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[Série] Rafik Khalifa ou la déchéance d’un golden boy algérien
Cette année 2002 est une année bénie pour Rafik Khalifa. Depuis qu’il s’est lancé en 1998 dans la banque privée, rien ne résiste à cet homme qui s’est d’abord fait une petite fortune dans la pharmacie avant que son appétit ne devienne féroce. Finances, transport aérien, travaux publics, son groupe brasse des dollars à la pelle.
Surtout, ce trentenaire plutôt effacé et introverti est devenu à 36 ans une personnalité très en vue dans le monde des affaires et la politique. Ministres, patrons de presse, députés, artistes… défilent dans son bureau pour des prêts bancaires, des cartes de crédit, des logements ou des billets d’avion gratuits sur les lignes de sa compagnie aérienne Khalifa Airways.
Tapis rouge
Rafik Khalifa — qui avait signé en juin 2001 un contrat de sponsoring de quatre ans avec l’Olympique de Marseille pour 2,7 millions d’euros — est l’homme qu’il faut connaître à Alger en 2002. Sa notoriété est telle que le président algérien lui déroule le tapis rouge.
Ses relations avec Saïd Bouteflika, conseiller spécial à la présidence sont encore plus étroites. C’est d’ailleurs Saïd qui a insisté pour que Khalifa Airways ouvre une ligne Alger-Dubaï, destination très prisée par la famille présidentielle qui a droit à 4 sièges en première classe sur ce vol.
Financer une opération de lobbying en Amérique était l’occasion pour Khalifa de renforcer son entregent dans les rouages de l’État
Alors, en ce début d’année 2002, c’est à Rafik Khalifa que Bouteflika pense pour financer une opération de lobbying aux États-Unis. Objectif : permettre au président et aux représentants de l’État algérien d’avoir leurs entrées dans les milieux de la politique et des affaires à Washington.
Trois ans après son accession au pouvoir en 1999, le chef de l’État peine à nouer des liens avec la Maison-Blanche malgré une visite officielle effectuée aux États-Unis en juillet 2001. Financer une opération de lobbying en Amérique pour le compte de Bouteflika est l’opportunité pour Khalifa de renforcer sa notoriété et son entregent dans tous les rouages de l’État.
Le choix du businessman algérien se porte sur le cabinet GoodWorks International, LLC, une firme basée à Atlanta. GoodWorks est fondé par Andrew Young, un ancien maire démocrate de la ville (entre 1982 et 1990) et ancien compagnon de route de Martin Luther King. Ambassadeur américain à l’ONU dans les années 1970, Young est proche de l’administration Bush. Son cabinet a obtenu plusieurs contrats avec des pays africains comme le Nigeria, l’Angola, la Côte d’ivoire, le Bénin ou encore la Tanzanie.
Promouvoir l’image de l’Algérie
Le contrat entre le groupe Khalifa et GoodWorks est signé le 19 juillet 2002 à Washington entre Rafik Khalifa au nom de la République algérienne et Carlton Masters, co-fondateur du même cabinet. La signature s’est faite en présence de l’ambassadeur d’Algérie à Washington. Montant du contrat : 3,2 millions de dollars qui seront versés en deux tranches.
Les virements ont été effectués à partir d’Alger depuis le compte du groupe Khalifa et visés par le numéro 2 de la firme Ghazi Kebache — qui sera plus tard condamné par le tribunal de Blida à 20 ans de prison.
Pour quelles prestations GoodWorks a-t-il été engagé ? Selon les termes du contrat, le cabinet s’engage à promouvoir l’image de l’Algérie et la rehausser aux États-Unis et à « organiser des rencontres entre le gouvernement Bouteflika et les personnalités-clés de l’administration américaine au niveau exécutif et législatif ».
Si la chute du groupe était prévisible, Bouteflika y a joué un rôle en lâchant Rafik Khalifa
On ignore quels bénéfices réels l’Algérie a tiré du lobbying de GoodWorks, mais Bouteflika n’a plus jamais été invité à la Maison-Blanche depuis le 5 novembre 2001 où il a été brièvement reçu par son homologue américain.
En revanche, les mauvaises nouvelles pour Rafik Khalifa ont commencé à voler en escadrille. Quatre mois après ce contrat, le 27 novembre 2002, la Banque d’Algérie bloque le transfert des capitaux du groupe vers l’étranger. C’est le début de l’asphyxie financière et de la descente aux enfers.
Si la chute du groupe Khalifa était prévisible, Bouteflika y a joué un rôle en lâchant celui qu’il a sollicité pour lui financer une opération de charme aux États-Unis.