance pacifique actée par le peuple togolais le 22 février 2020 », a déclaré Adjamagbo-Johnson quelques heures avant son arrestation.